Pologne/Biélorussie – Le Sénat polonais a adopté mercredi, avec des amendements, la loi autorisant la construction d’une barrière anti-migrants à la frontière avec la Biélorussie. On sait déjà que la barrière prévue pour arrêter l’invasion migratoire orchestrée par le régime d’Alexandre Loukachenko coûtera 1,6 milliard de zlotys (environ 360 millions d’euros) et s’étendra sur une longueur de 200 km d’ici à la mi-2022. Il s’agira d’une barrière de 5,5 mètres de haut à laquelle les dirigeants et les médias polonais se réfèrent souvent en parlant de « mur », mais la forme que prendra cette barrière n’est pas définie avec précision. Elle pourra varier d’un endroit à l’autre. L’on sait par contre qu’elle sera dotée d’infrastructures de détection électronique des tentatives de passage. Si le vote à la Diète a montré que le PiS disposait d’une confortable majorité, dépassant largement ses rangs, pour cette construction, les libéraux de Donald Tusk et la gauche se sont prononcés contre. Mais même au Sénat, où le gouvernement n’a pas la majorité, une motion pour rejeter l’ensemble du projet de loi de construction d’une barrière frontalière a été rejetée, une partie de l’opposition ayant choisi de soutenir ce projet comme à la Diète. Le 29 octobre, la Diète a définitivement adopté cette loi en rejetant les principaux amendements du Sénat.
En attendant le démarrage des travaux, le ministre de la Défense Mariusz Błaszczak a annoncé le 25 octobre que le nombre de soldats déployés à la frontière pour soutenir les gardes-frontières allait être porté de 7 500 à 10 000. Depuis le début du mois de septembre, l’état d’urgence est en vigueur sur une bande de quelques kilomètres de large (généralement trois) tout le long de la frontière, avec interdiction d’accès pour les non-résidents (sauf pour les visites de parents proches), y compris en ce qui concerne les journalistes et les membres d’ONG.
La Lituanie, de son côté, a déjà entamé l’érection d’une clôture de 4 mètres de haut le long de sa frontière avec la Biélorussie.
Depuis le début de l’année, la Pologne a enregistré plus de 27 000 tentatives de passage illégal de sa frontière avec la Biélorussie, longue de 418 km, dont plus de 16 000 en octobre. Beaucoup de ces immigrants clandestins sont refoulés à chaud ou simplement empêchés de passer, malgré les tentatives de plus en plus fréquentes de passage en force par des groupes de plusieurs dizaines de « migrants ». Les gardes-frontières ont affirmé reconnaître des gardes-frontières biélorusses en civil dans ces groupes, occupés à couper les barbelés polonais, et d’une manière générale ils observent que leurs collègues biélorusses coordonnent et soutiennent activement les tentatives de passage illégal. Dimanche, un groupe d’environ 60 personnes particulièrement agressives a voulu forcer le passage en blessant deux soldats polonais (l’un qui a reçu une pierre au visage et l’autre qui a été frappé avec une branche). Ceux-ci assistaient les gardes-frontières présents sur place. Les deux hommes ont dû être hospitalisés.
Certains de ces « migrants » arrivent à passer. Plus de deux mille immigrants illégaux ont été arrêtés en Pologne depuis le mois de janvier, et environ 1 700 se trouvent actuellement dans des centres fermés (pour une capacité d’accueil de 2000 dans tout le pays). Le 19 octobre, un groupe de près de 200 immigrants clandestins a réussi à passer dans le district de Czeremcha, en Podlachie. C’était le plus gros passage en force enregistré jusqu’ici. Tous les jours, la Garde frontalière polonaise publie ses chiffres pour la journée précédente sur son compte Twitter. Le mercredi 27/10, elle a noté 573 tentatives de passage illégal. Sur ce nombre, 6 Irakiens ont été arrêtés, 40 personnes sont passées et ont été refoulées et les autres n’ont pas réussi à franchir la frontière. Toutes les semaines, les médias polonais font état de l’arrestation de groupes de migrants et de passeurs sur les routes entre la Biélorussie et l’Allemagne. Dans un récent entretien à la radio, le commandant de la Garde frontalière de la voïvodie de Podlachie expliquait que parmi les personnes interceptées, la moitié environ ont un passeport irakien muni d’un visa biélorusse, les autres n’ayant généralement pas de papiers. Il assurait aussi que tous ceux qui ont été interceptés en Pologne sont maintenus dans des centres fermés en attente de leur expulsion, plusieurs centaines ayant déjà été renvoyés en Irak. Comme en 2015, il s’agit principalement de jeunes hommes en bonne santé et il y a peu de femmes et d’enfants parmi ces immigrants.
Confrontée à ce que les Polonais appellent une attaque « hybride » biélorusse, la Garde frontalière recrute et n’a aucune difficulté à trouver des candidats, car on observe depuis le début du mois de septembre un intérêt accru des jeunes gens pour ce service paramilitaire. Un sondage publié le 12 octobre montrait que 85 % des Polonais jugent que cette vague migratoire est une guerre hybride menée par la Biélorussie et 55 % sont favorables à la construction d’une barrière permanente pour arrêter les immigrants, et ce malgré les premiers décès d’immigrants clandestins en raison des températures de plus en plus froides pendant la nuit en forêt. Un autre sondage publié le 27 octobre montre en revanche qu’une majorité de Polonais souhaiteraient que les journalistes et militants d’ONG aient accès à la zone frontalière.
Ce soutien à la politique du gouvernement de Morawiecki contre l’immigration illégale reste fort alors que, comme en 2015 à la frontière hongroise, les immigrants essayant de passer la frontière polonaise souhaitent pour la plupart se rendre en Allemagne ou dans un autre pays d’Europe occidentale, ainsi qu’on peut le voir sur cette vidéo des gardes-frontières polonais où des Moyen-Orientaux répètent « Germany, Germany, Germany » :
https://twitter.com/Straz_Graniczna/status/1447852238672646148
Le commandant de la Garde frontalière de Podlachie confirme qu’aucun immigrant clandestin intercepté ne demande l’asile en Pologne avant d’avoir été placé en centre fermé en vue de son rapatriement.
Comme les dirigeants polonais, le ministre allemand de l’Intérieur fait porter à la Russie la responsabilité ultime de cette politique biélorusse consistant à encourager les Irakiens et autres personnes souhaitant émigrer illégalement en Europe à se rendre en Biélorusse pour tenter ensuite de passer la frontière de l’Union européenne au niveau de la Pologne, de la Lituanie ou de la Lettonie, voire en passant par l’Ukraine. L’Allemagne est touchée elle aussi puisque ceux qui arrivent à passer en Pologne lui arrivent ensuite : Berlin a enregistré environ 6 000 arrivées depuis la Pologne cette année, dont plus de la moitié pour le seul mois d’octobre.
La plupart des clandestins sont originaires d’Irak, mais il y a aussi des Syriens, des ressortissants d’autres pays du Moyen-Orient et des ressortissants d’Afrique subsaharienne qui arrivent par avion en Biélorussie pour être ensuite transférés vers la frontière de l’UE. L’Irak a suspendu les vols directs Bagdad-Minsk sous la pression de l’UE, mais d’autres aéroports du pays assurent des connexions directes, et il est aussi possible de passer par Dubaï, la Turquie, le Liban et l’Ukraine.
En Allemagne, il a même été question de fermer la frontière avec la Pologne, ce que demandait un syndicat de policiers, mais il a finalement uniquement été convenu de patrouilles communes germano-polonaises de la frontière. Parallèlement, le gouvernement allemand exprime son soutien à la politique polonaise de surveillance de la frontière orientale, contrairement à son attitude vis-à-vis de la Hongrie en 2015.
La télévision Bielsat, qui émet en langue biélorusse depuis la Pologne, a publié le 11 octobre des images de scènes d’embarquement pour la Biélorussie dans plusieurs aéroports du Moyen-Orient, ainsi que des images où l’on voit les immigrants entassés à l’aéroport de Minsk ou bien encore présents en différents endroits de la capitale biélorusse. Comme on peut le voir sur ces images, pour le moment c’est la Biélorussie elle-même qui doit supporter une présence visible des immigrants qu’elle fait venir.
En visite à l’Élysée le 27 octobre, le président polonais Andrzej Duda a entendu des mots de soutien de son homologue français qui exclut toutefois, comme la présidente de la Commission européenne, des financements européens pour la construction de barrières le long des frontières extérieures de l’UE. Très prolixe dans les médias, le secrétaire d’État aux affaires européennes Clément Beaune se dit par contre hostile à une telle barrière et continue d’appeler tous les jours à des sanctions financières contre la Pologne si celle-ci ne cède pas dans son conflit avec Bruxelles. Le jour de la visite de Duda à Paris, la CJUE imposait d’ailleurs à son pays une astreinte de 1 million d’euros par jour tant que Varsovie n’aura pas reculé sur ses réformes de la justice, tandis que la Commission continue de retenir les fonds du plan de relance destinés à la Pologne.
Ne faut-il y voir malgré tout un lien avec le refus de la Pologne de laisser entrer les « migrants » ?