Pologne – « Si c’était aujourd’hui quelqu’un de l’opposition qui était en tête des sondages, que se passerait-il si le pouvoir exécutif déclarait l’état d’exception, pour reporter les élections ? », a demandé lundi le chef du cabinet présidentiel Krzysztof Szczerski après sa rencontre avec Jarosław Gowin. Gowin est le chef du petit parti Porozumienie (« Entente »), membre du groupe PiS à la Diète et dont les 15 voix sont indispensables pour préserver la majorité absolue reconduite lors des élections législatives d’octobre 2019. Le 6 avril, le vice-premier ministre Gowin démissionnait du gouvernement de Mateusz Morawiecki en raison de son désaccord avec la volonté du PiS de maintenir l’échéance du 10 mai pour le premier tour de l’élection présidentielle, en décrétant un vote par correspondance pour tous afin de tenir compte du contexte épidémique. Le parti Porozumienie reste toutefois dans la majorité et Gowin s’affaire depuis à trouver une solution de compromis entre le PiS et l’opposition. Il proposait de modifier la constitution polonaise pour transformer le quinquennat renouvelable en septennat non renouvelable et en appliquant cette réforme au président actuel Andrzej Duda, grand favori des sondages. Cela aurait permis de reporter l’élection de deux ans mais aurait, en contrepartie, empêché Duda de se représenter. Le parti de Jarosław Kaczyński se disait prêt à accepter une telle solution, mais pas l’opposition parlementaire, et notamment pas la Coalition civique, principal groupement d’opposition constitué par le parti libéral Plateforme civique (PO), qui demande tout simplement que le gouvernement décrète l’état de catastrophe naturelle et reporte l’élection présidentielle d’un an.
Il faut dire que la candidate de la Coalition civique (KO), Małgorzata Kidawa-Błońska, est en très mauvaise posture, et un report de l’élection d’un an permettrait aux libéraux de changer de candidat. D’après la moyenne des sondages de la deuxième moitié d’avril, le président sortant Andrzej Duda, candidat du PiS, l’emporterait dès le premier tour avec 58,6% des intentions de vote. La candidate de la KO est donnée seulement 6e avec 5,8 % des intentions de vote, derrière le candidat de la gauche libertaire et progressiste Robert Biedroń (5,9%), le candidat de la coalition des nationalistes et des libéraux-conservateurs Krzysztof Bosak (6,1%), le candidat indépendant tendance catholique progressiste Szymon Hołownia (8,6%) et le candidat de la Coalition polonaise, alliance du parti agraire PSL et du parti « anti-système » conservateur Kukiz’15, Władysław Kosiniak-Kamysz (9,9%). Début janvier, Duda était encore à 44% des intentions de vote au premier tour contre 23% pour Kidawa-Błońska et sa victoire au deuxième tour tenait à peu de chose. Fin mars, alors qu’elle chutait dans les sondages, Mme Kidawa-Błońska a appelé au boycott des élections si le premier tour devait avoir lieu le 10 mai, mais les autres candidats ne l’ont pas suivie. Aujourd’hui, elle poursuit sa campagne tout en appelant au boycott, ce qui – outre sa grande maladresse qui s’est révélée pendant la campagne électorale – a sans doute beaucoup contribué à la faire tomber au niveau actuel.
Car la deuxième question est de savoir qui se décidera à voter par correspondance le 10 mai. Andrzej Duda était déjà un président populaire avant l’arrivée de l’épidémie de Covid-19 début mars, mais il a clairement bénéficié de l’effet de crise et de la gestion de l’épidémie par le gouvernement Morawiecki, jugée plutôt favorablement par les Polonais. L’appel au boycott aidant, il est probable qu’une partie non négligeable des partisans des libéraux ne prendront pas part à l’élection. Si la participation est trop faible par rapport au niveau habituel d’environ 50 % des électeurs, le président élu verra certainement sa légitimité remise en cause, notamment par les libéraux qui ont appelé au boycott et ont des amis influents à Bruxelles. Donald Tusk s’est d’ailleurs joint à ce boycott le 28 avril en assurant qu’il ne voterait pas le 10 mai.
Le PiS défend son entêtement à vouloir organiser des élections par correspondance le 10 mai en citant l’exemple de la Bavière où, du fait de l’épidémie, le deuxième tour des élections locales le 29 mars a été organisé entièrement par correspondance. Il rappelle aussi que le mandat du président Duda prend fin le 6 août et que, en vertu des délais prévus par la Constitution polonaise, il faut que de nouvelles élections aient lieu au plus tard le 23 mai (75 jours avant la fin du mandat du président en exercice). Ceci à moins de décréter l’état de catastrophe naturelle comme le demande l’opposition, mais ce que la majorité PiS se refuse à faire, arguant du fait que cela pourrait générer des demandes de compensation très onéreuses pour l’État, même si cette affirmation est contestée par les juristes. Jarosław Gowin serait prêt de son côté à accepter un vote entièrement par correspondance, mais seulement en août (ce qui impliquerait aussi de décréter l’état de catastrophe naturelle, condition sine qua non pour reporter l’élection au-delà du 23 mai), de manière à se donner le temps de l’organiser dans des conditions correctes.
Car le problème, c’est que le projet de loi permettant un vote entièrement par correspondance est au Sénat et que, celui-ci étant entre les mains de l’opposition, il renverra sa propre version du texte le plus tard possible, c’est-à-dire très probablement le 6 mai. En attendant, le gouvernement prépare les élections, la Poste dresse les listes d’adresses des électeurs auxquels il faut fournir un « paquet électoral » qui sera à déposer dûment rempli dans des boîtes à lettres spéciales qui restent à installer dans tout le pays. Mais l’échéance du 10 mai paraît malgré tout sérieusement compromise, et sans les voix du parti de Gowin, le PiS ne pourra de toute façon pas adopter la loi permettant le vote intégralement par correspondance lors du vote en dernière lecture à la Diète. La Pologne devra alors voter de manière traditionnelle le 10 mai à moins que le gouvernement ne déclare l’état de catastrophe naturelle. L’issue la plus probable de cette dispute entre partis polonais, c’est donc un vote par correspondance quelques semaines ou quelques mois au plus après l’échéance du 10 mai.