TRIBUNE
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Le réseau Open Society Foundations, désormais dirigé par Alexander Soros, le fils de George Soros, se retire presque complètement de l’Union européenne et va concentrer son activité sur les Roms, l’Ukraine, la Moldavie et les Balkans. Que peut-on imaginer avec ce grand changement ? L’analyse et les prédictions de Nicolas de Lamberterie.
Depuis le mois d’août, la presse ouest-européenne a publié plusieurs articles expliquant l’inquiétude des « ONG » suite à l’annonce du retrait de la fondation Soros d’une grande partie de l’Europe. Je souris toujours quand je vois le mot « ONG » : une organisation « non-gouvernementale » est souvent une organisation sous contrôle d’autres structures, et elle est bien rarement réellement indépendante ; c’est un peu la même chose quand on parle de l’indépendance de la Banque Centrale : indépendante de qui ? du pouvoir politique qui est théoriquement élu démocratiquement ?
Mais alors pourquoi cette inquiétude chez les ONG ? Je crois que ces gens sont d’abord inquiets parce qu’ils vont perdre leurs subventions, et peut-être leur travail. Pour ces gens, la défense de la démocratie, des droits de l’homme (etc.), c’est d’abord une question de rente.
Faut-il pour autant se réjouir de ce départ des fondations Soros d’Europe ? Probablement pas.
Mission accomplie…
Ce qu’il faut bien essayer de comprendre, c’est la raison pour laquelle les fondations Soros s’en vont. A priori, ce n’est pas parce qu’une révolution politique se serait produite en Europe, et que soudainement une forte majorité de dirigeants (appuyés par leurs populations) en Europe auraient décidé d’interdire et de chasser d’Europe les fondations Soros.
J’émets donc l’hypothèse que les fondations Soros peuvent considérer que le travail est terminé (Mission accomplished, comme diraient les Américains). Tout ce que les organisations Soros rêvaient d’ « ouvrir » (de détruire) a effectivement été détruit : les nations, les peuples, les frontières, les économies souveraines, les structures familiales normales, l’identité sexuelle, etc.
Même les quelques gouvernements « illibéraux » (comprendre : les gouvernements hongrois et polonais) qui font mine de s’opposer sont pieds et poings liés par les tendances de plus en plus autoritaires de l’Union européenne. Et ils n’ont de toute façon qu’une influence réduite sur les tendances sociétales profondes de leurs pays.
… et fin de la société ouverte
Par ailleurs, le concept même de société ouverte et de transparence, qui était censé être à la base des activités de la fondation Soros, a été largement remis en question depuis plusieurs années, sans d’ailleurs que cela ne dérange les militants et les salariés (directs et indirects) de la galaxie Soros.
Le Covid en a été un bon exemple, entre fermeture tout court d’une part, et opacité sur les contrats d’achat de vaccins d’autre part.
Le but du jeu, ce n’était pas la réelle « société ouverte », où l’on pourrait connaître de façon transparente les orientations philosophiques de Davos, ou bien l’activité d’entreprises philanthropiques comme BlackRock, Monsanto, Google ou Pfizer. Non, le but, c’était seulement de détruire toutes les structures sociétales qui gênent précisément l’action de telles entreprises.
Un exemple ? Durant de nombreuses années, un site Internet (financé par les fondations Soros), votewatch.eu, recensait de façon extrêmement précise et pratique tous les votes du Parlement européen (et des autres institutions européennes). N’importe quel citoyen (ou journaliste) pouvait connaître le détail de chaque vote, par pays, par groupe politique, etc. J’ai personnellement très régulièrement utilisé ce site pour analyser les votes au Parlement européen. Eh bien depuis un an, ce site a fermé ; même les archives ne sont plus disponibles.
Désormais, pour analyser en détail les votes du Parlement européen, il ne reste que l’archaïque, complexe (et d’une ergonomie extrêmement mauvaise) site du Parlement européen. Un travail qui demandait autrefois 5 minutes sur le site votewatch.eu peut maintenant prendre plusieurs heures sur le site du Parlement européen.
Quel projet pour les Roms ?
La concentration de fonds Soros sur les Roms soulève également des interrogations. Ces populations, fortement présentes en Europe orientale, vivent culturellement en marge des sociétés, et sont restées souvent assez traditionnelles (il suffit de voir le taux de vaccination des Roms en Hongrie, ou bien leurs réactions aux concepts LGBT). On peut donc imaginer que des fonds soient mobilisés dans le but de miner le mode de vie traditionnel résiduel de ces populations, en particulier chez les jeunes générations qui sont (notamment par le truchement des technologies modernes et des smartphones) culturellement déjà plus proches des populations autochtones.
L’autre hypothèse (qui n’exclut pas la première), c’est que les Roms seraient utilisés dans le cadre de campagnes de manipulation « anti-racistes ». Il est très facile d’organiser des provocations, de les mettre en scène médiatiquement, et de déstabiliser ainsi des sociétés, des gouvernements – on peut penser par exemple à la méthode des « révolutions de couleur ».
Terminer l’encerclement de la Russie ?
Le repositionnement géographique des fondations Soros sur l’Ukraine, la Moldavie et les Balkans, donne également la possibilité d’émettre l’hypothèse que cela pourrait accompagner l’action géopolitique des États-Unis.
Il faut à ce stade admettre un point : la réussite du story-telling de l’histoire personnelle de George Soros, un self-made-man ayant fait fortune à hauteur de dizaines de milliards de dollars et ayant décidé après sa réussite personnelle éclatante de réinvestir cet argent dans des causes qui lui tiennent à cœur, par philantropie. Comment cet homme aurait-il pu devenir multi-milliardaire en spéculant contre la Banque d’Angleterre au début des années 1990, et rester en vie, s’il n’avait pas bénéficié de protections extrêmement puissantes ?
L’avantage de l’habillage « ONG » des réseaux Soros, c’est qu’il donne l’illusion qu’il s’agit de l’action d’une personne privée, et limite donc la visibilité de l’implication directe d’un État. Les États-Unis ne sont bien évidemment pas les seuls à avoir recours à de telles stratégies, mais il convient en tout état de cause d’appréhender les réseaux Soros comme étant – au moins en partie – une courroie de transmission de la volonté de ce qu’on appelle parfois le Deep State américain.
On peut donc imaginer que le repositionnement stratégique des fondations Soros aura pour but d’accompagner la « société civile » de ces pays afin qu’ils évoluent définitivement dans une optique occidentale, en rupture avec la Russie qui a traditionnellement une influence dans ces régions (en ce qui concerne les Balkans, c’est particulièrement vrai pour la Serbie, la partie serbe de la Bosnie, le Monténégro ; et dans une moindre mesure la Bulgarie et la Grèce).
Peut-être une bonne nouvelle quand même : la fin d’une opposition et de réflexions trop simplistes
Le retrait des fondations Soros d’Europe centrale et occidentale va laisser bien seuls ceux qui s’étaient fait une spécialité de communication de dénoncer ces réseaux. Il ne s’agit pas là de nier la puissance ou l’efficacité des réseaux Soros, ou l’importance qu’ils ont pu jouer durant les dernières décennies.
Mais il était devenu quelque peu lassant de voir certains utiliser les réseaux Soros pour une communication simpliste, faisant de Soros un bouc-émissaire un peu facile, résumant toute une série de phénomènes à l’action quasi-magique d’un seul homme. Dénoncer avec grand bruit l’action de Soros, c’était aussi l’occasion de ne pas parler d’autres sujets. Cette fois-ci, plus d’échappatoire possible, ceux qui voudront faire mine de s’opposer aux phénomènes contemporains de la modernité et de la globalisation seront contraints de faire un peu plus d’efforts et de mettre à jour leur communication, puisqu’ils viennent de perdre leur « meilleur ennemi ».
Les points de vue et opinions exprimés dans cette tribune libre sont ceux de l’auteur, n’engagent que lui et ne reflètent pas nécessairement la position du comité de rédaction.