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L’erreur de l’euro: pourquoi les Polonais auraient tort d’adopter la monnaie européenne

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 5 minutes

« Conformément aux principes régissant l’économie, pour que l’euro fonctionne comme monnaie unique, il faudrait que toute la zone ait le même potentiel économique que l’Allemagne. Ce n’est pas le cas de la Pologne, et même les Italiens et les Français perdent du terrain par rapport à la principale puissance économique du bloc », estime Zbigniew Krysiak, professeur de finance à l’École des hautes études commerciales (SGH) de Varsovie

Un entretien publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

Karol Gac : Le 1er janvier, la Croatie a rejoint la zone euro. Les Bulgares et les Roumains comptent également adopter la monnaie européenne dans un avenir proche. Du coup, le débat sur l’adoption de la monnaie commune a repris de plus belle en Pologne. Notre pays ne devrait-il pas suivre la voie de la Croatie ?

Zbigniew Krysiak : Absolument pas. En tout état de cause, la Croatie n’aurait pas dû non plus adopter l’euro. Conformément aux principes régissant l’économie, pour que l’euro fonctionne comme monnaie unique, il faudrait que toute la zone ait le même potentiel économique que l’Allemagne. Ce n’est pas le cas de la Pologne, et même les Italiens et les Français perdent du terrain par rapport à la principale puissance économique du bloc. En Croatie, on voit déjà les conséquences négatives de l’adoption de la monnaie européenne. Du jour au lendemain, les biens ont vu leur valeur réévaluée. Cela s’est traduit par une augmentation des prix, mais aussi par une chute brutale de la valeur des actifs détenus par les Croates. C’est l’effet de l’introduction d’une monnaie commune lorsqu’il n’y a pas d’équilibre des potentiels. Ce potentiel ne peut pas se calculer uniquement sur la base du PIB par habitant, car cette mesure est très trompeuse, comme on peut le constater, par exemple, avec les pays africains.

Karol Gac : Vous évoquez l’asymétrie économique au sein de l’Union européenne. Il est vrai qu’il y a de fortes différences au sein de l’UE et de la zone euro. Vous êtes co-auteur d’un rapport sur le bilan économique de l’adhésion de la Pologne à l’UE. Il n’est sans doute pas inutile de rappeler que ce qui est bon pour l’Allemagne ne l’est pas forcément pour les pays d’Europe centrale et orientale, n’est-ce pas ? D’autant plus que c’est l’Allemagne qui profite le plus de la forme actuelle de l’UE et de la zone euro.

Zbigniew Krysiak : L’objectif de ce rapport, que j’ai préparé avec le professeur Tomasz Grosse, était de montrer le déséquilibre économique dans l’Union européenne, c’est-à-dire la répartition inégale des bénéfices. Il faudrait changer le modèle économique de l’UE pour que ce ne soit pas surtout l’Allemagne et les Pays-Bas qui profitent du marché unique et beaucoup moins les autres pays. Le modèle économique actuel ne marche pas bien. Sur le long terme, il nuit à l’ensemble de l’UE qui cesse d’être compétitive par rapport au reste du monde. Cela se voit déjà, par exemple, avec le secteur bancaire allemand, qui est le moins rentable. Il en va de même pour tout le secteur financier allemand par rapport aux autres pays. Et le mauvais fonctionnement du système bancaire en Allemagne affecte aussi le fonctionnement des petites et moyennes entreprises, ce que diverses associations d’entreprises allemandes soulignent avec force aujourd’hui. La pression, pour ne pas dire l’agression, des capitaux allemands à l’égard de pays tels que la Pologne, la Roumanie ou la Slovaquie, s’explique par le fait que les entreprises allemandes disposent d’une marge de manœuvre très réduite pour gagner de l’argent chez elles, de sorte que leurs bénéfices ne sont pas le résultat d’une économie nationale performante, mais de l’exploitation économique d’autres pays.

Karol Gac : Quel impact cela a-t-il sur l’Union européenne ?

Zbigniew Krysiak : C’est un impact négatif. Il y a quelques années, un groupe de réflexion allemand mandaté par la Commission européenne a rédigé un rapport dont tout le monde s’attendait à ce qu’il soit favorable aux Allemands. Or ce rapport montre que seuls l’Allemagne et les Pays-Bas ont tiré profit de la zone euro, tandis que tous les autres y ont perdu. Par exemple, dans le cas de la France ou de l’Italie, les pertes ont été de l’ordre de 2 à 3 budgets. L’Allemagne détient environ 70 % du surplus des exportations sur les importations de l’UE et accumule les excédents. C’est elle qui a la meilleure part. Les Allemands achètent en Pologne à prix réduits, de sorte que notre marge est faible, puis ces produits intermédiaires sont intégrés dans des produits finis en fixant une marge élevée. Ces produits finis sont ensuite vendus sur des marchés tiers, et ce sont les Allemands qui empochent les bénéfices.

L’adhésion de la Pologne à l’UE nous a apporté du développement économique, mais il faudrait que ce développement soit symétrique. Si nous travaillons ensemble sur un projet, il ne faut pas que certains en profitent à 100%, d’autres à 80% et nous à seulement 20%. Nominalement parlant, la Pologne s’est développée, mais les ménages polonais y ont gagné incomparablement moins que les entreprises occidentales. Des conclusions similaires ont été présentées par la Commission européenne. Dans son analyse, la Commission a indiqué les bénéfices par habitant pour chaque pays. Depuis notre adhésion à l’UE, le Polonais moyen a augmenté son capital de 10.000 euros, l’Allemand de 35.000 euros, le Français de 42.000 euros et le Néerlandais de 88.000 euros. Cela signifie que nous ne pourrons jamais rattraper l’Allemagne ou les Pays-Bas, à moins de changer le modèle économique de l’UE de manière radicale. La raison d’être de la Communauté européenne est d’assurer la convergence, c’est-à-dire l’égalisation du potentiel économique des États membres. Le plus important pour les citoyens, c’est que le capital possédé par les ménages polonais (immobilier, actions, obligations, liquidités) soit similaire à celui des Allemands. Cette mesure n’est pas reflétée dans la seule comparaison des PIB.

Nous avons voulu, nous Polonais, en appeler à la raison des fonctionnaires de Bruxelles et des dirigeants des autres pays, car une économie gérée de cette manière crée de graves problèmes de zones de pauvreté. Malheureusement, le taux de chômage élevé, par exemple en Espagne, et les problèmes en France illustrent parfaitement ce danger.

Karol Gac : Revenons à la Pologne et à notre monnaie. Que nous apporte le zloty ? Quelle est l’importance d’une monnaie nationale ?

Zbigniew Krysiak : Tout d’abord, une monnaie nationale est comme un baromètre qui mesure le potentiel économique. Ce n’est pas juste un instrument d’échange de marchandises. Un rôle essentielle d’une monnaie nationale est de mesurer la dynamique d’une économie et d’en évaluer le potentiel. L’introduction de l’euro nous priverait de ce baromètre, car l’euro ne joue ce rôle d’indicateur que pour l’économie allemande. Il ne joue pas ce rôle pour les autres pays. Le taux de change de notre monnaie nationale est déterminé par les mécanismes du marché dans le cadre des transactions d’import-export. Le taux de change du zloty n’est pas imposé, ce qui nous permet de déterminer correctement sa valeur, et c’est très important.

Par exemple, si l’Allemagne a des symptômes de récession et de l’inflation, nos exportations deviennent plus attractives. Et ce mécanisme fonctionne de telle manière que les taux d’intérêt sont liés au taux de change. Notre banque centrale fixe les taux d’intérêt de manière autonome, ce qui rend le taux de change stable. Si nous avions l’euro en Pologne, nous n’aurions pas de souveraineté sur les taux d’intérêt, et le taux de change fixe détériorerait la parité des biens à l’exportation. Notre économie, avec sa propre monnaie, est plus souple et plus compétitive. Si nous avions l’euro, c’est la BCE qui déciderait des taux d’intérêt. Or la BCE fixe ses taux de manière telle que la parité des échanges de biens et services favorise le plus l’Allemagne. En d’autres termes, avec l’euro, nous serions toujours dans une situation de moindre compétitivité, ce qui nous empêcherait de rattraper le potentiel de l’économie allemande.

Zbigniew Krysiak est professeur de finance à l’École des hautes études commerciales (SGH) de Varsovie. Il est l’auteur de plus de 140 publications et de plus de 100 critiques d’articles scientifiques. Il est également président du Conseil des programmes de l’Institut de la pensée de Schuman (Instytut Myśli Schumana), qui promeut et met en œuvre les idées du serviteur de Dieu Robert Schuman dans la société.

Traduit par le Visegrád Post