Par Olivier Bault.
Pologne, Varsovie – Hanna Gronkiewicz-Waltz n’est pas que maire de Varsovie depuis 2006, elle est aussi vice-présidente de la Plateforme civique, le parti « libéral » Plateforme civique (PO) de l’actuel président du Conseil européen Donald Tusk. Mais avec l’affaire des restitutions (« reprivatisations ») frauduleuses de biens immobiliers de grande valeur à Varsovie, Hanna Gronkiewicz-Waltz est aussi devenu un fardeau pour la PO et contribue à sa chute dans les sondages.
Selon le dernier sondage CBOS, le parti Droit et Justice (PiS) pourrait compter, avec les autres petits partis de son alliance « Droite unie », sur 47 % des voix en cas d’élections aujourd’hui (un niveau encore jamais atteint dans les sondages !) contre seulement 16 % pour la PO et 6 % pour l’autre parti libéral qui n’a de cesse de dénoncer aux côtés de la PO les atteintes à l’État de droit que commettrait l’actuelle majorité parlementaire et son gouvernement dirigé par la première ministre Beata Szydło.
Car ce qu’étale devant les Polonais la commission parlementaire d’enquête sur ces « reprivatisations », dont les séances sont transmises en direct à la télévision, c’est l’image d’une véritable mafia. Des avocats spécialisés dans le rachat de droits auprès d’héritiers pas toujours encore en vie (ce que les services de la mairie de Varsovie ne prenaient souvent pas la peine de vérifier), ou qui avaient parfois déjà perçu des compensations (ce qui n’était pas toujours vérifié non plus) ont pu récupérer de nombreux biens immobiliers dans le centre de Varsovie et les revendre ou les faire fructifier dans le cadre d’opérations juteuses, et ce grâce à la complicité de fonctionnaires de la ville et du ministère de la Justice du gouvernement PO. Plusieurs de ces avocats et fonctionnaires ont été arrêtés et sont jugés en ce moment, et la commission parlementaire a annulé plusieurs restitutions de biens prononcées par la ville de Varsovie. Des restitutions frauduleuses qui avaient conduit à la fermeture d’écoles, à l’expulsion brutale de commerçants ou habitants (ou bien à des augmentations de loyers telles qu’ils étaient obligés de partir eux-mêmes).
Pire encore, le maire Hanna Gronkiewicz-Waltz a elle-même bénéficié indirectement d’une restitution frauduleuse puisque son mari a obtenu en 2006 la restitution d’un immeuble qui avait appartenu à deux familles juives avant la guerre, et qui avait été obtenu par un membre de sa famille après la guerre au moyen de papiers falsifiés ayant permis de voler ce bien aux héritiers survivants.
Le parquet enquête également sur des restitutions frauduleuses massives dans les villes de Lodz (également dirigée par un maire PO) et Cracovie (dont le maire est lié au parti social-démocrate SLD – héritier de l’ancien parti communiste).
Si la PO lâche aujourd’hui sa vice-présidente et cherche même à la destituer en organisant des élections internes au parti, c’est parce que celle-ci refuse de se présenter devant la commission d’enquête parlementaire, arguant du fait qu’elle serait illégale. Or le tribunal supérieur administratif (NSA) vient de lui donner tort, confirmant la légalité et la compétence de cette commission parlementaire. Le maire de Varsovie, dont le compte bancaire a été saisi suite à son refus de payer les amendes infligées par la commission parlementaire pour son refus répété de se présenter aux convocations, met la PO dans une situation gênante. Ce parti fonde en effet toute sa stratégie d’opposition « totale » depuis l’automne 2015 sur un discours selon lequel il serait le défenseur de la démocratie et de l’État de droit face à un parti Droit et Justice (PiS) aux velléités dictatoriales. Que sa vice-présidente et maire de la capitale soit aussi peu respectueuse de la légalité et cherche à se soustraire au droit rend le discours de la PO peu crédible, même si cette affaire des restitutions frauduleuses de biens à Varsovie n’est pas la seule qui plombe la Plateforme civique.
La situation de Varsovie est particulièrement compliquée. Du fait de la destruction quasi-totale de la ville lors de l’insurrection d’août-septembre 1944 (et auparavant de la partie correspondant au Ghetto de Varsovie lors du soulèvement d’avril-mai 1943), toute la capitale était à reconstruire. Dans ce but, les communistes ont nationalisé tous les terrains (mais pas les bâtiments) de Varsovie dès octobre 1945, en vertu de ce qu’on appelle le décret de Bierut. Ensuite des immeubles et maisons ont été nationalisés par les communistes en violation du droit de l’époque (y compris par exemple la maison du général Jaruzelski aujourd’hui entre les mains de sa fille), ce qui permet aux héritiers de récupérer aujourd’hui certains biens. Du coup, les deux tiers des biens immobiliers se trouvant dans les limites d’avant-guerre de la capitale font l’objet de revendications. Le problème, c’est aussi que depuis la chute du communisme en 1989-90, la Pologne n’a jamais réussi à voter une loi réglant définitivement la question des restitutions. Le dernier projet de loi, annoncé la semaine dernière par le vice-ministre de la Justice Patryk Jaki (qui préside aussi les travaux de la commission d’enquête parlementaire sur les restitutions frauduleuses à Varsovie), prévoit un dédommagement en argent à hauteur de 20 % de la valeur des biens immobiliers, ce qui pourrait porter le total à payer aux anciens propriétaires et héritiers, pour la seule ville de Varsovie, à environ 15 milliards de zlotys (3,5 milliards d’euros).