Article paru dans le Magyar Nemzet le 27 septembre 2021.
« Les États-Unis d’Europe sont le mirage que poursuivent ces maniaques de l’Europe qui démolissent les nations souveraines sans même les remplacer au moins par une souveraineté européenne », déclare Éric Zemmour, venu à Budapest pour le IVe Sommet démographique, dans l’interview qu’il a accordée à Magyar Nemzet. Plus de six mois avant les présidentielles françaises, le journaliste-chroniqueur anti-immigration est crédité de 11% d’intentions de vote, une autre manière de dire que des millions de français voteraient pour lui, si le scrutin avait lieu aujourd’hui. Dans cette interview conduite par le journaliste hongrois László Szőcs, Zemmour n’a cependant toujours pas annoncé officiellement sa candidature.
László Szőcs : Au IVe Sommet démographique de Budapest, vous avez affirmé que les Hongrois sentent bien le danger qui les guette. Que vouliez-vous dire par là ?
Éric Zemmour : Cela signifie que les Hongrois disposent d’une expérience politique double. L’une est celle de l’occupation islamico-ottomane, l’autre, celle de la domination soviétique, synonyme de soumission à un système totalitaire. Forts de cette double expérience, les Hongrois repèrent d’un regard acéré les périls qui les guettent : aussi bien l’invasion islamique que l’idéologie progressiste, qui est un système totalitaire, même si c’est un totalitarisme sans goulag. Sous la conduite de Viktor Orbán, les Hongrois résistent à l’un comme à l’autre, et je pense que cela n’a rien d’un hasard. Les peuples sont forgés par leur histoire, et leur façon de réagir, elle aussi, dépend de leur histoire. Dans l’un de ses derniers livres, intitulé Achever Clausewitz, l’intellectuel français René Girard écrivait que nous allons entrer dans une époque où nous serons plus proches de Charles Martel et des Croisés que de la Révolution française et des conséquences de l’industrialisation menée à bien sous le Deuxième Empire. Et aujourd’hui, en effet, nous vivons l’époque du combat de civilisation entre Islam et Chrétienté, entre l’Orient et l’Occident. C’est un combat qui n’a jamais pris fin. Or l’un de ses éléments de base est la démographie.
László Szőcs : A quel degré ?
Éric Zemmour : A un degré tel que l’Occident – concept qui, depuis la chute du mur de Berlin, vous inclut – vit sous la domination d’un autre phénomène, qui est celui de la déconstruction. Depuis les années 1960, notre intellectualité, nos élites, et – sur le modèle américain – nos universités ont repris ce complexe auquel Allan Bloom avait déjà, par le passé, consacré des pages si admirables : la mentalité de la déconstruction, du rejet de soi. On nous a inculqué l’idée que nous sommes coupables. Nous sommes coupables de l’esclavage, de la Deuxième Guerre mondiale, de l’extermination des Juifs, de la colonisation, de l’oppression des femmes, des enfants, des noirs et des musulmans. Coupables de tout. Et pour nous faire pardonner toutes ces fautes, nous sommes capables de tout, y compris de l’anéantissement de notre propre civilisation. Cependant, les pays d’Europe de l’Est en sont exempts, car eux sont des victimes : ils ont été victimes du communisme et de l’Union Soviétique, ce qui – remarquable paradoxe de l’histoire ! – les entoure aujourd’hui d’un blindage, en les dispensant de cette contrainte de déculpabilisation. L’histoire fait parfois d’étranges pirouettes de ce genre, à la fois curieuses et tragiques. Mais que déconstruit cette déconstruction dont nous parlons ? Avant tout la nation, puis la famille, puis l’amour paternel, et finalement l’humanité elle-même et les sexes biologiques. Il y a sept ans, j’ai écrit à ce propos, dans mon ouvrage intitulé le Suicide français, que la déconstruction est d’abord suivie de la ridiculisation, puis de l’anéantissement. L’anéantissement de la nation, de la famille et de l’individu trouve aussi un allié dans l’Islam, qui, exploitant notre affaiblissement, cherche à nous imposer ses propres normes. Que nous dit, par exemple, le voile des femmes musulmanes ? Que nos rues sont en cours d’islamisation, et que l’espace public leur appartient.
László Szőcs : À Budapest, vous avez entre autres été reçu par le chef du gouvernement, Viktor Orbán. De quoi avez-vous parlé ?
Éric Zemmour : De ces mêmes sujets. Et je crois qu’il les comprend parfaitement, qu’il comprend parfaitement le combat de civilisation de l’Occident contre l’Orient, du Nord contre le Sud. Il protège son peuple, il a construit ce mur sur votre frontière, et crée aussi un rempart contre la déconstruction, contre Georges Soros et contre le lobby LGBTQ. Il se bat sur chacun des deux fronts qui, aujourd’hui, comptent. J’ai aussi beaucoup appris des expériences dont il m’a fait part.
László Szőcs : Les dirigeants hongrois accordent visiblement beaucoup d’importance à leurs relations avec la droite française. Parmi les invités du sommet, il y avait Marion Maréchal, ancienne députée et petite-fille de Jean-Marie Le Pen.
Éric Zemmour : Oui, sauf que la droite française actuelle n’est pas de droite – s’agissant, tout du moins, des chefs des Républicains (LR). La droite française s’est soumise à la gauche, et ne peut plus mériter, dans le meilleur des cas, que le nom de centre. Ils pourraient tout aussi bien se ranger derrière Emmanuel Macron, étant donné qu’ils ont les mêmes idées que notre président.
László Szőcs : Vous allez maintenant retourner en France. Comptez-vous enfin y annoncer votre candidature aux présidentielles ?
Éric Zemmour : On va voir.
László Szőcs : Pourtant, à en juger par votre dernier livre et par vos apparitions dans les médias, de toute évidence, vous préparez quelque-chose.
Éric Zemmour : Cette préparation me donne l’occasion de faire connaître mes vues aux Français. Bien que je ne sois pas officiellement candidat, je suis le seul dont la popularité grandit. Tous les autres stagnent ou s’enfoncent. En six mois, la popularité de Marine Le Pen a plongé de dix points, passant de 28% à 18%. Parmi les concurrents de Macron, Xavier Bertrand est à 14-15%, Valérie Pécresse piétine, aucun élan ne les porte. Je suis le seul à en avoir. Pour moi aussi, bien sûr, le temps s’écoule et me met sous pression, si bien que je vais prochainement faire connaître ma décision.
László Szőcs : On vous a crédité d’une popularité de 11%. Avez-vous l’impression que vous pourriez même gagner ?
Éric Zemmour : La politique n’est pas une affaire d’arithmétique mais de dynamique. J’ai commencé à trois pour cent, passant ensuite à cinq, à sept, à huit, à dix, pour finalement atteindre les onze. Et ce, assez rapidement. On verra bien.
László Szőcs : Vous avez récemment débattu avec Jean-Luc Mélenchon, chef de file de la gauche radicale. Que diriez-vous à Macron, si c’était lui que vous devriez affronter en débat, disons, à la veille du second tour des élections du printemps prochain ? D’après vous, où est-ce que le Président s’est planté ?
Éric Zemmour : Je pense qu’il ne comprend pas la nature du défi qui menace l’être même de notre pays. Il a beau être jeune, dans sa tête, il est vieux. C’est comme s’il vivait dans les années 1970, en contemporain de Valéry Giscard d’Estaing et de Michel Rocard. Il pense qu’aujourd’hui encore, l’économie serait la principale ligne de fracture. Alors que c’est la civilisation, l’identité, le destin de la nation. Il ne comprend pas ce qu’a dit René Girard. Tout ce qui le préoccupe, c’est comment affecter, à droite ou à gauche, deux pour cent du PIB. Je ne prétends pas que cela n’aurait pas d’importance, mais, dans l’autre plateau de la balance, il y a le déclin et la disparition de la France. Et cela, tout de même, ne revient pas au même, car là, il s’agit de questions de vie ou de mort.
László Szőcs : Je viens de voir que vous entretenez des relations très cordiales avec Marion Maréchal. Peut-on en dire autant de sa tante, Marine Le Pen, qui est votre rivale à droite ?
Éric Zemmour : J’aime beaucoup Marion. Avec sa tante, je n’ai pas une relation aussi proche.
László Szőcs : Quelle est la principale différence politique entre vous ?
Éric Zemmour : Le Pen a choisi de laisser sa politique dériver vers le centre, ce qui, à mon avis, constitue une erreur à la fois tactique et stratégique. Alors que 70% des Français sont d’accord avec ce que moi je dis sur l’Islam.
László Szőcs : Encore aujourd’hui, beaucoup évoquent ce débat télévisé de 2017, au cours duquel Marine Le Pen s’est ridiculisée face à Macron. Vous, en revanche, en votre qualité de chroniqueur, le débat, vous en vivez. Pensez-vous être meilleur en débat ?
Éric Zemmour : C’est l’autre problème qu’elle pose : le fait qu’au cours de ce débat, elle a humilié ses propres électeurs. Quant à moi, j’aime débattre, pas pour le plaisir de débattre, mais pour défendre mes vues.
László Szőcs : Et vous vaincriez Macron ?
Éric Zemmour : Tout est possible.
László Szőcs : Quel sera l’enjeu des présidentielles françaises du point de vue d’une Union européenne divisée et en pleine crise des valeurs ?
Éric Zemmour : J’en ai parlé avec Viktor Orbán, et nous sommes parfaitement d’accord. Il faut forcer la Commission européenne à revenir à ses prérogatives d’origine, qui sont l’administration du marché commun. Et qu’elle arrête par la même occasion de chercher à imposer aux États-membres les vues d’une minorité possédée par l’idée de progrès, de vouloir avoir son mot à dire dans tout, et ce, avec la complicité des grands, c’est-à-dire de l’Allemagne et de la France. Il faut renoncer à cette idée, que professent aussi notre élite et Macron, selon laquelle les États-Unis d’Europe seraient notre avenir. Nous ne sommes pas le Texas ou le Wyoming. Tout cela, c’est le mirage que poursuivent les maniaques de l’Europe, qui démolissent les nations souveraines sans même les remplacer au moins par une souveraineté européenne. C’est un mythe, une utopie. Les Allemands et les Polonais, par exemple, ne veulent pas d’une politique de défense autonome en Europe, et finiront toujours par se ranger derrière les États-Unis. Macron ne va pas réussir là où Charles de Gaulle lui-même s’est brisé les dents. Bref : il faut laisser le marché commun à la Commission européenne, et tout le reste – et notamment les prérogatives en matière de politique migratoire et de contrôle des frontières – aux nations souveraines, aux peuples.
László Szőcs : Mais cela n’est pas possible sans l’intervention des grands États-membres…
Éric Zemmour : Exactement. C’est à eux de forcer la Commission européenne à ce changement. Comme l’avait dit Jacques Chirac : à soi seul, Bruxelles n’est même pas capable d’une déclaration de guerre. Staline, de même, aurait un jour demandé : le Vatican, combien de divisions ?
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post