Roumanie – Il semblerait que la compagnie roumaine Romgaz ait trouvé un accord avec le géant américain ExxonMobil pour le rachat des parts détenues (50% du total, pour une somme de 1,06 milliard de dollars) par la société américaine dans le projet d’exploitation du champs gazier Neptun Deep situé dans le Mer Noire. Démarré en 2008, les possibilité d’exploitation ayant été confirmée en 2012, ce projet n’est pas encore entrée dans sa phase de production, mais devrait prochainement aboutir après que plus d’un milliard et demi de dollars ont été dépensés à des fins d’exploration et d’évaluation des capacités de production. Les 50% restants sont détenus par une filiale roumaine de la société autrichienne OMV, qui devrait être en charge de la partie opérationnelle du projet.
Neptun Deep a depuis sa découverte suscité beaucoup d’espoir — le premier ministre hongrois Viktor Orbán ayant même déclaré en 2018 que l’exploitation de ce champs gazier permettrait de mettre fin à la dépendance gazière de la Hongrie à la Russie — mais aussi de la déception, le projet restant flou et peinant à se concrétiser, le ministre des Affaires étrangères Péter Szijjártó ayant déploré la lenteur du projet lors d’une rencontre avec des dirigeants d’Exxon à Houston (Texas) en mai 2019. Constatant que le projet patinait, les autorités hongroises s’étaient alors quasi-exclusivement concentrées sur les négociations en vue de la signature d’un contrat de long terme avec Gazprom, qu’elles ont fini par signer récemment pour un total de 4,5 milliards de mètres cubes annuels, c’est-à-dire environ la quantité que la Hongrie espérait au total obtenir par l’augmentation des capacités du pipeline arrivant en Hongrie par la Roumanie grâce à la mise en service de Neptun Deep.
Dans le contexte de la crise énergétique que nous traversons et des accusations de manipulations des prix portées à l’encontre de la Russie, cette nouvelle étape dans le projet Neptun Deep est très révélatrice des problématiques énergétiques actuelles en ce qu’elle consiste en un retrait du géant américain et numéro un mondial de l’énergie d’un projet d’approvisionnement du marché européen en gaz — une éventualité mentionnée pour la première fois fin 2019 par la société texane. À la manière des choix opérés en matière de GNL (gaz naturel liquéfié), les investisseurs américains fuient le marché européen, qui a trop eu tendance ces dernières années à privilégier des considérations idéologiques et politiques faisant abstraction des réels besoins énergétiques des populations européennes. De plus, en ce qui concerne Neptun Deep, le Parlement roumain avait voté en 2018 une loi introduisant des conditions restrictives et des impôts progressifs sur les revenus des sociétés détenant des concessions en mer Noire, ce qui avait provoqué la colère des groupes énergétiques liés aux intérêt américains et ayant des projets dans la région, certains étant même allés jusqu’à considérer cette loi comme un coup monté de la Russie.
Dans le cadre du plan de relance NextGeneration, Bucarest a présenté un projet faisant la part belle aux énergies renouvelables et prévoyant une sortie du charbon pour 2032, processus dans lequel la Roumanie est en avance sur la Pologne, la République tchèque et l’Allemagne. Le sort du gaz roumain n’est quant à lui pas fixé : deuxième producteur de gaz dans l’UE derrière les Pays-Bas — derrière le Royaume-Uni et la Norvège —, la Roumanie est le seul pays de la région qui, avec la découverte du champ Neptun Deep, pourrait atténuer la dépendance européenne au gaz russe.
Selon les projections optimistes, l’exploitation de Neptun Deep pourrait débuter au plus vite en 2025, mais la technicité du projet, les travaux de rénovation à effectuer sur les tuyaux existants et la construction de nouveaux tuyaux en mer sont autant de facteurs qui ne plaident pas en faveur d’une mise en service rapide. Romgaz devrait légalement être propriétaire de ses parts achetées à Exxon à la fin du premier semestre 2022 et n’a résolument pas les mêmes moyens et le même savoir-faire que le géant américain pour mener à bien le projet Neptun Deep dans les plus brefs délais. Par ailleurs, dans l’ambiance de transition verte promue par les institutions européennes, et alors que, suivant le cas hongrois, de plus en plus de pays s’apprêtent à revenir à une logique de contrat gazier de long terme avec la Russie, la Roumanie devra faire preuve d’un grand sens de la manœuvre pour imposer son projet Neptun Deep, ne pouvant désormais plus compter sur la puissance d’appui d’Exxon.
Par ailleurs, au beau milieu de cette crise énergétique — qui a déjà provoqué une série de secousses sur les chaînes de production européennes, ainsi que des coupures de chauffage en Roumanie —, le sort réservé au nucléaire n’est pas fixé. Un front de dix pays de l’UE (France, Hongrie, Bulgarie, Croatie, Finlande, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et République tchèque) vient de se former en faveur de l’intégration du nucléaire dans la taxonomie financière durable que veut imposer la Commission européenne aux États membres. Des projets de collaboration nucléaire sont en cours : le français EDF vient de faire une première proposition à la Pologne pour la construction de 4 à 6 réacteurs EPR, alors qu’en marge de la conférence sur le climat en cours à Glasgow (COP26), le président roumain Klaus Ioannis et le président américain Joe Biden ont annoncé le lancement en Roumanie d’un projet de technologie SMR par la société NuScale Power, ce qui serait la première implantation de cette technologie sur le continent européen. Les SMR (« small modular reactors ») sont des mini-réacteurs nucléaires, devenus nouvelle priorité nucléaire française dans le plan d’investissement « France 2030 » présenté par le président Emmanuel Macron le 12 octobre, qui permettent des économies d’échelle, de la souplesse et de la flexibilité — une technologie dans laquelle les pays les plus avancés sont la Russie et les États-Unis.
Cette annonce de coopération nucléaire entre la Roumanie et les États-Unis a provoqué la réaction satirique de certains observateurs hongrois, notant que la coalition gouvernementale au pouvoir depuis 2010 est sans arrêt raillée et condamnée pour oser prendre le parti du nucléaire (en ayant signé en 2014 pour un agrandissement de sa centrale de Paks avec la société russe Rosatom), alors qu’une collaboration nucléaire avec une société américaine est presque saluée comme un triomphe de la démocratie. Tout comme pour le gaz, les considérations idéologiques ne sont jamais très loin dans le domaine du nucléaire, des considérations que le premier ministre hongrois Viktor Orbán s’est toujours refusé de prendre en compte lorsqu’il s’agit d’approvisionnement énergétique.