Article paru dans le Magyar Nemzet le 1er juin 2021.
Les partis de gauche et d’extrême-gauche dépendent des voix des immigrés
– « L’Europe ne manque pas de leaders tout simplement incapables de prendre à bras le corps le problème de l’immigration. Et il ne s’agit plus seulement de gens de gauche, mais même de certains dirigeants nationaux qui sont issus du centre-droit » – déclare Ayaan Hirsi Ali dans l’interview qu’elle a accordée à Magyar Nemzet. Pour cette femme écrivain et activiste féministe mondialement connue, américano-hollandaise d’origine somalienne, l’Europe peut s’attendre à subir de nouvelles vagues de migrants, et à voir le phénomène se poursuivre tant que le problème de l’immigration ne sera pas – au moins à l’échelle du continent – correctement géré. Interrogée sur la politique hongroise de l’immigration, Ayaan Hirsi Ali nous répond que : « Le gouvernement hongrois cherche un équilibre entre les avantages que procure l’appartenance à l’UE et la sécurité des citoyens hongrois. Ce en quoi je ne vois rien qui relève de l’extrême-droite – vous écoutez simplement la voix du bon sens. »
– Au cours de ces dernières semaines, on assiste à une intensification des vagues migratoires dirigées vers l’Europe. Ces indices d’immigration en hausse sont-ils une surprise pour vous ?
– Non. Depuis, en gros, le déclenchement des printemps arabes, je tire la sonnette d’alarme concernant le risque de vagues migratoires à répétition ! On voit bien que la pandémie a mis à genoux l’économie – déjà faible auparavant – des pays d’Afrique du nord, ce qui fait que cette région envoie de plus en plus de migrants vers l’Europe. Or il ne s’agit pas que de l’Afrique du nord – il faudrait aussi mentionner le sud du Sahel, voire les pays du Moyen-Orient.
Comme, au cours des prochains temps, la pression risque de s’accroître aussi sur la route des Balkans, l’avertissement vaut aussi pour la Hongrie.
Nous allons voir déferler vague après vague, et les masses que ces vagues conduiront vers l’Europe seront surtout constituées de jeunes hommes. Outre l’érosion des droits des femmes européennes, je voudrais souligner que cette immigration de masse va aussi aggraver les menaces pesant sur les homosexuels et les juifs. Quant à la classe ouvrière européenne, aux couches défavorisées de la population, elles sont, elles aussi, du nombre des victimes : les nouveaux arrivants vont être logés dans les quartiers pauvres, et comme ces nouveaux immigrés ignorent massivement les langues locales, on assistera très vite à une baisse de niveau de l’enseignement et des services de santé. Tel est, en Europe, le drame de la cohésion sociale et sociétale. La crise du coronavirus a fourni à certains dirigeants une excuse provisoirement valable pour ne pas avoir à s’occuper du problème de l’immigration. J’ai comme l’impression que ceux-là vont chercher à transformer ce virus en thème de campagne sempiternel.
– Le début des printemps arabes remonte à déjà plus de dix ans. Qu’est-ce qui vous a poussée à publier cette année un livre consacré aux conséquences négatives de l’immigration sur les droits des femmes européennes ? Dans ce volume intitulé Prey: Immigration, Islam, and the Erosion of Women’s Rights (« La proie : immigration, Islam et érosion des droits des femmes »), vous affirmez que rien ne justifie la mise en sourdine des nuisances attribuables aux immigrés.
– Il m’a semblé très important que ce livre sorte maintenant, au moment où le nombre des méfaits violents à l’encontre des femmes atteint des sommets en Europe. Je ne prétends pas que ce phénomène ait commencé en 2015, au moment de la crise des migrants, mais le grand nombre d’immigrés mâles arrivés à ce moment-là a évidemment contribué à la détérioration de la situation qu’on observe actuellement.
J’avais encore une autre raison de le faire : j’ai longtemps cru que le mouvement féministe #metoo, dont les racines sont aux Etats-Unis, en devenant mondial, allait aider ces femmes victimes de la violence. Or tel n’a pas été le cas. Pratiquement personne n’a osé s’exprimer contre les agissements des hommes issus de l’immigration.
En Europe, l’origine de ce phénomène n’a rien de mystérieux : c’est l’attitude générale envers les membres des minorités – quelles qu’elles soient –, qui fait que, comparés aux membres de la majorité, ils ne peuvent pratiquement jamais être mis devant leurs responsabilités. Ayant moi-même longtemps vécu en Europe, je connais très bien la situation des minorités qui y vivent, et cela, aussi, explique que le message de ce livre soit très important à mes yeux.
– A-t-il été difficile de collecter des données à l’appui de votre thèse ? En effet, les pays d’Europe occidentale n’ont de cesse de répéter qu’ils ne tiennent pas de statistiques ethniques ou confessionnelles des auteurs de délits violents.
– Dans la collecte des données, je me suis, moi aussi, heurtée à des murs, tout comme les journalistes et autres chercheurs. Citons notamment la Belgique, l’Allemagne, la Suède, la Hollande ou la France. Effectivement, dans presque tous les cas, les autorités de ces pays vous répondent qu’il n’existe pas de statistiques en fonction du pays d’origine ou de l’appartenance confessionnelle. J’ai donc dû me montrer créative. Outre l’exploitation des moindres données fournies par les autorités européennes, j’ai parlé à des quantités de reporters, de journalistes, et j’ai rendu visite aux victimes elles-mêmes. Parmi les informateurs avec lesquels je me suis entretenue, il y a aussi des acteurs gouvernementaux, ainsi que des employés des forces de l’ordre habitués aux quartiers d’immigrés. Si je m’étais contentée des données fournies par les autorités, il est certain que je n’aurais vu le paysage que par le petit bout de la lorgnette.
– Originaire de Somalie, vous avez vous-même été réfugiée en Europe. Beaucoup connaissent l’histoire, semée de difficultés, de votre vie. Y a-t-il quelqu’un, lors de ces interviews, dont le récit ait malgré tout réussi à vous choquer ?
– On me pose souvent cette question, et bien sûr, j’ai toujours l’impression qu’il faudrait alors présenter un cas brutal – par exemple une histoire de viol en réunion. Mais ce serait une erreur.
Pour moi, les témoignages les plus poignants sont ceux de gens qui montrent à quel point l’immigration de masse a changé leur quotidien.
Le plus souvent, le cas qui me vient alors à l’esprit, c’est celui d’une jeune femme vivant en Allemagne, qui m’a raconté qu’elle ne pouvait plus sortir les ordures ou emmener son enfant à la crèche sans se faire insulter par de jeunes immigrés. Elle aussi est l’une de ces femmes européennes qui ont longtemps cru que leurs droits constituaient un acquis, et puis tout d’un coup, le coin où elle vit a subi une mutation radicale. Maintenant, elle ne peut plus circuler dans sa propre rue sans recevoir des propositions salaces et essuyer les vulgarités que lui hurlent ces mâles immigrés. Le matin, au réveil, cette jeune femme se demande comment elle pourrait adopter un autre parcours pour conduire son enfant à la crèche, ou s’assurer que son mari les accompagne de bout en bout, chaque matin. Et même cela, d’ailleurs, ne suffit pas à régler le problème : au cours de l’entretien, le mari a déclaré que sa présence ne suffit pas à dissuader les auteurs de ce harcèlement. Leur histoire n’a rien de spectaculaire, mais il faut se rendre compte que ce sont des centaines de milliers de femmes européennes qui pourraient nous confier des histoires similaires. D’ailleurs, j’ai aussi entendu des récits comparables lors de mes conversations avec des femmes policières.
De nombreuses policières occidentales m’ont décrit des scènes au cours desquelles elles se rendaient sur les lieux d’un délit, où elles tombaient sur des immigrés mâles qui ne les considéraient pratiquement pas comme des êtres humains.
Et après tout cela, leurs supérieurs – voire des politiciens – leur tapotent l’épaule en leur enjoignant de ne pas prendre trop à cœur ce qu’elles ont vécu. C’est scandaleux !
– Parmi les affirmations importantes de l’ouvrage, on trouve l’idée que les classes dirigeantes européennes ferment les yeux sur les problèmes liés à l’immigration et à l’intégration. Le problème est-il laissé sans solution pour des raisons purement techniques, ou parce que les immigrés constituent d’ores et déjà de grosses cohortes électorales en Europe de l’ouest ?
– Les deux. Je souscris tout à fait à l’idée que les partis de gauche et d’extrême-gauche dépendent des voix des immigrés. Et c’est non seulement le cas en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Au lieu de parler de protection des frontières et d’épuisement des ressources, ces partis choisissent la facilité : pointer du doigt leurs opposants en les accusant de racisme, de xénophobie et d’intolérance.
Or la dépendance dans laquelle s’enfonce la gauche par rapport au vote immigré est peut-être l’un des aspects les plus importants et, en même temps, les plus répugnants moralement. Car le fait est que la situation actuelle ne favorise ni les immigrés, ni les pays d’accueil, mais bénéficie uniquement à une petite élite qui cherche à conserver son pouvoir.
Par ailleurs, la première partie de votre question n’est pas absurde non plus. L’Europe ne manque pas de leaders tout simplement incapables de prendre à bras le corps ce problème. Ce qui mène à une crise institutionnelle. Et il ne s’agit plus seulement de gens de gauche, mais même de certains dirigeants nationaux qui sont issus du centre-droit. Ce sont eux qui, en campagne électorale, vous disent que le multiculturalisme a certes ses zones d’ombre, et puis, une fois élus et chargés du travail législatif, laissent faire. Vous voyez aussi bien que moi – n’importe qui peut s’en rendre compte – que, si on continue comme ça, le nombre des arrivées en Europe ne peut qu’augmenter à court terme. Et ici, je reviens à mon idée de départ : qui sont ces gens qui vont arriver en masse sur ce continent, venant d’Afrique du nord et du Moyen-Orient ? De jeunes hommes, bien sûr, car eux sont capables de ce voyage dangereux. Je ne dis pas cela en l’air – il suffit de regarder les statistiques. Les nouveaux arrivants sont à 80% des hommes de moins de trente ans.
– Vous parlez sans arrêt d’Europe – mais l’Europe orientale porte sur l’immigration un tout autre regard que l’Europe occidentale : un regard presque diamétralement opposé.
– Je suis, bien entendu, consciente des différences internes en Europe. Quant au gouvernement hongrois, il me semble carrément être l’un des plus raisonnables en matière d’immigration. Ouvrir la porte à tout le monde est impossible, surtout pour un pays qui a connu l’oppression. A l’échelle de l’histoire, le changement de régime par lequel vous êtes passés n’est pas si loin encore.
A l’heure actuelle, d’un point de vue économique, politique et institutionnel, la Hongrie est sur la bonne voie. Ayant vu de mes yeux les résultats de l’option alternative, je peux vous dire que c’est un exemple que vous n’avez pas intérêt à suivre.
Je pense que le gouvernement hongrois cherche un équilibre entre les avantages que procure l’appartenance à l’UE et la sécurité des citoyens hongrois. Ce en quoi je ne vois rien qui relève de l’extrême-droite – vous écoutez simplement la voix du bon sens.
– Voyez-vous un exemple à suivre en Europe occidentale dans la gestion de l’immigration ? Le président français Emmanuel Macron, par exemple, a déjà adopté dans ce domaine une attitude plus rigoureuse que par le passé.
– En France, c’est la proximité des présidentielles qui place sous pression le sortant Macron, car il risque fort de perdre ce scrutin. C’est pourquoi il s’est décidé à faire preuve de fermeté face à l’Islam. D’après les données dont on dispose actuellement, Marine Le Pen, sous les couleurs du Rassemblement National, arrivera facilement en tête, ou en deuxième position du premier tour – ce qui constituera un changement d’époque dans la vie politique française.
Mais il ne fait aucun doute que, sans ces élections qui s’approchent, Macron préférerait balayer sous le tapis les problèmes de l’immigration et de l’Islam.
Cela dit, parmi les Etats occidentaux, le Danemark et l’Autriche sont ceux dont les politiques migratoires me semblent les plus prometteuses : chez eux aussi, je vois une évolution claire vers le respect de la volonté des électeurs. En même temps, Copenhague et Vienne ne ferment pas leurs frontières à 100%, mais raisonnent en termes de programmes d’intégration, de mécanismes taillés sur mesure, en fonction de leurs besoins. C’est justement au Danemark que mon livre est, pendant un certain temps, resté en tête de la liste des meilleures ventes ; il est aussi très lu dans les pays de langue allemande. La presse s’y est aussi beaucoup intéressé en Hollande et en Belgique. Cela aussi est, à mon avis, très révélateur. Je commence à entendre les journalistes occidentaux me poser les mêmes questions que, par exemple, une journaliste hongroise, comme vous.
Il y a encore dix ans, ces mêmes journalistes occidentaux, au cours de leurs interrogatoires, me demandaient encore exclusivement pourquoi j’apporte de l’eau au moulin de l’extrême-droite. Mais maintenant, on ne peut plus se cacher derrière son petit doigt : les problèmes sont déjà là.
Je suis en contact permanent avec des penseurs français, qui, du premier au dernier, me disent tous la même chose : en résumé, ils se préparent à une guerre civile. Vous vous rendez compte ?
Tamara Judi
Carte de visite. Ayaan Hirsi Ali (née en 1969) femme écrivain, activiste et femme politique américano-hollandaise d’origine somalienne. En 1992, fuyant l’Afrique, elle a obtenu le statut de réfugiée politique en Hollande. Excisée dans son enfance, elle était, dans sa jeunesse, sous l’emprise des Frères Musulmans. Elle fait aujourd’hui, en Occident, partie des critiques les plus écoutés de l’Islam et de l’immigration de masse, et vit désormais aux États-Unis. Elle y a créé sa propre organisation, siégeant à New York : la Fondation AHA, qui se consacre à la défense des droits des femmes.
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Traduit du hongrois par le Visegrád Post