Hongrie – Le ministre des Affaires étrangères hongrois Péter Szijjártó s’est rendu à Saint-Pétersbourg à la fin du mois d’août pour y rencontrer le directeur général du groupe Gazprom Alexeï Miller, avec lequel il s’est entendu sur les détails d’un nouveau contrat à venir d’achat de gaz russe par la Hongrie, celui signé en 1995 arrivant à échéance fin septembre.
Selon Péter Szijjártó, « l’approvisionnement énergétique à long terme de la Hongrie est un élément important de sa sécurité nationale et de sa souveraineté ». C’est pour cette raison que la Hongrie a décidé de rester sur un engagement de long terme avec la Russie et signera très prochainement un contrat de 15 ans pour l’achat de gaz à la société Gazprom, avec la possibilité de renégocier la quantité de gaz acheté au bout de 10 ans.
4,5 milliards de mètres cubes de gaz seront fournis à la Hongrie par deux itinéraires : un milliard par la frontière austro-hongroise et 3,5 milliards par l’interconnexion serbo-hongroise, qui est sur le point d’être achevée.
L’approvisionnement de la Hongrie en gaz dans le cadre de ce nouveau contrat 10+5 devrait débuter le 1er octobre et se fera à un prix avantageux qui, malgré la tendance à la hausse des prix du gaz, devrait permettre à la Hongrie, selon Péter Szijjártó, de poursuivre sa politique de baisse des coûts du chauffage.
La signature de ce nouveau contrat gazier intervient dans un contexte de hausse des quantités de gaz russe acheminé vers l’Europe, notamment par la finalisation du projet Nord Stream 2, tout en excluant désormais l’Ukraine comme zone de transit. Dans son intervention à l’ouverture de la session parlementaire automnale, le 20 septembre,
le premier ministre Viktor Orbán a qualifié l’Ukraine de « région instable »et s’est félicité du choix des itinéraires d’acheminement gazier prévus par le nouvel accord avec Gazprom, qui expliquent en partie la bonne entente que se plaisent à afficher depuis plusieurs années Budapest et Belgrade.
Dans le même temps, le 13 septembre, la Pologne annonçait par la voix de son secrétaire d’État en charge des infrastructures énergétiques Piotr Naimski que son contrat d’approvisionnement avec Gazprom arrivant à terme à la fin de l’année prochaine ne sera pas prolongé, et qu’elle entendait couvrir ses besoins gaziers en se passant de la Russie. Naimski a pourtant rappelé que la part du gaz dans la consommation d’énergie est appelée à augmenter en Pologne, et que celle du charbon était dans une phase de diminution progressive. Varsovie déclare ne pas vouloir être « dépendante des livraisons russes » et veut s’appuyer sur d’autres sources : l’acheminement par le Baltic Pipe (captation par un nouvel itinéraire du gaz norvégien jusqu’ici surtout destiné à l’Allemagne, ce qui implique une possible révision à la baisse des 10 milliards de mètres cubes annuels évoqués par Naimski), dont la finalisation est prévue pour octobre 2023, et le gaz liquéfié qatari et américain (GNL).
En Hongrie, la question de l’approvisionnement énergétique est beaucoup moins politisée qu’en Pologne, et en ce qui concerne la satisfaction des besoins gaziers, les données sont plus rassurantes. En effet, les 4,5 milliards de mètres cubes négociés par Budapest dépassent d’un tiers les besoins annuels de la Hongrie, ce qui ne l’expose pas à des déconvenues en cas d’hiver rude, alors que les éventuelles conflits entre l’Allemagne et la Pologne sur la captation du gaz norvégien par le Baltic Pipe pourraient poser des problèmes à Varsovie si la Pologne décide vraiment de se passer d’un contrat avec Gazprom.
Cela est d’autant plus vrai que, selon Piotr Naimski, les besoins de la Pologne en gaz pourraient augmenter de 50% jusqu’en 2030. Sur ce point la Hongrie prend un autre chemin : les besoins en gaz baissent en Hongrie, et la formule 10+5 sur laquelle sont tombés d’accord le groupe Gazprom et la Hongrie s’explique par la volonté de Budapest de communiquer sur le respect d’une attente de l’Union européenne, qui voudrait que la consommation de gaz naturel tombe à zéro d’ici à 2050. La Hongrie avait d’ailleurs tenté d’imposer une formule 5+5+5 et Gazprom une formule fixe sur vingt ans, avant que les deux parties ne s’entendent sur un engagement 10+5.
Un autre point à souligner est celui du prix que la Hongrie — et donc l’usager hongrois — paiera dans le cadre de ce nouveau contrat à long terme. Grâce à un engagement de long terme datant de 1995, les Hongrois ont pu bénéficier de prix du gaz inférieurs aux prix que les augmentations de ces derniers mois ont entraîné et que la majorité des Européens paient en ce moment. L’accord russo-hongrois prend en compte cet aspect, même si le contrat ne prévoira pas de prix fixes, mais plutôt des schémas de prix flexibles, qui peuvent permettre de se protéger des hausses de prix du marché, le ministre des Affaires étrangères hongrois ayant même évoqué des prix qui devraient être encore plus bas que ceux payés par la Hongrie jusqu’à présent.
A priori, grâce à ce nouveau contrat de long terme, la Hongrie semble avoir évité le principal problème posé par Nord Stream 2 en Europe centrale : la recomposition de la carte des transits centre-européens gaziers par le court-circuitage de l’Ukraine, une difficulté accentuée par le fait que les prix du gaz sont en forte hausse en raison d’une augmentation de la demande due à plusieurs facteurs, ce qui risque d’être le cas jusqu’à ce que Nord Stream 2 se mette à fonctionner.
Ayant bien géré la nouvelle donne gazière européenne qu’implique la finalisation de Nord Stream 2, la Hongrie a visiblement réussi à se servir des atouts évoqués par l’expert en questions énergétiques à Erste Bank Tamás Pletser : la possibilité de s’appuyer sur l’argument de la diversification gazière (transit serbe, GNL croate, augmentation de l’acheminement venant de Roumanie, options permises par le transit à double-sens austro-hongrois) pour négocier sur les prix.
Parmi les pays d’Europe centrale directement concernés par l’objectif de contournement de l’Ukraine de Nord Stream 2, la Hongrie semble être celui à avoir le plus habilement pris le train en marche en se connectant rapidement au contournement par le Sud et dans une moindre mesure à celui par le Nord. Même en cas de potentiels conflits avec Berlin, qui dispatchera 60-70% des exportations gazières russes en Europe, la Hongrie devrait pouvoir compter sur l’approvisionnement par le transit serbo-hongrois pour couvrir ses besoins en gaz.