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Union européenne et énergie : faut-il rire ou pleurer ?

Temps de lecture : 4 minutes

Union européenne – Lancé par la Commission européenne en 2019 et ayant fait l’objet d’un « paquet climat » de 12 objectifs en juillet 2021, le Pacte vert pour l’Europe fait à nouveau beaucoup de bruit ces dernières semaines, les choix énergétiques qu’il implique étant accusés d’être en partie à l’origine de la forte augmentation des prix de l’énergie. Le Premier ministre hongrois Viktor Orbán fait par exemple partie de ceux critiquant les conceptions énergétiques de Bruxelles, et entend défendre sa politique de baisse des coûts des frais de chauffage et son approche de contrat gazier de long terme avec la Russie.

Même si nombreux sont ceux à avoir soulevé les incohérences de la politique énergétique qu’entend encourager la Commission au niveau européen, les masques sont véritablement tombés avec la sortie de Thierry Breton, Commissaire européen au marché intérieur et ancien ministre français de l’Économie et des Finances sous la présidence de Jacques Chirac, qui a déclaré le 26 septembre que la hausse des prix de l’énergie était en partie due à un manque de vent en Allemagne cet été, laissant ainsi le sentiment que la facture énergétique des européens dépendait d’un facteur aussi aléatoire que la force du vent estival en Allemagne.

Quelques jours plus tôt, le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire avait quant à lui déclaré : « Le marché unique européen de l’électricité ne marche pas, il est aberrant. […] il faut revoir de fond en comble son fonctionnement. » Rappelons qu’un marché unique ne peut se concevoir sans prix unique, et qu’en ce qui concerne l’électricité ce projet a conduit à indexer les prix de l’électricité sur les prix du gaz, qui atteignent des sommets en ce moment, à tel point qu’il était devenu trop cher cet été de compenser l’arrêt des éoliennes en faisant fonctionner des centrales à gaz.

En ce qui concerne la hausse des prix du gaz, beaucoup d’encre a coulé et les élites bruxelloises se plaisent à accuser Gazprom, sans doute pour éviter de reconnaître que les incohérences de la politique européenne verte en matière d’énergie, une politique qui a montré son inefficacité à répondre à un décalage entre l’offre et la demande de gaz ces derniers mois, pendant lesquels se sont succédés un hiver et un printemps particulièrement froids, puis un été particulièrement chaud. Par ailleurs, exceptée la Russie, les pays fournissant du gaz aux pays de l’UE ont atteint leur pic gazier — tout en sachant que les États-Unis et la Qatar préfèrent vendre leur gaz liquéfié en Asie, à des tarifs plus élevés que ceux qu’ils appliquent en Europe —, et, en l’absence d’investissements destinés à exploiter de nouvelles sources gazières, les positions gazières de la Russie en Europe ne risquent que de croître à l’avenir. D’ailleurs, les quelques investissements de ce type ont lieu en Russie, comme par exemple les investissements de Total dans les champs gaziers du Nord de la Sibérie, ce qui n’est pas pour rassurer ceux craignant une « dépendance à la Russie ». La politisation — pour ne pas dire l’hystérisation — de la question énergétique depuis la fin de l’été a atteint des sommets de mauvaise foi quand la Russie a été accusée, par ceux qui se plaignent d’ordinaire de la dépendance gazière à la Russie, de ne pas livrer assez de gaz à l’Europe.

Thierry Breton et Bruno Le Maire, ainsi que les dirigeants polonais, dont la communication sur le non-renouvellement du contrat de la Pologne avec Gazprom l’année prochaine semble bien être un coup de bluff, savent pertinemment que les défis énergétiques européens dépassent largement la simple question russe. Ici aussi, un peu à la manière des dirigeants ukrainiens, le Russia-bashing est une fuite en avant permettant de ne pas se regarder dans la glace et de faire l’impasse sur le bilan des choix stratégiques en matière énergétique de l’Union européenne. Ce serait en effet presque une bonne nouvelle si la tension sur le marché de l’énergie — dont la Russie peut certes se délecter à court terme mais qu’elle n’a pas du tout intérêt à faire perdurer — était due au seul cynisme de la société Gazprom, car cela voudrait dire que le problème est cruellement simple.

En réalité, le problème et les défis sont bien plus complexes et comportent des scénarios absolument désastreux pour les économies européennes. Que l’on soit pro- ou antinucléaire, il est évident que la hausse du prix de l’électricité est due au manque d’investissement dans le secteur nucléaire (en France) voire à l’abandon de cette source d’énergie (en Allemagne). Même si un changement de cap semble être souhaité par certains en matière nucléaire, étant donné le temps requis pour la rénovation ou la construction d’une centrale, une reprise des investissements dans le nucléaire dès aujourd’hui ne porterait ses fruits que dans une dizaine d’années. À cela s’ajoute, comme évoqué précédemment, une indexation de facto du prix de l’électricité sur le prix du gaz par la mise en place du marché unique de l’électricité, que même Bruno Le Maire qualifie d’ « obsolète ». Concernant la hausse du prix du gaz, l’abandon de la logique des contrats de long terme (à l’exception notoire de la Hongrie, qui semble de plus en plus être rejointe par d’autres pays), logique permettant de ne pas subir une hausse forte des prix du gaz, aboutit à une fixation des prix sur les marchés journaliers (marchés « spots »). Combiné à un défaut de l’offre, comme nous l’avons connu ces derniers mois, ce cocktail est explosif, et, si les prix devaient se maintenir à ce niveau, ce n’est pas seulement la facture énergétique des européens qui risque d’exploser mais aussi certaines chaînes de production. Si on ajoute à cela le contexte inflationniste actuel, alimenté par des injections monétaires délirantes et sans contrepartie productive, il n’est pas à exclure qu’un éventuel hiver rude débouche sur des arrêts de production et des chocs violents sur les prix.

Ces derniers jours, la Commission européenne semble vouloir lever le pied sur la politisation du débat énergétique et commence à reconnaitre un état de fait économique. Frans Timmermans, vice-président exécutif de la Commission européenne, a en effet reconnu que Gazprom n’avait pas failli à remplir ses contrats de livraisons de gaz à l’Europe et que la hausse des prix, qui commence à faiblir, était due à des facteurs économiques et non à des manœuvres politiques de la Russie. Mise en place d’un marché unique et abandon des contrats de long terme, défaut d’offre (en raison d’un défaut d’investissements dans le secteur), transition verte, voilà les vraies raisons de la crise énergétique de ces derniers mois.