Hongrie – Le ton monte entre les dirigeants de l’opposition unie. L’ancien Premier ministre et président de la Coalition démocratique (DK) Ferenc Gyurcsány se moque ouvertement du candidat unique Péter Márki-Zay, alors que le Jobbik de Péter Jakab n’apporte plus son soutien financier dans la campagne. Pendant ce temps, le Fidesz compte les points, exploite les maladresses de Péter Márki-Zay et brouille les cartes en tapant sans relâche sur le maire de Budapest, Gergely Karácsony. Que se passe-t-il au sein de l’opposition hongroise ?
Péter Márki-Zay, une fausse bonne idée de casting ?
Le soir de la victoire surprise du maire de Hódmezővásárhely aux primaires de l’opposition unie le 17 octobre 2021, tous les observateurs s’accordaient pour dire que ce candidat unique allait donner du fil à retordre au Fidesz de Viktor Orbán. En effet, Péter Márki-Zay a pour lui une virginité politique quasi-parfaite, une image de déçu du Fidesz et d’opposant au sein de l’opposition, des aspects conservateurs, une implantation en province obtenue grâce au premier succès de la stratégie du tous contre le Fidesz et une expérience internationale dans le privé lui permettant de compenser sa courte expérience politique. Sur le papier, ce candidat cumulerait donc des qualités permettant à la fois de rassembler les électeurs d’opposition et de capter des électeurs du Fidesz. Ce raisonnement séduisant fait néanmoins abstraction de deux invariants de stratégie électorale auxquels la Hongrie ne fait pas exception.
La victoire à une primaire (ou à un congrès de parti) se capitalise dans la durée si elle est obtenue en emportant les positions les plus à gauche dans le cas d’une primaire à gauche ou les positions les plus à droite s’il s’agit d’une primaire à droite. Cette règle — qui, comme toutes les règles, peut souffrir d’exception — n’a pas été respectée dans le cas hongrois, Péter Márki-Zay ayant remporté la primaire en frisant occasionnellement les thèmes du Fidesz.
Cette « victoire par la droite » est d’autant plus bancale qu’elle ne repose sur aucun appareil politique directement piloté par le candidat. Péter Márki-Zay n’a en effet ni troupe ni parti.
Il vient d’ailleurs de renoncer à la création d’un septième groupe parlementaire dont il aurait été le meneur au cours de la prochaine législature, faisant ainsi état de son impuissance à imposer aux six partis de l’opposition unie quelques hommes lui étant entièrement dévoués. Les six partis n’ont d’ailleurs toujours pas réussi à se mettre d’accord sur une liste commune, alors que la présentation d’un programme commun n’a toujours pas eu lieu non plus.
En plus de ces faiblesses techniques et objectives, le candidat de l’opposition unie se fait régulièrement remarquer par un style de communication et des prises de parole suscitant le malaise de ses propres alliés, ainsi que des réactions agacées de la presse hongroise anti-Orbán. À plusieurs reprises, Péter Márki-Zay a donné le sentiment d’être hors-contrôle et de prendre la parole de manière irréfléchie en attaquant maladroitement les électeurs de la majorité gouvernementale. Cette série de déclarations polémiques a culminé lorsque le candidat s’est fendu de mots hasardeux sur la judéité de certains membres du Fidesz, ou encore quand il a expliqué que l’électorat Fidesz avait été décimé par le Covid et que les soutiens provinciaux du gouvernement étaient incapables de terminer une page de mots-croisés. Cet amateurisme, que même certains observateurs proches de l’opposition n’ont pas manqué de relever, a provoqué un remaniement au sein de l’équipe de communication du candidat à la mi-janvier avec le rôle accru accordé à András Simon et l’entrée en scène de Judit Péterfi, tous deux anciens journalistes de la chaîne ATV et professionnels de l’image et de la communication politique. Cette « reprise en main » du candidat semble l’avoir conduit à renoncer à la pratique solitaire du live sur les réseaux sociaux, un exercice dangereux en période de campagne électorale.
Le DK et le Jobbik : les maîtres du jeu au sein de l’opposition
Pour rappel, la Hongrie compte 106 circonscriptions électorales à scrutin uninominal à un tour, élisant 106 des 199 députés de l’Assemblée nationale, les 93 autres l’étant au scrutin de liste proportionnelle avec une barre à 5%, le Premier ministre étant élu par l’Assemblée. La Coalition démocratique (DK) de l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány et le Jobbik de Péter Jakab sont les partis ayant obtenu le plus de candidats de circonscription et sont les seuls à bénéficier d’un appareil partisan et de noyaux durs électoraux.
Habilement, ces deux partis ne cèdent rien à Péter Márki-Zay, sachant bien que sans leur soutien le candidat ne pèse pas grand-chose et sera dans l’incapacité de gouverner au lendemain d’une hypothétique victoire. Certains acteurs de l’opposition, comme l’ancien directeur de la Banque centrale Péter Ákos Bod, n’ont d’ailleurs pas hésité à rappeler que rien ne lierait juridiquement le nouveau Parlement pour élire ou non Péter Márki-Zay au poste de chef du gouvernement. Il est en effet parfaitement possible que l’opposition remporte les élections du 3 avril prochain mais que le candidat actuel ne soit jamais Premier ministre.
Toutefois, il se pourrait que les deux partis forts de l’opposition ne soient même plus sur cette option et misent d’ores et déjà sur la défaite de l’opposition.
Le DK assure le service minimum dans la campagne de l’opposition et Ferenc Gyurcsány, quand il ne tourne pas directement en dérision le candidat, est très timide dans son soutien. Le Jobbik a quant à lui pris la décision de ne pas participer financièrement à la campagne, préférant ne pas prendre de risque et se concentrer sur les circonscriptions qu’il est en mesure de remporter.
Aucune place ne sera probablement accordée sur la liste commune à des proches de Péter Márki-Zay, ce qui corrobore l’hypothèse selon laquelle les membres de l’opposition hongroise sont dans une optique de défaite et placent leurs pions pour l’après 3 avril 2022. Les actuelles tractations en vue de la formation d’une liste ont d’ailleurs pour cœur 45 places, c’est-à-dire le nombre de députés que l’opposition est plus ou moins sûre d’obtenir sur scrutin de liste. D’après la chaîne ATV, les rapports de force en nombre de candidats au sein de cette liste de 45 noms sont les suivants : DK : 13-16 ; Jobbik : 9-12 ; Momentum : 7-8 ; MSZP : 6-7 ; LMP : 3-4 ; Párbeszéd : 2-3. Manifestement, le souhait exprimé par Péter Márki-Zay de voir figurer sur cette liste de 45 personnes trois candidats d’origine tzigane n’aurait pas été accepté par les six partis de la coalition, et les dernières négociations en date se seraient donc déroulées les 15 et 16 janvier sans la présence du candidat.
Face à Péter Márki-Zay, le Fidesz avait d’abord choisi de déporter l’attention sur le candidat malheureux de la primaire, le maire de Budapest Gergely Karácsony. Sans pour autant parvenir à des résultats concrets en termes de preuves juridiques, les forces gouvernementales ont réussi à minimiser l’espace médiatique de Péter Márki-Zay pendant de longues semaines (environ jusqu’à Noël) en utilisant l’affaire de la mairie de Budapest et en menant un matraquage médiatique autour de la personne Gergely Karácsony — une tactique de campagne que l’on pourrait appeler « méthode Houdini ». Puis, les hommes en charge de la campagne au Fidesz se sont aperçus qu’il n’était pas nécessairement utile de tendre à un black-out sur Péter Márki-Zay, bien au contraire. Les maladresses du candidat de l’opposition ont fait office de pain béni pour le Fidesz, alors que sa soumission aux forces partisanes de l’opposition est chaque jour de plus en plus évidente, ce qui vient vérifier l’argument du gouvernement selon lequel Péter Márki-Zay est « l’otage de la gauche ».
Sur le papier et du point de vue de la dynamique électorale, les chances de victoire de l’opposition le 3 avril sont réduites. Il n’y a guère que l’agenda international, particulièrement la « situation sanitaire », qui soit capable de barrer la route à une quatrième victoire de la coalition Fidesz-KDNP.