Pologne – Le dimanche 8 mai 2022, la Pologne apprenait la mort prématurée d’un homme brillant. Le professeur Waldemar Paruch, 57 ans, était un intellectuel et politologue proche du parti Droit et Justice (PiS) de Jarosław Kaczyński. En 2018, le professeur Paruch fonde le Centre d’analyse gouvernementale du Premier ministre, un organe assurant la coordination des activités du Conseil des ministres, du Premier ministre et d’autres organes de l’administration gouvernementale. Il était également professeur de sciences sociales dans le domaine des sciences politiques et administratives, créateur et directeur de la chair de Méthodologie et Théorie des Sciences Politiques de l’université Marie Curie-Skłodowska à Lublin.
Le politologue de Lublin faisait partie des véritables « cerveaux » du PiS. Il était apprécié pour sa finesse d’analyse et ses compétences par la classe politique polonaise dans son ensemble. Son dernier ouvrage, Réalisme et valeurs, représente un guide incontournable pour quiconque désire comprendre la ligne politique de Jarosław Kaczyński et de son parti en ce qui concerne la politique étrangère et n’a pas (encore ?) été traduit en langue française.
À l’aune de la disparition prématurée du professeur Paruch, et parce que la ligne du parti Droit et Justice (PiS) est souvent incomprise en dehors de Pologne, nous proposons au lecteur un compte-rendu de Réalisme et valeurs. Droit et Justice et sa politique étrangère (Realizm i wartości. Prawo i Sprawiedliwość o polityce zagranicznej), dans lequel le politologue Waldemar Paruch explique en détail ce que devrait être, selon Jarosław Kaczyński et les siens, le rôle de la Pologne au sein de l’Union européenne et de l’OTAN.
Ni « euro-enthousiaste », ni « eurosceptique » mais « euroréaliste »
Dans son ouvrage Réalisme et valeurs. Droit et Justice et sa politique étrangère, Waldemar Paruch explique que la caractéristique fondamentale de la vision du PiS concernant la politique étrangère de la Pologne est l’euroréalisme, par opposition à l’euroscepticisme et à l’euro-enthousiasme. « L’euro-enthousiasme et l’euroscepticisme sont devenus des positions dogmatiques et les représentants de ces points de vue ne sont pas parvenus à réaliser des compromis voire à modifier leur opinion sur base des tendances internationales, et en particulier de la situation en Europe », nous explique-t-il.
Le professeur Paruch précise que, du point de vue du PiS, il n’y a pas lieu de diviser le débat de manière simpliste entre sceptiques et enthousiastes.
Pour les enthousiastes, l’UE est au fur et à mesure devenue prioritaire vis-à-vis de l’État, ayant le droit de limiter sa souveraineté et même de s’ingérer dans sa situation interne. Pour les euro-enthousiastes (majoritairement libéraux, progressistes), l’UE est considérée non pas comme une organisation internationale, mais plutôt comme une entité d’un type « super-État ».
Les habitants de ce super-État sont censés représenter une société supranationale (ou plutôt post-nationale). Les promoteurs de cette tendance attendent qu’une fois cette expérimentation constructiviste menée à bien, une fédération européenne verra le jour – un super-État bâti sur les ruines des nations européennes.
Pour le PiS, « il s’agit d’une falsification et d’une distorsion de la réalité européenne, dominée par les nations ainsi que les États les représentant avec leur propre identité politique, façonnée par un processus historique […] Il n’existe pas un peuple européen. Notre continent est habité par différentes nations et les caractéristiques communes que nous devons au christianisme ne suffisent pas à créer un demos européen.
Pour le Président Lech Kaczyński, l’absence de ce demos signifiait aussi bien l’absence d’identité européenne que d’une opinion publique européenne. À l’occasion d’un entretien datant du janvier 2006 pour l’agence de presse polonaise PAP, le Président défunt insista sur le fait que « les Européens se définissent plutôt comme Polonais, Allemands, Français, Danois, etc. […] ». Du point de vue de Lech Kaczyński, l’élément qui soude l’UE demeure « la solidarité des États membres construite autour d’intérêts communs ».
Le professeur Paruch insiste sur le fait que la plupart des théories portant sur l’intégration sont issues de la pensée libérale. « Les éléments suivants sont enracinés dans le libéralisme : le (néo) fonctionnalisme, la théorie de la communication, une approche internationale, l’institutionnalisme et un système de gouvernance à plusieurs niveaux. C’est justement pour les libéraux que l’UE est devenue un objet d’analyses scientifiques et de projections ainsi qu’un argument soutenant le fait que les relations internationales ont subi des changements fondamentaux de nature historique. Or pour les réalistes, l’Union n’est qu’une organisation internationale parmi d’autres qu’il convient d’analyser en s’appuyant sur notre connaissance des relations internationales, de la politique étrangère et de l’État. »
Le politologue lublinois avance la théorie selon laquelle les sceptiques ont eux aussi réalisé une sur-interprétation du rôle politique de l’UE, y voyant « une menace pour la nation et l’État polonais d’un point de vue identitaire, mental, civilisationnel, culturel, social et économique ».
Pour les sceptiques, l’Union européenne représente une contradiction de l’intégration européenne, c’est pourquoi – selon eux – la Pologne devrait fonctionner en dehors de cette UE qui nuit aux intérêts nationaux, attaque les valeurs chrétiennes et représente un danger pour la démocratie allant même jusqu’à rappeler l’Union soviétique.
À l’occasion d’une réunion publique du PiS en 2019, le député Konrad Szymański a mis en lumière ce qu’il interprète comme deux formes de populisme : l’un anti-européen, l’autre euro-enthousiaste. Selon ses dires, « le premier fleurit par le biais de slogans nationalistes, le second au nom de l’UE […] ».
Waldemar Paruch affirme que le choix de l’orientation euroréaliste du PiS a, tout comme son rapport à l’OTAN, un caractère « profondément idéologique ». Il explique par ailleurs que la caractéristique de l’euroréalisme est « l’acceptation générale de l’intégration mais avec d’importantes réserves :
1) envers certaines tendances à la création d’un espace public supranational ;
2) envers le transfert progressif de compétences importantes des États membres vers les institutions européennes ;
3) envers la création progressive d’abord d’un super-État, ensuite d’une fédération européenne et d’un peuple européen comme base sociale ;
4) envers les procédures et négociations inhérentes au système politique de l’Union européenne qui remplacent les valeurs sur lesquelles la Communauté devrait être fondée. »
Pour le chef du PiS Jarosław Kaczyński, ce n’est pas l’appartenance à l’UE (ou à l’OTAN) elle-même qui doit être vue comme un succès. Selon lui, c’est l’attitude du gouvernement dans le cadre de ces organisations qui compte réellement. Avant même l’entrée de la Pologne dans l’UE en 2004, Jarosław Kaczyński insistait sur le fait que la condition sine qua non de l’adhésion de son pays devrait être la certitude du maintien de la souveraineté de ce dernier.
Waldemar Paruch explique que pour le PiS, l’accession à l’UE était aussi bien une nécessité historique (voire même une fatalité) tout en étant un choix pragmatique. Les dirigeants du PiS estimaient que le refus d’adhérer à l’UE condamnerait la Pologne à rester dans l’orbite de Moscou. En 2002, Jarosław Kaczyński résumait cette situation en affirmant que la Pologne n’avait alors tout simplement « pas le choix ».
Quatre ans plus tard, son frère jumeau, Lech, clarifiera néanmoins l’approche de son parti vis-à-vis de l’adhésion à l’UE. « […] Je suis pour l’Union européenne. Affirmer que je fais partie des opposants à l’Union relève du malentendu ». Il soulignera par ailleurs le fait que selon lui, l’entrée de la Pologne dans l’UE représente un « énorme succès ».
Le déficit démocratique des institutions de l’UE
Selon la direction du PiS, l’un des facteurs les plus importants déterminant le statut de la Pologne dans le jeu européen demeure la souveraineté de l’État. C’est pourquoi dès 2002, le PiS a formulé un postulat pour amender la constitution polonaise afin de garantir la supériorité des droits constitutionnels polonais sur ceux des traités de l’UE, prenant ainsi exemple sur l’Allemagne. Les mots clés récurrents dans la vision de la politique européenne du PiS sont la souveraineté, la solidarité et la liberté.
Le professeur Waldemar Paruch rappelle dans son ouvrage détaillant la pensée politique des frères Kaczyński que dans la perspective d’adhérer à l’UE, ceux-ci « réclamaient le respect de deux principes :
- toutes les décisions de traité transférant des compétences étatiques à l’UE devraient être approuvées par voie de référendum;
- le Tribunal constitutionnel doit avoir le droit de juger la conformité des traités de l’UE avec la Constitution de la République de Pologne ».
Comme le souligne Waldemar Paruch dans son ouvrage, l’attitude critique des maîtres à penser du PiS envers les institutions européennes ne date pas d’hier. En 2005, les frères Kaczyński firent publier un document intitulé La Pologne catholique dans une Europe chrétienne dans lequel ils réclamaient « l’intégration dans la Constitution européenne d’une mention de Dieu et de l’héritage chrétien de l’Europe ».
Le professeur Paruch rappelle qu’on retrouve dans ce document (publié peu avant la victoire du PiS au législatives de 2005) de sévères critiques à l’encontre de l’UE. Dans un extrait du texte, on y apprend que dans certains cas extrêmes « l’UE soutient la dégénérescence, les pathologies morales voire même les crimes considérés comme l’expression de la liberté humaine et le symbole d’une société ouverte ». Waldemar Paruch insiste ensuite sur le fait qu’on ne retrouvera plus de telles attaques dans les futurs programmes du PiS, en particulier durant la période 2014-2019.
Plus loin dans son ouvrage, il reprend une déclaration du brillant Krzysztof Szczerski, ancien proche conseiller du Président Andrzej Duda au sujet des institutions européennes. « Les institutions européennes […] ne peuvent pas être elles-mêmes à la base de leur propre pouvoir […] Sur base des traités, seuls les États membres peuvent octroyer des compétences étant donné que ce sont eux qui ont la compétence de la compétence ». Autrement dit, les institutions de l’UE sont perçues comme des « outils créés dans le but d’aider les États membres et fonctionner pour le bien commun. »
Dès le lendemain de la victoire du PiS aux législatives de l’automne 2015, les relations entre Bruxelles et Varsovie se sont brusquement refroidies. Du point de vue du gouvernement conservateur polonais, ce sont les eurocrates socialistes et libéraux qu’il convient de pointer du doigt. Jusqu’aujourd’hui, le PiS s’en prend aux institutions pour ce que Waldemar Paruch formule comme les « ingérences motivées politiquement dans les questions de politique intérieure des États membres ». Dès lors, les dirigeants polonais réclament que les institutions de l’UE cessent d’élargir leur spectre de competence et de s’en tenir à ce qui est inscrit dans le Traité de Lisbonne en la matière sur base du principe de subsidiarité.
Par ailleurs, plusieurs personnalités du PiS, dont l’eurodéputé Jacek Saryusz-Wolski, soulignent le « deux poids deux mesures » pratiqué vis-à-vis de la Pologne dans le cadre de ces réformes de la justice. En effet, les récentes réformes du système judiciaire polonais ont placé Varsovie dans le collimateur du mainstream de l’UE, et ce malgré le fait que les nouvelles législations en la matière ressemblent à s’y méprendre à ce que l’on retrouve dans plusieurs pays d’Europe occidentale (notamment en Allemagne et en Espagne).
Waldemar Paruch rappelle ensuite les critiques des chefs du PiS envers le Parlement européen. L’ancien Maréchal de la Diète Marek Kuchciński dira en 2016 que le modèle du parlementarisme européen « possède des défauts de conception et fonctionne mal ».
En guise de solution à ces problèmes, Marek Kuchciński proposait le renforcement du rôle des parlements nationaux comme – selon lui – seuls garants du bon fonctionnement de l’UE. Marek Kuchciński recommandait de se tourner vers les parlements nationaux pour deux raisons principales. Premièrement, pour leur « forte légitimité démocratique ». Deuxièmement, car ils sont « une plateforme de communication entre l’UE et les citoyens ».
Parmi les trois principales institutions de l’UE (le Parlement, la Commission et le Conseil), c’est le Conseil européen qui est considéré comme le plus légitime, étant donné que ce sont les chefs d’État et de gouvernements qui y siègent.
Les éléments évoqués ci-dessus concernant la critique des institutions européennes par le parti de Kaczyński sont bien entendu loin d’être exhaustifs. Ils peuvent néanmoins apporter quelques indications expliquant le fait que le PiS appartient au groupe des Conservateurs et Réformistes au Parlement européen. Comme évoqué plus haut, les dirigeants du parti Droit et Justice formulent de vives critiques à l’encontre du fonctionnement de l’UE non pas pour la détruire de l’intérieur mais dans l’espoir d’améliorer son fonctionnement.
Le pragmatisme de la politique politicienne: « condamnés à la rivalisation »
Dans son livre Réalisme et valeurs. Droit et Justice et sa politique étrangère, le politologue Waldemar Paruch souligne le vide axiologique observé par le parti le PiS autour de la question de l’adhésion à l’OTAN et à l’UE. Il reprend les mots de l’écrivain Bronisław Wildstein selon lequel « l’atmosphère intellectuelle autour de l’adhésion à l’OTAN et à l’UE, bien que profitable à notre pays, devait être l’acte final de notre histoire ». Or Waldemar Paruch rappelle que du point de vue du PiS, l’adhésion de la Pologne à ces deux organisations représentait l’opportunité de mener un jeu politique profitable sur la scène internationale, à condition de faire de ces adhésions un usage réfléchi, rationnel et pragmatique.
Dans le contexte de la politique internationale, le politologue lublinois explique que le PiS part d’une prémisse fondamentale selon laquelle l’ordre mondial est non pas constitué sur base des normes internationales mais plutôt du rapport de force entre les différents États étant « historiquement condamnés à la rivalisation ». Dans l’espoir d’en sortir vainqueur, il convient donc de renforcer son potentiel politique, surtout d’un point de vue comparatif vis-à-vis de ses voisins. C’est d’ailleurs dans l’espoir de maintenir la compétitivité de la Pologne que le PiS à toujours été (très) critique envers l’intégration de leur pays la zone euro.
Dans le même ordre d’idées, c’est la raison pour laquelle le PiS « attache tant d’importance à certains facteurs influençant directement le potentiel de l’État comme la démographie, l’armée, l’économie, le système politique, l’éducation, la culture, l’identité […] Sans l’organisation de ces secteurs, l’État ne serait pas en mesure de jouer un rôle important dans la rivalisation internationale au sein de l’UE […] ».
Selon la politologue Joanna Sanecka-Tyczyńska, l’attitude euroréaliste du PiS est basée sur trois suppositions. Premièrement, la raison d’État doit primer sur l’intégration européenne. Deuxièmement, la souveraineté des États membres est prioritaire et est plus importante que l’Union, étant donné que ce sont ces derniers qui ont créé la communauté européenne de part un accord international volontaire. Troisièmement, le caractère de l’Union est a fortiori conflictuel étant donné la nature même des relations internationales.
Joanna Sanecka-Tyczyńska, citée par Waldemar Paruch, explique que l’une des caractéristiques de la pensée politique du PiS consiste en l’élaboration de différents scénarios (ou variantes) au sujet de la politique internationale. Elle énumère « six scénarios pensés par Jarosław Kaczyński concernant l’avenir de l’intégration européenne :
- le retour à l’intégration économique
- la création d’une fédération pan-européenne
- l’Union à plusieurs vitesses
- la subordination de l’UE à la collaboration germano-russe
- la fragmentation régionale de la communauté européenne
- la dissolution de l’UE. »
Chacune de ces variantes nécessitent bien entendu une stratégie politique adaptée au développement des événements futurs.
Le professeur Paruch continue sa description de l’euroréalisme selon le PiS en affirmant que les dirigeants de ce parti refusent la dichotomie intégration/souveraineté. Pour les frères Kaczyński, l’adhésion à l’UE devait permettre de renforcer la souveraineté de la Pologne. Selon cette logique, « plus d’Europe » ne devait pas nécessairement rimer avec « moins de Pologne ».
Pour le PiS, l’adhésion à l’UE en 2004 tenait de l’évidence « pour des raisons aussi bien géopolitiques, historiques, civilisationnelles et culturelles […] Le PiS considérait l’UE comme une organisation internationale composée d’États membres souverains ayant passé un accord librement les uns avec les autres […] La communauté européenne était perçue comme un environnement international au sein duquel peuvent être réalisés divers scénarios et variantes dépendant en grande partie de la politique menée par Varsovie ».
Waldemar Paruch décrypte le fait que le parti Droit et Justice considère l’UE comme un instrument que la Pologne devrait utiliser pour la réalisation de ses intérêts. Cette attitude signifie le refus de percevoir l’UE comme une entité politique mais plutôt comme une plateforme de coopération entre États souverains, libres et égaux. Selon cette vision, la Pologne fait bien d’être membre de l’UE car de cette manière, elle peut influencer son fonctionnement de l’intérieur et peut s’en servir dans le cadre de sa politique intérieure (modernisation) et étrangère (effet de levier).
Pour ce faire, un renforcement de la coopération régionale entre les pays d’Europe centrale était vu comme essentiel aux yeux des frères Kaczyński. « L’Europe centrale est vue par le PiS comme une entité géopolitique durable, existant indépendamment de son statut international, tandis que l’UE demeure perçue comme une entité correspondant à une certaine époque […] L’Europe centrale est considérée […] comme […] un facteur permettant de renforcer la position de la Pologne au sein […] de l’UE ». Le potentiel de la Pologne seule ne suffit donc pas, selon cette logique, à tendre vers un rééquilibrage des rapports de forces vis-à-vis de l’axe Berlin-Paris.
Waldemar Paruch explique que le PiS a « rationalisé » l’attitude de la Pologne envers l’intégration européenne. « […] Droit et Justice voit les institutions européennes comme une plateforme sur laquelle les États jouent un jeu politique, rivalisant pour la satisfaction de leurs revendications égoïstes. Dans ce contexte, les leaders du PiS redonnent à la politique sa dimension proprement politicienne basée sur la polarisation allié-ennemi […] ».
Cette dichotomie est observable dans le cadre de la politique de Varsovie vis-à-vis de l’OTAN.
L’OTAN « rend le monde meilleur »
Le rapport du PiS à l’OTAN peut être résumé par les mots de l’ancien Président polonais Lech Kaczyński prononcés le 13 mars 2009 dans le cade d’une allocution. « L’OTAN rend le monde meilleur. Ce n’est peut-être pas une organisation idéale mais sans elle le monde serait pire ».
Comme le souligne Waldemar Paruch, la vision de la politique étrangère de la Pologne se distingue de celle de la Plateforme civique (PO) du libéral Donald Tusk au pouvoir entre 2007 et 2015. Celle-ci était marquée par ce qui est perçu par les conservateurs comme une attitude de « clientélisme » vis-à-vis de Moscou et Berlin.
L’adhésion de la Pologne à l’OTAN en 1999 était vue par l’écrasante majorité des Polonais comme un succès indiscutable. Cet événement permettait à la Pologne de sortir de la « zone grise » apparue en Europe centrale au lendemain de la chute de l’Union soviétique.
Dès le tournant du siècle, les frères Kaczyński insistaient sur le fait que la simple appartenance au Traité ne suffisait pas. À l’instar de son approche envers l’UE, le PiS perçoit l’appartenance de la Pologne à l’OTAN non pas comme un fin en soi mais plutôt comme un premier pas indispensable menant à une stabilisation de la sécurité de la région d’Europe centrale et orientale.
Pour le PiS, l’OTAN représente la plus importante forme de collaboration multilatérale au niveau politico-militaire et est garante de la sécurité et de la stabilisation du continent. Ainsi, les avantages économiques dus à l’appartenance à l’UE passent au second plan, au profit de la sécurité militaire, perçue comme la priorité absolue.
Le professeur Paruch explique que le rôle clé des États-Unis au sein de l’OTAN ne fait pas l’ombre d’un doute dans les rangs du PiS. De ce point de vue, le leadership des États-Unis n’est pas uniquement perçu comme un fatalisme auquel il faut s’habituer, même à contrecœur. Il s’agit, au contraire, d’un état de fait qu’il convient d’encourager.
Dans son programme de 2009, les PiS (alors dans l’opposition) présente ses trois piliers censés façonner la position de la Pologne sur la scène internationale :
- appartenance à l’OTAN
- relations de partenariat avec les États-Unis
- collaboration rapprochée avec les États indépendants « situés à l’Est de l’Union européenne » – on parle bien entendu ici des pays du Partenariat oriental, mais pas de la Russie ou de la Biélorussie
L’une des questions illustrant l’attitude du PiS vis-à-vis de l’OTAN est celle de l’installation d’un bouclier anti-missiles devant officiellement protéger la partie orientale de l’OTAN contre une potentielle attaque en provenance d’Iran ou de Corée du Nord. L’installation de ce bouclier anti-missiles (qui n’aboutit finalement pas) devait représenter une « garantie du partenariat stratégique polono-américain ».
L’appartenance à l’OTAN et le renforcement de la position de la Pologne au sein de cette organisation sont vus comme la pierre angulaire de la politique étrangère de la Pologne par le PiS.
Dans son ouvrage, le professeur Paruch énumère toute une série d’initiatives menées par les plus hautes personnalités liées à ce parti (présidents, premiers ministres, ministres de la défense et des affaires étrangères, …) visant à moderniser l’armée tout en augmentant la présence militaire de membres de l’OTAN, en particulier de troupes des États-Unis, sur le sol polonais.
Jarosław Kaczyński et les siens partagent l’avis selon lequel l’histoire de la Pologne donne des arguments solides soutenant la thèse selon laquelle la paix et la stabilité ne sont jamais données une fois pour toute ni acquises. Suivant cette logique, il convient donc de s’appuyer sur le levier stratégique que représente l’OTAN de manière préventive afin de décourager un potentiel agresseur.
Jusqu’aujourd’hui, le PiS demeure le parti polonais présentant la ligne la plus « américanophile ». Selon l’ancien Ministre de la Défense Antoni Macierewicz, c’est précisément une des raisons expliquant les succès électoraux de ce parti. Selon lui, « les Polonais recherchent un sentiment de sécurité et le seul parti qui explique clairement et sans rougir l’importance d’une collaboration étroite avec l’OTAN et donc de fait avec les États-Unis, c’est le PiS. […] S’il existait une meilleure possibilité, nous serions peut-être intéressés. En attendant, les États-Unis sont notre principal partenaire stratégique ».
L’attitude bienveillante du PiS et de son électorat envers les États-Unis est conjuguée à une méfiance aiguë vis-à-vis de la Russie. Le puissant voisin oriental de la Pologne est perçu depuis longtemps comme la principale menace pour la sécurité régionale ainsi que l’intégrité territoriale des pays d’Europe centrale et orientale.
La guerre de Tchétchénie (2002), le conflit en Géorgie (2008) ainsi que les affrontements en Ukraine orientale (depuis 2014) et l’annexion de la Crimée ont renforcé les craintes des conservateurs polonais vis-à-vis du Kremlin. Il va sans dire que l’intensification du conflit ukrainien depuis février 2022 ne fait qu’accentuer cette position.