La prostitution devient désormais le « travail du sexe ». Gagner de l’argent avec sa sexualité serait finalement un travail comme un autre. Comment la gauche polonaise et ses médias banalisent le grave problème social de la vente du corps.
Un article de Zuzanna Dąbrowska publié en anglais sur Sovereignty.pl. Pour voir la version intégrale en anglais sur Sovereignty.pl, cliquez ici.
« Personne ne voulait croire que j’avais un client qui m’apportait des bidons d’essence. Il travaillait pour une entreprise publique et avait droit à une allocation de carburant. Quand il en recevait plus que ce dont il avait besoin, il faisait le plein de ma voiture en bas de l’immeuble ». C’est ainsi que commence la confession de la « travailleuse du sexe » Ola dans un reportage publié par le site gazeta.pl. Le titre de l’article est très révélateur : « Un travail comme un autre ». « Ola commence chaque journée en donnant à manger à ses deux chats. Ce sont des chats perdus qu’elle a récupérés. Ensuite, elle se rend à la salle de sport où elle a un entraîneur personnel, ou bien elle va directement à l’appartement loué où elle travaille. Elle est dans ce secteur d’activité depuis quelques mois. Elle affirme gagner jusqu’à 100 000 zlotys [env. 22 500 €, ndlr] quand elle fait un « bon mois ». Elle veut gagner suffisamment d’argent le plus rapidement possible pour s’acheter un appartement à Zakopane [ville touristique et station de ski dans les montagnes du sud de la Pologne, ndlr], et disposer, selon ses termes, d’un « revenu passif ». Avant, elle travaillait dans une banque et elle est juriste de formation, peut-on lire.
Autrefois employée de banque et aujourd’hui « travailleuse du sexe ». Sa nouvelle profession lui permet parfois de gagner autant en une journée qu’auparavant en un mois. Une autre héroïne de ce reportage, Joanna, en a assez du tabou qui entoure la prostitution en Pologne (le mot n’est mentionné qu’une seule fois dans le texte, et ce en le désavouant : la gauche promeut l’expression « travail du sexe », et même plus précisément, en ce qui concerne la gauche polonaise, l’expression anglaise « sex working »).
« J’adore les gens. Je suis d’avis qu’on peut trouver quelque chose de spécial chez chacun. Et j’aimerais beaucoup dédiaboliser ce sex work en Pologne », rêve la femme. Joanna vend des enregistrements en ligne et rencontre également ses clients en live. Elle veille à prendre les précautions nécessaires : elle ne prend pas rendez-vous chez elle et ne dévoile pas sa véritable identité. Elle ne cache pas que le « sex working » lui apporte non seulement de l’argent, mais aussi de la satisfaction : « La joie qui se lit sur leur visage est pour moi comme une injection de dopamine. Quand un client qui n’a pas eu de rapports sexuels depuis 20 ans vient me voir et qu’il est heureux après m’avoir rencontré… Que demander de plus ? ».
La troisième figure du reportage, Zoja, évoque l’aspect formel de sa « profession ». « Elle préférerait que le travail du sexe soit légal. Nous parlons cotisations de retraite et assurance maladie, mais aussi droits des travailleurs », peut-on lire. Elle travaille le soir car elle est une étudiante en chimie assidue pendant la journée. La femme se souvient avoir longtemps ressenti de la honte, mais grâce à sa rupture avec son petit ami, elle s’est ouverte au sujet du « sex working ». « Je m’y intéressais depuis longtemps d’un point de vue sociologique et, quand ma relation s’est effondrée, je m’y suis préparée au niveau de la théorie et de la pratique ; j’ai décidé d’essayer », raconte-t-elle. Les deux autres femmes de l’article disent carrément qu’elles font ça pour l’argent.
Le rapport a été publié en janvier et a rapidement suscité une tempête. Les critiques ont souligné qu’il présentait une vision enjolivée de la prostitution comme étant non seulement quasiment sans risques – physiques, mentaux et émotionnels – mais offrant également un sentiment d’épanouissement en tant que mode de vie. Comme le titre l’indique, c’est un travail qui ne mérite pas moins d’estime qu’un autre. Chacune des héroïnes met en avant une valeur différente du métier de « sex worker » : l’argent facile, la satisfaction, la vanité assouvie, l’indépendance… Chose intéressante, l’auteur du texte n’est pas un journaliste quelconque, mais un professeur adjoint à l’Institut de littérature et des nouveaux médias de l’Université de Szczecin, Łukasz Muniowski.
Cela a fait réagir un célèbre journaliste sportif, fondateur de la très populaire chaîne sportive sur Youtube « Kanał Sportowy », Krzysztof Stanowski. « C’est de la m…e de malade. Vous encouragez à la prostitution. Vous tirez profit de la prostitution », a dit le journaliste sans mâcher ses mots. « Les pensées suicidaires, les états mentaux dépressifs : c’est cela la vraie prostitution. Ce n’est pas Energylandia [parc d’attraction célèbre, ndlr] et de l’argent pour rien. Mais c’est vrai que ça ferait moins cliquer. Pour le site du journal, votre version, c’est l’option optimale. Mon appel aux maquereaux du groupe médiatique Agora [propriétaire du site gazeta.pl et du journal Gazeta Wyborcza, ndlr] : arrêtez de foutre en l’air la société, arrêtez de foutre en l’air la tête des jeunes ! Ça suffit », a tonné Stanowski dans une émission intitulée « Le niveau zéro du journalisme ». Il semble que ce chroniqueur populaire ait ainsi exprimé ce que la grande majorité de la société polonaise pense encore de l’idée de donner à la prostitution une image positive.
Ses arguments n’ont néanmoins pas convaincu le rédacteur en chef du site gazeta.pl. Rafał Madajczak qui a choisi de défendre le ton positif du texte. « Nous avions simplement des protagonistes qui se sentent bien dans leur métier et c’est ce que nous avons montré. Nous ne sommes pas là pour éduquer, mais pour montrer le monde. C’est à cela que ressemble ce fragment du monde », a déclaré le journaliste. Le site d’information a apparemment pris tellement à cœur cette « mission de montrer le monde » sous cet aspect unilatéral que, trois semaines seulement après le reportage de Muniowski, il a publié un autre article normalisant la prostitution. Cette fois-ci, il s’agissait de la description d’un entretien donné par l’écrivaine française Emma Becker. Après avoir écrit son premier livre, elle avait besoin d’inspiration et d’argent pour en publier un autre. Lors d’une de ses promenades à Berlin, elle est passée devant la maison close « La Maison ». « C’est à ce moment-là qu’elle a songé à travailler comme prostituée. De cette façon, elle pouvait travailler seulement deux fois par semaine, avoir de quoi vivre, et le reste du temps, elle décrivait ses expériences », rapporte l’auteur de l’article, Jakub Pierzak, étudiant en journalisme à l’université de Wrocław.
Si cet article a soulevé moins de controverses que le reportage de Łukasz Muniowski, son approche de la prostitution est tout autant dénuée de critique. « On pourrait penser que le travail dans une maison close pourrait dégoûter du sexe. Pour l’écrivaine, l’expérience de la prostitution a contribué à améliorer sa vie intime. Elle a cessé de rechercher l’approbation de ses partenaires et s’est davantage concentrée sur ses désirs », souligne le journaliste en insistant sur les aspects positifs du « sex working ». Là encore, on ne prête nullement attention aux risques liés au « plus vieux métier du monde ».
Après que les articles publiés par gazeta.pl eurent été accusés de complète partialité, ce média a décidé de servir à ses lecteurs des « arguments de fond » sous la forme d’un entretien avec la sociologue Agata Dziuban. Celle-ci, tout en évoquant les risques liés au « secteur des services sexuels » (un autre doux euphémisme), insiste sur le caractère exigeant de cette activité. « Nous devons prendre conscience que le travail sexuel n’est pas seulement un travail physique, corporel, mais très souvent aussi un travail émotionnel et de soins, qui implique de s’occuper de l’autre personne, de son corps et de ses émotions », affirme l’experte. Mme Dziuban, qui est membre du groupe Sex Work Pologne, une « coalition pour les droits des travailleuses et des travailleurs du sexe », appelle à la légalisation de la prostitution. La sociologue explique que cela améliorerait la sécurité des « sex workers ». Combien de personnes de ce type y a-t-il en Pologne ? « Un chiffre qui apparaît depuis de nombreuses années dans les statistiques de la police est celui de 200.000 personnes travaillant sexuellement. Je pense que ce chiffre est très sous-estimé, mais on peut sans craindre de se tromper parler de centaines de milliers de travailleurs du sexe en Pologne », affirme Agata Dziuban. L’activiste varsovien Jan Śpiewak, que l’on peut difficilement soupçonner de nourrir des sympathies pour la droite conservatrice, a eu une réaction intéressante aux propos de la sociologue. Dans un article publié sur i.pl, il a énuméré un certain nombre d’arguments démontrant que la légalisation de la prostitution n’est pas du tout une mesure en faveur des femmes. « Il est évident que la légalisation de la prostitution profitera aux organisateurs. Principalement des hommes. Aujourd’hui, la petite et la grosse mafia, et demain probablement des entreprises très bien organisées. Ce n’est pas une coïncidence si les activités de l’organisation Sex Work Pologne sont soutenues, via ses fondations, par le célèbre spéculateur George Soros », a remarqué Śpiewak.
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Version intégrale (en anglais) sur Sovereignty.pl
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Traduction : Visegrád Post