Connu pour avoir été déporté volontairement vers le camp d’extermination allemand d’Auschwitz-Birkenau, Witold Pilecki demeure une des figures les plus emblématiques de la résistance et de l’héroïsme polonais face au national-socialisme allemand et au communisme soviétique.
Notre héros vient au monde il y a exactement 120 ans, le 13 mai 1901, dans la ville russe d’Ołońc. Issu d’une famille noble et patriotique, le jeune Witold grandit à Vilnius. En tant qu’adolescent, il s’implique activement dans le mouvement scout combattant pour l’indépendance polonaise. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, il s’engage dans plusieurs groupes d’autodéfense ayant pour objectif de repousser l’avancée des troupes soviétiques (1919-1921). Au cours des années 1920, Pilecki rejoint l’Union de Sécurité Nationale (ZBK). Il demeure actif au sein d’organisations promouvant les traditions patriotiques polonaises. En 1931, il se marie avec Maria Ostrowska avec qui il aura deux enfants.
En 1939, dès les premiers jours de l’invasion allemande, il s’engage dans la résistance polonaise et combat sur plusieurs fronts, malheureusement sans grands succès. Le rouleau compresseur allemand écrase tout sur son passage. En Pologne, La Wehrmacht massacre la population civile avec brutalité. Des dizaines de milliers d’innocents sont déportés vers l’enfer des camps allemands. C’est dans ce contexte que Witold Pilecki réalise l’impensable. Usant du faux nom Tomasz Serafiński, il se laisse volontairement arrêter par les Allemands et déporter vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau le 19 septembre 1940. Cette idée folle d’infiltrer Auschwitz devait permettre à l’Armée Secrète Polonaise (TAP) d’obtenir de précieuses informations sur les opérations menées par la Wehrmacht.
C’est dans la nuit du 21 au 22 septembre que Witold Pilecki passa pour la première fois le tristement célèbre portail portant l’inscription cynique « Arbeit macht frei » * À ce moment-là, personne ne pouvait encore imaginer les atrocités qui allaient s’y produire dans les mois et les années à venir. Dès son « inauguration », Auschwitz devait servir de camp de concentration prévu principalement pour l’extermination de la population polonaise. Ce n’est qu’à partir de 1942 que les Allemands y construisirent une véritable usine de la mort dont la plus grande partie des victimes seront les Juifs.
Voici comment Pilecki décrit ses premiers jours en tant que prisonnier du camp : « On a dû mettre tout ce que l’on possède dans des grands sacs […] On nous a rasé le crâne et le reste du corps. […] C’est ici qu’on m’a brisé les deux premières dents pour avoir tenu mon numéro d’identification en main et non entre les dents. J’ai été frappé par une lourde poutre. J’ai craché deux dents. Un peu de sang a coulé… C’était du harcèlement. À partir de ce moment-là, nous n’étions plus que des numéros […] » Witold Pilecki ne s’appelait alors même plus Tomasz Serafiński mais de fait « 4895 ».
Bien que les conditions de détention étaient abominables, Witold Pilecki commença à réaliser sa mission. La résistance polonaise au sein du camp avait plusieurs objectifs, à savoir, la transmission d’informations vers l’extérieur, le partage et la redistribution de la nourriture et enfin la préparation d’un éventuel plan d’évasion. L’engagement de notre héros permit de créer une véritable maille souterraine. Les conspirateurs menés par Pilecki transmirent le premier rapport au sujet de ce qui se passe au sein du camp d’Auschwitz aux leaders du mouvement de résistance polonais. En mars 1941, ce document fut transmis à Londres.
Au début de l’année 1943, les Allemands procèdent a un série d’arrestations de conspirateurs. Dans la nuit du 26 au 27 avril, le prisonnier portant le numéro 4895 s’évade du camp pour rejoindre l’Armée de l’intérieur (AK). Il fait alors ce qu’il put pour convaincre ses supérieurs d’organiser une forme d’aide aux prisonniers des camps de concentration. Malheureusement, une telle opération était considérée comme trop risquée. Pilecki doit alors à contrecœur informer ses alliés prisonniers d’Auschwitz de cette décision. En 1944, les troupes allemandes commencent à laisser place aux forces « libératrices » de l’URSS. Une fois de plus, notre héros s’engage activement dans la lutte contre l’occupant. Il organise de nombreuses actions de défense armée, notamment au cours de l’Insurrection de Varsovie.
Une fois la guerre terminée, la Pologne se retrouve sous le joug stalinien. Le conflit mondial est certes fini mais la Pologne est loin d’être libre. La peste noire est remplacée par le choléra rouge. L’instauration du système communiste par les Soviétiques se fait de manière violente. Les membres de l’AK sont dans le collimateur des autorités. Ces dernières sont conscientes des efforts fournis par les organisations patriotiques souterraines polonaises afin de redonner au pays sa souveraineté. Ainsi, toute tentative de résistance à l’idéologie communiste est brutalement stoppée.
Le 8 mai 1947, Witold Pilecki est arrêté par les services de sécurité communistes alors qu’il menait une opération d’espionnage. Il fut alors placé en cellule et soumis aux tortures les plus épouvantables. Pour ceux qui auraient des doutes sur l’horreur et le sadisme auxquels étaient confrontés les opposants au régime communiste dans la Pologne du milieu du XXe siècle, voici comment Pilecki décrira sa détention par les services de sécurité a son épouse lors de leur dernière rencontre : « Ils m’ont achevé ici. À côté de ça, Auschwitz était un jeu d’enfants ». À la suite d’un procès bidon, Witold Pilecki ainsi que plusieurs de ces proches collaborateurs sont condamnés à mort. Le 25 mai 1948, il est assassiné d’une balle dans la nuque dans la prison de Mokotów (sud de Varsovie). Son corps ne fut jamais retrouvé.
Jusqu’au changement de régime au tournant des années 1990, notre héros est présenté par la propagande communiste comme un traitre ayant été justement condamné. En septembre 1990, la Cour suprême polonaise acquitte Pilecki et les coaccusés. En 1995, Witold Pilecki se voit attribuer l’Ordre de Polonia Restituta. Le 30 juillet 2006, le président Lech Kaczyński lui décerne l’Ordre de l’aigle blanc.
Witold Pilecki consacra toute sa vie à la lutte pour la liberté de son pays. De son propre aveu, il faisait de son mieux pour « imiter le Christ ». « J’ai essayé de vivre de telle sorte qu’une fois confronté à la mort, je ressente de la joie et non de la peur, » dit-il peu de temps avant son exécution. Le courage et la bravoure dont cet homme a fait preuve face aux bourreaux allemands puis soviétiques mérite d’être connue et peut servir d’inspiration à chacun d’entre nous.
* Certains intellectuels polonais s’accordent sur le fait que cette phrase représente une moquerie de la phrase biblique originale affirmant que « la vérité rend libre » soit « Wahrheit macht frei » provenant de l’Evangile selon Saint Jean (J,8,32). Cette théorie est bien sur discutable mais vaut la peine d’être prise en considération étant donné que les nazis éprouvaient souvent plus de sympathie pour les traditions germaniques païennes que pour le christianisme.