Pologne/Union européenne – « La germanophobie de Kaczyński et son extrême réticence à construire une Union européenne forte ont fait que les amis fascistes de Poutine sont aujourd’hui accueillis à Varsovie en héros. Un pas de plus vers le démantèlement de la Communauté européenne de l’intérieur. Et un autre pas vers le Polexit. » C’est ainsi que Borys Budka a commenté la réunion des dirigeants de dix partis conservateurs européens organisée samedi dernier à Varsovie, à l’invitation des Polonais. Borys Budka était président, jusqu’en juillet dernier, de la Plateforme civique (PO) aujourd’hui dirigée par Donald Tusk et il est le président du groupe Coalition civique (KO) à la Diète. Il s’agit du principal groupe d’opposition et ce groupe fédère la PO avec le parti libéral-libertaire Nowoczesna (Moderne) et les Verts. Le commentaire de Budka reflète assez bien la teneur et le ton des critiques entendues dans les médias d’opposition polonais à propos de ce sommet conservateur.
Réponse du professeur Andrej Zebertowicz, conseiller du président Andrzej Duda : « Comparons deux formes de pro-poutinisme : Mme Le Pen, qui a pris un prêt de quelques millions [une allusion au crédit de 9 millions d’euros obtenu aux conditions du marché auprès de la First Czech-Russian Bank en 2014, pour financer la campagne des régionales de 2015 alors qu’aucune banque française n’acceptait de prêter de l’argent au Front national pour sa campagne dont le remboursement par l’État était pourtant garanti, ndlr], et Mme Merkel, grâce à qui la Russie gagne des milliards sur les ventes de gaz ».
« Les politiciens qui ont pu soutenir Poutine de manière ponctuelle ou s’habiller avec des T-shirts pro-Poutine pour des raisons de tactique politique sont un mal moindre que les politiciens qui, conjointement avec les groupes d’affaires de leur pays, perturbent structurellement la capacité de l’Union à se développer en toute sécurité », a encore dit le conseiller présidentiel en assurant que « Jarosław Kaczyński n’est pas et ne sera pas l’otage de Mme Le Pen alors que Donald Tusk était et est encore l’otage de l’élite allemande. »
Radosław Fogiel, porte-parole du PiS, a répondu de la même manière aux reproches de l’opposition : « Contrairement à de nombreux politiciens des partis qui composent le Parti populaire européen ou les sociaux-démocrates européens, Marine Le Pen ne travaille pour aucune entreprise énergétique russe. » Tomasz Poręba, eurodéputé du PiS, également cité par le journal Rzeczpospolita, a, lui, donné des noms : « Les collègues de M. Tusk, M. Miller, M. Cimoszewicz et M. Sikorski des groupes politiques qui coopèrent avec la Plateforme civique et avec le SLD au Parlement européen – je pense ici à l’ancien chancelier allemand Schröder, je pense à l’ancien chancelier autrichien Schüssel, je pense à l’ancien premier ministre finlandais Lipponen, je pense à l’ancien premier ministre français Fillon, et je pense enfin à l’ancienne ministre autrichienne des affaires étrangères Kneissl –, ils ont tous trouvé un emploi. Où ? Dans les entreprises qui coopèrent avec Gazprom et dans les entreprises qui sont directement liées à Poutine. Qui est pro-Poutine ici ? Qui représente les intérêts de Poutine, y compris économiques ? »
De l’eau a coulé sous les ponts depuis les premières années de gouvernement de la coalition Droite unie dirigée par le parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński. À l’époque, un eurodéputé du Front national m’avait demandé si je pouvais le mettre en contact, à l’occasion de son passage à Varsovie, avec des députés du PiS particulièrement engagés dans les relations franco-polonaises. Aucun n’avait accepté. Le PiS limitait au maximum ses contacts avec le parti de Marine Le Pen. D’une part, il s’agissait de ne pas donner du grain à moudre à l’opposition polonaise et ne pas prêter le flanc aux accusations de proximité avec « l’extrême droite » et avec les « amis de Poutine ». D’autre part, le PiS était intimement convaincu que les partis comme le FN français, devenu depuis le Rassemblement national (RN), et la Ligue italienne étaient effectivement à la fois pro-Poutine, russophiles, anti-UE et anti-OTAN, des caractéristiques qui ont toujours paru aux parti de Kaczyński contraires aux intérêts polonais. Mais depuis, la difficulté à s’entendre avec la France d’Emmanuel Macron, l’agressivité et les ingérences permanentes des institutions européennes à l’égard de la Pologne et de la Hongrie, et enfin le sentiment que les institutions européennes sont aux ordres de Berlin où une nouvelle coalition eurofédéraliste arrive aujourd’hui au pouvoir, ont fait comprendre aux dirigeants polonais, dans la foulée du changement d’attitude du gouvernement hongrois, que, paradoxalement,
c’est avec des partis comme le Rassemblement national français, la Ligue et les Frères d’Italie, le parti Vox en Espagne et d’autres partis conservateurs ou modérément souverainistes qu’il sera possible de sauver l’Union européenne, à laquelle les dirigeants polonais et hongrois tiennent beaucoup, sans lui sacrifier l’indépendance et la démocratie.
Marine Le Pen, à qui j’ai posé la question samedi lors de sa rencontre avec les journalistes français après les réunions de travail des dirigeants conservateurs et la conférence de presse commune, fait la même analyse de l’évolution du PiS à son égard, qu’elle met sur le compte d’une « attaque décomplexée de la Commission européenne à l’égard d’un certain nombre de nations qui résistent à la perte de leur souveraineté » et du fait que « chacun est conscient que l’Allemagne s’est mise, peut-être à cause précisément de la faiblesse de la France, à diriger l’Union européenne », alors que « la nouvelle coalition allemande est fondée sur une marche en avant vers le fédéralisme européen et, à nouveau, une volonté d’avoir une politique d’immigration importante, massive. »
« Demandez à Marine Le Pen si son modèle, c’est celui de la Hongrie ou la Pologne. Elle a passé des années à essayer de faire croire qu’elle était dé-diabolisée, elle va aujourd’hui s’allier avec des gens qui font reculer les droits en Europe », a déclaré samedi Clément Beaune, le secrétaire d’État aux Affaires européennes d’Emmanuel Macron, pour commenter les rencontres de Marine Le Pen avec Mateusz Morawiecki et le président du PiS Jarosław Kaczyński alors que son patron, qui avait lui-même reçu il y a peu le premier ministre polonais à l’Élysée, était en visite en Arabie saoudite et que le ministre de l’Intérieur français Gérald Darmanin serait venu deux jours plus tôt à Varsovie rencontrer son homologue polonais si celui-ci n’était pas tombé malade, ce qui a contraint Darmanin à reporter sa venue. « Celui-là, ce n’est pas le couteau le plus affûté du tiroir », a remarqué Marine Le Pen à qui j’avais demandé de commenter cette attaque de Beaune, ce qui a fait pouffer de rire les journalistes présents, et la dirigeante du Rassemblement national a justement mis en avant les rencontres de Macron et celle qui avait été prévue par Darmanin. Marine Le Pen a par ailleurs fait remarquer à une journaliste française qui lui demandait si elle avait parlé à ses interlocuteurs polonais, et notamment au premier ministre et au ministre de la Justice avec qui elle avait dîné le vendredi soir, de « l’interdiction quasi-totale de l’avortement », c’est-à-dire en fait de l’interdiction, en Pologne, d’avorter au motif du handicap de l’enfant à naître alors que, en France, les enfants trisomiques, par exemple, sont à 95 % éliminés dès le stade prénatal, que sa vision de la démocratie et de la souveraineté, c’est que la loi en matière d’avortement polonaise correspond à la volonté du peuple polonais et que ce n’est pas à elle, pas plus qu’à une journaliste française, d’imposer sa vision à la Pologne.
« Emmanuel Macron nous a fâché avec le monde entier », estime Marine Le Pen qui pense que « le mépris est un fonctionnement » chez le président français qui affiche son arrogance « pas uniquement à l’égard des Français mais à l’égard de tous ceux qui sont récalcitrants », et « il va donc falloir réparer ». C’était une réponse à ma demande de commentaire sur la manière dont Emmanuel Macron, après avoir qualifié les dirigeants polonais et hongrois actuels « d’esprits fous » et avoir dit en 2018 que la politique du ministre de l’Intérieur italien de l’époque Matteo Salvini lui donnait envie de vomir, a affirmé récemment que le Royaume-Uni était dirigé par « un clown ». Marine Le Pen a aussi dit estimer que le problème des licences de pêche des pêcheurs français après le Brexit était une rétorsion britannique face à la volonté affichée de la France de punir le Royaume-Uni pour sa sortie de l’UE, et qu’il fallait rompre avec cette politique pour résoudre le problème des pêcheurs français.
Quant aux Italiens Matteo Salvini (Ligue) et Giorgia Meloni (Fratelli d’Italia), ils n’étaient pas présents samedi à Varsovie. C’est en fait surtout l’absence de Salvini qui a été remarquée, car il avait annulé sa venue juste avant le sommet en raison du refus du PiS,
sans doute sous l’influence de Giorgia Meloni dont les députés appartiennent au même groupe Conservateurs et Réformistes européen (CRE) au Parlement européen, de former dès maintenant un groupe unique de la droite avec les députés CRE et ceux d’Identité et Démocratie (I&D), le groupe auquel appartiennent le RN, la Ligue et le FPÖ autrichien, qui était, lui, bien présent à Varsovie samedi. Un groupe unique qui exclurait toutefois l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) en raison notamment de ses positions pour la sortie de l’UE. Il y avait dix partis de représentés en tout, avec encore notamment le premier ministre hongrois Viktor Orbán et sa ministre de la Famille Katalin Novák qui représentaient le Fidesz, ainsi que le chef du parti espagnol Vox, Santiago Abascal. La vision commune de ces partis, qui ne comprend pas (ou plus) la sortie de l’UE, a été exprimé dans une déclaration commune qui fait suite à celle publiée par quinze partis de quatorze pays en juillet.
Il est notamment dit dans la déclaration de samedi que « Ce n’est qu’à travers un tel modèle de coopération européenne que nous pourrons sauver l’UE de nouvelles crises et tensions, et mettre un terme à l’idée inquiétante de créer une Europe gouvernée par une élite autoproclamée. Nous rejetons l’application arbitraire du « droit de l’Union », en contournant ou même en violant les traités. Seules les institutions souveraines des États ont une pleine légitimité démocratique. Les institutions européennes ne jouissent pas de la même légitimité et doivent donc jouer un rôle subordonné à l’État-nation dans l’architecture politique. De même, pour cette raison, les institutions européennes ne peuvent devenir un outil visant à créer une nouvelle « nation européenne ». Un tel concept de nation n’a jamais existé, n’existe pas aujourd’hui et ne pourra pas exister à l’avenir. Les participants déclarent leur volonté de coopérer dans un esprit de solidarité, à différents niveaux et forums, avec toutes les parties et organisations qui tiennent à l’héritage unique de l’Europe et à l’idée d’une Europe des Nations. »
Quelques « antifas » ont bien tenté de troubler la rencontre, mais le dispositif policier autour de l’hôtel Régent situé dans la prestigieuse rue Belwederska à Varsovie, où se tenait le sommet conservateur, était tel qu’ils ont à peine été remarqués. Le rédacteur en chef de l’hebdomadaire eurofédéraliste, progressiste et violemment anti-PiS Newsweek Polska, Tomasz Lis, n’a pas tenu et n’a pu s’empêcher de commenter la réunion par un tweet aussi rageur que ridicule, et qui a d’ailleurs été très moqué : « La Pologne en tant qu’animateur et promoteur d’une internationale fasciste, nationaliste et pro-Poutine, c’est le fond du fond et cela déshonore Kaczyński à une échelle monumentale et historique. »