Par Olivier Bault.
Pologne – L’enquête a été rouverte en Pologne, avec une nouvelle commission d’enquête mise en place en mars par le gouvernement du parti conservateur (PiS), et plus précisément par le ministre de la Défense Antoni Macierewicz dans le cadre de la Commission d’enquête sur les accidents aériens (KBWLLP). L’organisme d’enquête russe (MAK) invite aujourd’hui la nouvelle commission polonaise à venir discuter à Moscou, et le parquet polonais a annoncé le 21 septembre dernier avoir ouvert quatre procédures d’enquête à l’encontre des responsables polonais. Des procédures qui pourraient à terme viser jusqu’à l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk, qui était le premier ministre en exercice au moment de la catastrophe. La première enquête porte sur le soupçon de « trahison diplomatique », c’est-à- dire d’agissements de fonctionnaires publics habilités à représenter leur pays vis-à- vis de la Fédération de la Russie, au détriment de la République de Pologne dans l’enquête sur le crash de l’avion TU-154M qui transportait la délégation présidentielle. La deuxième enquête ouverte par le parquet porte sur la non-participation et l’absence de demande de participation, de la part de fonctionnaires publics polonais, à l’autopsie des victimes, et sur la non- réalisation de nouvelles autopsies en Pologne. La troisième enquête concerne la falsification de documents concernant la préparation de la visite en Russie du président polonais Lech Kaczyński pour la commémoration des massacres de Katyń. La quatrième enquête porte sur l’entrave à l’enquête du parquet militaire polonais par la destruction de l’épave du Tupolev Tu-154M (par les Russes).
Par ailleurs, il y a deux semaines, la commission d’enquête du nouveau gouvernement polonais, présidée par l’ingénieur Wacław Berczyński, a publié l’enregistrement d’une réunion de la première commission d’enquête présidée par le ministre de l’Intérieur de Donald Tusk, Jerzy Miller, sur lequel on entend ce dernier donner des instructions claires pour que le rapport d’enquête polonais ne contredise pas le rapport russe, car « si les deux rapports diffèrent, il y aura toute une théorie du complot ». Autre constatation de la nouvelle commission d’enquête polonaise, il manque plusieurs secondes cruciales sur les copies à sa disposition des enregistrements des boîtes noires. Berczyński a toutefois assuré que son équipe ne privilégiait pour le moment aucune hypothèse quant aux causes réelles de la catastrophe.
Pour comprendre pourquoi, six ans après la catastrophe, le déroulement des événements n’a pas été définitivement établi pour tout le monde, il convient d’abord de rappeler que la Fédération de Russie refuse toujours de rendre les boîtes noires et l’épave du Tupolev du gouvernement polonais qui avait été affrété pour la délégation emmenée par le président Lech Kaczyński pour commémorer le massacre de Katyń. Interrogé le 15 septembre dernier dans l’émission Warto rozmawiać à la télévision publique polonaise, l’ambassadeur de Russie en Pologne a expliqué que l’épave et les boîtes noires ne pouvaient pas être rendues à la Pologne tant que l’enquête russe n’aurait pas été close, et que les Russes ne pourraient clore leur enquête que quand les Polonais auraient clos la leur. En d’autres termes, il est demandé aux Polonais de reconnaître définitivement les conclusions de l’enquête russe pour pouvoir espérer récupérer les éléments de preuve qui leur permettraient de faire avancer le schmilblick. Dans la même interview, l’ambassadeur Sergueï Andreïev s’est également étonné que les victimes n’aient pas fait l’objet d’autopsies en Pologne à leur arrivée de Russie, alors que les cercueils avaient été scellés avec interdiction formelle pour les familles de les faire ouvrir, le gouvernement de Donald Tusk ayant soutenu à l’époque que cette interdiction avait été demandée par les autorités russes et acceptée par la Pologne. Les autopsies qui ont été réalisées par la suite n’ont concerné que les corps qu’on soupçonnait (à juste titre), sur la base des rapports d’autopsie russes, d’avoir été inversés.
Le PiS, quand il était dans l’opposition, avait créé sa propre commission d’enquête parlementaire présidée par Antoni Macierewicz, qui est aujourd’hui ministre de la Défense et de ce fait ministre de tutelle de la nouvelle commission d’enquête du gouvernement polonais. J’avais pu interviewer M. Macierewicz dans son bureau de député à Varsovie à l’époque où il présidait la commission d’enquête de l’opposition et il m’avait expliqué les raisons qui poussaient à croire que les rapports officiels russe et polonais ne reflétaient absolument pas la réalité (interview publiée sur le site Nouvelles de France). Pour son travail la commission d’enquête polonaise a fait appel à des scientifiques polonais et étrangers. Pourquoi avoir créé cette commission d’enquête parallèlement à celle mise en place par le gouvernement de Donald Tusk ? Tout simplement parce que la commission du gouvernement polonais de l’époque a laissé toute la responsabilité de l’enquête sur place aux enquêteurs russes. Rapidement, l’attitude des deux gouvernements et les affirmations des rapports officiels ont favorisé le développement d’une thèse de l’attentat. Et ce d’autant plus que l’hypothèse d’un attentat, de l’aveu même de l’officier polonais accrédité par les gouvernements polonais et russe pour coordonner les travaux des enquêteurs des deux pays, n’avait pas été vérifiée par les autorités polonaises après la catastrophe.
Il se trouve par ailleurs que cette thèse a été renforcée quand les autorités polonaises se sont enfin décidées, deux ans et demi après la catastrophe, à contrôler l’épave et le terrain au moyen de détecteurs de matériaux explosifs. La nouvelle de la découverte de traces de TNT sur plusieurs centaines d’échantillons (dont certains découverts encore enterrés dans le sol), publiée par le très respecté quotidien Rzeczpospolita, avait fait l’effet d’une bombe (sans mauvais jeu de mot) avant d’être habilement désamorcée par le parquet polonais, sans toutefois satisfaire tout le monde.
La reprise à zéro de l’enquête faisait partie des promesses de campagne du parti conservateur PiS. Néanmoins, avec uniquement des copies des boîtes noires, toutes différentes les unes des autres, et sans accès à l’épave (qui a d’ailleurs apparemment, d’après les i mages et les témoignages diffusés dans un reportage de la journaliste polonaise Anita Gargas sorti en 2012, Anatomia Updaku, beaucoup maigri pour le plus grand bonheur des ferrailleurs des environs de Smolensk), et plus de 6 ans après la tragédie, il est probable que, quelques soient les conclusions de cette nouvelle enquête, elle ne convaincra pas non plus tout le monde. Et ce d’autant plus que le nouveau ministre de la Défense et ancien président de la commission d’enquête de l’opposition parlementaire, Antoni Macierewicz, a toujours semblé convaincu qu’il y avait eu attentat, même s’il affirme lui aussi que toutes les thèses sont étudiées.