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Le programme économique « Ordre polonais » sème le désordre et pourrait coûter cher au PiS

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – Sorte de New Deal à la polonaise, le programme « Ordre polonais » (Polski Ład) comprend un volet fiscal qui, depuis le 1er janvier, sème le trouble et est source de mécontentements. De nombreuses imperfections et erreurs sont déjà à corriger, mais certaines corrections importantes ne pourront intervenir qu’en 2023. En outre, même les catégories qui devaient bénéficier de la grande réforme de la fiscalité réalisée par le gouvernement Morawiecki avec un préavis de quelques mois seulement, et même moins si l’on tient compte des dernières modifications apportées à la fin de l’année, voient leurs gains s’évaporer à cause d’une inflation à 8,6% en rythme annuel, selon les estimations de l’office de la statistique polonais GUS pour le mois de décembre. Ainsi, ce qui avait été conçu comme une guerre éclair devant assurer au parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński une nouvelle victoire électorale en 2023 – ou avant en cas d’élections anticipées, le PiS bénéficiant d’une majorité fragile à la Diète – s’est déjà transformé en guerre de position, pour reprendre les mots d’un politologue polonais.

Premier couac : nombre de fonctionnaires et retraités censés bénéficier dès le mois de janvier du relèvement à 30 000 zlotys (environ 6 600€) du seuil des revenus libres d’impôt (sans condition de ressource, contre 1 360 zlotys en 2021 mais uniquement pour les bas revenus), puisque cet impôt est prélevé à la source, ont vu leur rémunération nette réduite en janvier du fait d’erreurs de calcul ou d’interprétation par les comptables ou parce qu’ils n’avaient pas fait une déclaration qu’ils auraient dû faire avec la réforme, et inversement pour ceux qui ont remis une déclaration qu’ils ne fallait plus faire.

Le 7 janvier, le Premier ministre Mateusz Morawiecki a présenté ses excuses aux Polonais et promis que les erreurs seraient rapidement corrigées de manière à ce que les sommes indûment retenues soient versées avant le mois de février. Et il en a profité pour défendre cette réforme. « Nous voulons que tous les Polonais gagnent mieux leur vie. Mais avant tout, ce sont ceux qui ont été négligés jusqu’à présent qui doivent gagner plus. Après tout, c’est la raison d’être de l’impôt progressif », a déclaré M. Morawiecki qui a reproché au système précédent d’avantager les plus riches et de désavantager les plus pauvres, plus fortement taxés en pourcentage de leurs revenus.

Cependant, quand ils martèlent, comme l’a encore fait tout récemment la ministre de la Famille Marlena Maląg, que « les solutions fiscales du programme Ordre polonais ont pour but de contribuer à ce que les familles polonaises vivent mieux » et que les personnes gagnant moins de 12 800 zlotys par mois (env. 2 800€) n’y perdront pas tandis que celles qui gagnent jusqu’à 5 700 zlotys (env. 1 200€) sont bénéficiaires de la réforme, les membres et porte-parole du gouvernement font l’impasse sur les plus de 2,5 millions de Polonais qui gagnent leur vie sous le régime de l’entreprise individuelle et qui sont, eux, majoritairement perdants. En effet, plutôt que de payer un montant fixe pour l’assurance santé obligatoire en grande partie déductible de l’assiette de l’impôt sur le revenu, ils devront désormais reverser 9% de leurs revenus pour cette cotisation désormais non déductible de l’assiette de l’impôt et donnant accès aux soins gratuits proposés par un système public de santé très défaillant.

Du coup, pour la plupart des Polonais en entreprise individuelle, y compris pour ceux à bas revenus, la note de la réforme va être salée. À moins d’opter pour la taxation forfaitaire de leur chiffre d’affaires, mais là aussi la réforme n’est pas complète. Car si nombreux sont aujourd’hui les entreprises individuelles qui pourraient limiter leurs hausses d’impôts en optant pour ce régime qui ne permet pas de déduire ses charges mais qui offre des taux d’imposition plus réduits et surtout un montant fixe, très avantageux (mais d’environ 40 % plus cher qu’en 2021), de cotisation d’assurance santé, les taux d’impôt sur le revenu applicables au chiffre d’affaires dépendent de l’activité exercée sans qu’il n’existe de liste précise. Les médias polonais mettent donc en garde contre le risque de redressement ultérieur si l’administration fiscale conteste les taux d’imposition que se seront appliqué les entrepreneurs individuels, sachant qu’ils peuvent aussi avoir à appliquer des taux d’impôt sur le revenu différents pour différentes factures, en fonction des prestations couvertes par ces factures. Il est en outre très difficile pour ces entrepreneurs individuels de choisir en ce début d’année le régime d’imposition qui les avantagera le plus. De nombreux sites proposent certes des outils pour calculer la meilleure option en fonction des recettes et dépenses prévues, mais ceux-ci ne sont pas au point, sans doute du fait du temps trop court qui s’est écoulé entre l’adoption par le parlement des derniers détails de la réforme et son entrée en vigueur, et ils donnent des résultats divergents. Du coup, ce qui est présenté par le gouvernement polonais comme une simplification de la fiscalité est un vrai casse-tête pour les millions d’entrepreneurs.

Le ministre des Finances Tadeusz Kościński estime toutefois que « beaucoup de gens ont obtenu plus d’argent, mais ils se taisent et sont contents, tandis que ceux qui ont reçu moins se plaignent bruyamment. » Précisons que la réforme n’a pas fait que relever le premier seuil d’imposition puisque le deuxième seuil (il n’y en a que deux en tout), à partir duquel le taux d’imposition de base de 17 % passe à 32 % (pour les revenus au-dessus de ce seuil) est depuis le 1er janvier de 120 000 zlotys (env. 26 500 €) au lieu de 85 000 zlotys (env. 18 800 €).

Mais il n’y a pas que les perdants de la réforme fiscale qui se plaignent. Depuis mardi, les fonctionnaires des impôts sont forcés de faire des heures supplémentaires pour répondre aux nombreuses questions des contribuables entre 8h et 19h tous les jours, et ils regrettent de ne pas avoir été suffisamment formés aux nouveautés de cet « Ordre polonais » afin de pouvoir lever les doutes. Pour les représentants du syndicat Związkowa Alternatywa au sein de l’administration fiscale, le ministère des Finances n’a pas commis que des erreurs législatives avec cette réforme, mais aussi des erreurs au niveau de l’organisation de sa mise en œuvre.

C’est ainsi que le programme « Ordre polonais », dont les grandes lignes avaient été présentées par le Premier ministre Mateusz Morawiecki en mai dernier, est déjà surnommé « Désordre polonais » par l’opposition et par les médias. Censé laisser 17 milliards de zlotys en plus dans les portefeuilles des contribuables cette année, ce dont doivent bénéficier 18 millions de Polonais, il devait en outre s’appuyer sur les fonds du plan de relance européen Next Generation EU qui restent bloqués par la Commission européenne. Tout cela afin de relancer une économie déjà en surchauffe à en croire les chiffres de l’inflation (8,6 % l’an), de la croissance (environ 5,2% en 2021 selon les estimations du ministère des Finances, après la récession de 2,8 % en 2020) et du chômage (à 3% de la population active en novembre 2021 selon la méthode de calcul Eurostat, contre une moyenne de 6,5 % dans l’ensemble de l’UE).