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Face à l’assaut des migrants, l’UE va-t-elle enfin défendre ses frontières ?

Sovereignty.pl est un site d'opinion en langue anglaise avec des chroniqueurs et commentateurs conservateurs polonais qui écrivent sur les grands sujets alimentant le débat public dans leur pays.

Temps de lecture : 5 minutes

« De plus en plus de gens naissent en Afrique, les conditions climatiques s’aggravent et les problèmes liés aux conflits se multiplient. Nous devons nous attendre à une pression migratoire accrue », affirme Jan Wójcik, expert polonais en matière de migration à la fondation The Opportunity.

Un entretien de Karol Gac, rédacteur en chef du site dorzeczy.pl, publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.

 

Karol Gac : D’où viennent les immigrants arrivant en Europe ? Quelles sont les principales directions et routes migratoires ?

Jan Wójcik : Si nous parlons d’immigration clandestine, il s’agit principalement de personnes originaires d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie centrale et du Sud-Est. Cependant, n’oublions pas qu’il s’agit de processus dynamiques et que les choses changent. Par exemple, en 2022, un très grand nombre de personnes venaient d’Afghanistan et de Syrie, tandis que cette année nous voyons de plus en plus de ressortissants de pays comme le Pakistan, la Guinée ou le Cameroun. L’immigration en provenance de Côte d’Ivoire a aussi été multipliée par plus de huit (de 900 à près de 8.000 personnes au premier trimestre).

En ce qui concerne les routes migratoires, une certaine dynamique est également à l’œuvre. La route la plus populaire pour entrer illégalement dans l’UE est la route dite de la Méditerranée centrale, qui va de la Libye ou de la Tunisie à l’Italie. Entre 2014 et 2015, la plus forte immigration se faisait par la route de la Méditerranée orientale, à travers la Turquie et la Grèce, qui devenait plus loin la route des Balkans. La route des Balkans occidentaux était très populaire cette année-là. Toutefois, un certain nombre de mesures ont été prises par les pays situés le long de cet itinéraire pour le colmater un peu. Fin 2022, par exemple, l’Autriche a bloqué l’extension de l’espace Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie, estimant que ces pays ne protégeaient pas suffisamment les frontières de l’UE. Comme on peut le voir, la présence des migrants a aussi des conséquences politiques.

Karol Gac : Pourquoi ces personnes choisissent-elles d’immigrer illégalement ? Ne peuvent-elles pas utiliser la voie légale ?

Jan Wójcik : Il s’agit d’une question très complexe. En général, ces personnes ne choisissent pas la voie légale pour diverses raisons. Certains d’entre eux ne sont même pas conscients des possibilités. J’ai des amis qui se sont rendus au Nigeria et ont rencontré des personnes dont l’éducation aurait permis de chercher un travail légal dans l’UE. Cependant, ils n’avaient aucune information sur la manière dont ils pouvaient s’y prendre. La deuxième chose, c’est qu’il y a des blocages importants de la part des services consulaires, qui sont réticents à accorder des visas aux personnes sans le niveau d’éducation requis. En 2015, l’Allemagne pensait résoudre les problèmes de son marché du travail en laissant entrer une immigration massive. Huit ans plus tard, elle constate que ce n’était pas la bonne solution. Cette année, les Allemands ont commencé à ouvrir des centres d’emploi dans les pays d’Afrique et d’Asie afin de rechercher des personnes capables de travailler légalement. Les pays de l’UE veulent réduire l’immigration clandestine en proposant en contrepartie d’ouvrir leur marché du travail aux pays tiers. Cette question doit être discutée avec les pays africains ou le Pakistan, entre autres.

[…]

Karol Gac : Pensez-vous que l’Union européenne ait une idée pour résoudre les problèmes de l’immigration clandestine ? On entend parler d’un pacte migratoire qui revient en partie à la relocalisation déjà proposée il y a huit ans.

Jan Wójcik : Il a fallu huit ans à l’UE pour modifier son approche de l’immigration clandestine. Même le Parlement européen, qui est une institution particulièrement libérale en la matière, penche désormais en faveur d’une augmentation des fonds consacrés à la protection des frontières et d’une approche sécuritaire. Par ailleurs, la partie du pacte sur les migrations visant à limiter les possibilités de déposer des demandes dans plusieurs pays a été acceptée, ce qui doit décourager les migrants. Le principe de coopération avec les pays tiers a aussi été accepté. On constate donc certaines évolutions. Je pense que la question de la relocalisation est un peu trop diabolisée en Pologne, car il nous a en fait été donné la possibilité de ne pas accueillir d’immigrants. Le plus gros problème semble être la manière dont la décision elle-même a été prise, c’est-à-dire à la majorité et non par consensus. Le montant de 20.000 euros par migrant semble élevé, mais n’oublions pas qu’il s’agit de couvrir le coût de leur accueil pendant plusieurs mois et du travail de nombreuses personnes qui travaillent à cet accueil. Je ne me fais pas d’illusions quant à une éventuelle amélioration de la situation. Je pense que le coût de la gestion de la migration va aller en augmentant et que ce sera une dépense permanente. De plus en plus de gens naissent en Afrique, les conditions climatiques s’aggravent et les problèmes liés aux conflits se multiplient. Nous devons nous attendre à une pression migratoire accrue.

Karol Gac : Mais l’adoption de ce pacte ne risque-t-elle pas de générer d’autres problèmes ? Dans peu de temps, nous pourrions être confrontés à une nouvelle vague d’immigration si les gens apprennent qu’il y a une place pour eux dans l’UE.

Jan Wójcik : En ce qui concerne la relocalisation, je suis contre. Je ne vois de toute façon pas comment on peut faire pour que ces personnes restent chez nous. Nous savons bien qu’elles veulent se rendre dans les pays d’Europe occidentale ou du Nord et non en Europe centrale et orientale. Cependant, je comprends qu’il s’agit d’un certain geste envers les pays qui subissent la pression de l’immigration clandestine. Mais le diable est dans les détails. La question est de savoir si nous allons relocaliser tout le monde, ou seulement ceux qui peuvent prétendre au statut de réfugié ? Si ce pacte n’a pour effet que de relocaliser, de renforcer les frontières et en même temps d’accélérer la procédure de Dublin avec la possibilité de renvoyer les migrants dans le premier pays, ce serait très mauvais pour nous. Les pays qui ne sont pas situés aux frontières extérieures de l’UE seraient les principaux bénéficiaires, car ils pourraient expulser les migrants vers les pays frontaliers. Cependant, si tout cela s’accompagne d’accords de réadmission avec des pays tiers, alors ce pacte aura un sens, mais nous ne connaissons pas encore tous les détails. Il nous faut observer les discussions de l’UE avec des pays tiers comme la Tunisie. Les pays de l’UE pourraient renvoyer ces personnes dans les pays par lesquels elles sont entrées en Europe, par exemple.

Karol Gac : L’immigration clandestine est associée à de nombreux phénomènes négatifs. La criminalité est en hausse, ainsi que le risque d’attaques terroristes. Quels effets à court et à long terme l’immigration clandestine pourrait-elle avoir sur l’UE ?

Jan Wójcik : Je vais diviser ma réponse en deux parties. L’une concerne l’immigration clandestine et l’autre le manque d’intégration. En ce qui concerne la première partie, les États sont confrontés à des coûts énormes. L’Allemagne a payé 20 milliards d’euros pour les dépenses liées à l’immigration sur son seul budget fédéral. En outre, les routes migratoires ont été utilisées pour faire passer des terroristes. Aujourd’hui, nous savons avec certitude que dire cela n’est pas tomber dans l’alarmisme : des terroristes sont bien arrivés par ces routes, avec entre autres conséquence les attentats de Paris et de Bruxelles. Cela a été officiellement confirmé par Frontex et, aujourd’hui, les services italiens nous envoient des signaux similaires. En outre, ces personnes ont souvent des traumatismes de guerre ou des problèmes psychologiques. Si elles ne sont pas soutenues, elles peuvent s’orienter vers des groupes criminels, et elles sont aussi une cible de recrutement de choix pour les groupes radicaux.

En revanche, ce dont nous parlons beaucoup aujourd’hui – les incendies de voiture et infrastructures en France, les gangs en Suède, les problèmes de cohésion sociale, les conflits à l’école ou les différences culturelles – est, entre autres, le résultat d’une mauvaise intégration. Pendant plusieurs décennies, on a pensé que l’État n’était qu’une sorte de cadre dans lequel chacun pouvait vivre comme il l’entendait. Ces conflits n’opposent pas seulement les immigrés aux citoyens autochtones, mais ce sont aussi des conflits importés entre groupes d’immigrés. Nous avons, par exemple, le conflit entre les Kurdes et les Turcs, les tensions religieuses entre différentes communautés musulmanes, etc. La question est de savoir si le manque d’intégration est dû uniquement à notre mauvaise politique d’immigration ou c’est plutôt par la volonté des immigrants eux-mêmes.

 

Jan Wójcik est un chercheur travaillant sur les migrations à la Fondation The Opportunity, et un collaborateur régulier du magazine polonais de relations internationales “Układ Sił”. Wójcik publie également dans les médias polonais Infosecurity24 et “Dziennik Gazeta Prawna”.

Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl

 

Traduction : Visegrád Post