Vote du rapport Sargentini : le gouvernement hongrois dénonce une fraude électorale – les populistes derrière Orbán – les élus LR en France se scindent en deux – le Jobbik s’abstient – Kurz lâche Orbán
Union européenne – Le rapport Sargentini qui affirme que la Hongrie viole les valeurs de l’Union européenne et demande l’activation de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, pouvant aboutir à la suspension du droit de vote de la Hongrie au sein des institutions communautaires, a été adopté par une large majorité le mercredi 12 septembre 2018.
Un vote contesté ?
Voici le détail précis du vote des 750 députés européens :
_ 693 votants (57 absents)
_ 448 votants pour (65%)
_ 197 votants contre (28%)
_ 48 abstentions (7%)
L’intervention de Viktor Orbán, venu en personne défendre, n’a donc pas inversé la vapeur, y compris au sein du PPE, le groupe où siègent les élus du Fidesz. Le document de 109 pages produit en anglais et envoyé à chaque député non plus.
Orbán lui-même n’était pas optimiste la veille du vote, affirmant clairement dans la conférence de presse qui a suivi son intervention que la consigne était venue de Berlin.
Pour la petite histoire, on notera que le matin même de la séance plénière du 11 septembre, un autre chef de gouvernement était convié pour s’exprimer devant les parlementaires européens : le Premier ministre grec Aléxis Tsípras. Alors que Tsípras a eu la possibilité de s’exprimer en cumulé pendant près d’une heure sur un débat qui a duré 2h30, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a pu lui s’exprimer en cumulé 11 minutes dans un débat qui a duré 2h35min.
À la suite du vote, les autorités hongroises ont rapidement dénoncé ce qu’elles considèrent être une fraude. En effet, le déclenchement de la procédure prévue par l’article 7 prévoit que les 2/3 des parlementaires européens doivent voter la proposition. Si l’on ne prend en compte que les votes pour et contre, cela donne 448 votes pour sur 645, soit 69% des voix. En revanche, si l’on considère également les abstentions (au nombre de 48), les votes pour ne représentent plus que 65% des suffrages exprimés. D’où la volonté des autorités hongroises d’effectuer un recours.
Les populistes derrière Orbán
Seul le groupe ENL, co-dirigé par le français Nicolas Bay, où siègent les élus du Rassemblement National (ex-FN), du FPÖ autrichien et de la Lega italienne, a voté comme un seul homme contre le rapport Sargentini. Dans l’autre sens, le groupe Verts-ALE a également voté comme un seul homme : tous les suffrages exprimés étaient en faveur du rapport Sargentini.
Au sein du groupe EFDD de Nigel Farage, dont la comparaison entre l’UE et la doctrine de la souveraineté limitée de Brejnev a été appréciée et relevée par Orbán en conférence de presse, seuls les élus italiens du Mouvement 5 étoiles ont fait défaut et ont voté en faveur du rapport.
L’autre groupe ayant majoritairement voté contre le rapport est le groupe ECR, qui compte les conservateurs britanniques et les élus du parti polonais de gouvernement, le PiS.
Les élus LR (France) divisés au sein d’un PPE relativement discipliné
Au niveau du PPE, le vote se répartit ainsi :
_ 114 votes pour le rapport
_ 57 votes contre (dont les 12 élus du Fidesz)
_ 28 abstentions
_ 20 absents lors du vote
Au niveau de la délégation française (LR) qui compte 20 élus, on dénote 2 absents, 6 abstentions (dont Michèle Alliot-Marie, Arnaud Danjean, Rachida Dati, Geoffroy Didier et Brice Hortefeux), 3 votes contre (dont Nadine Morano) et 9 votes pour le rapport Sargentini.
Le Jobbik s’abstient, le LMP (volontairement) absent lors du vote, les élus de gauche libérale hongroise ont voté le rapport Sargentini
Au niveau des eurodéputés hongrois non-Fidesz, les élus de gauche libérale (MSZP, DK, Együtt) ont tous voté en faveur du rapport Sargentini. Le député du parti écologiste LMP, Tamás Meszerics, était volontairement absent lors du vote.
Le seul député européen restant du Jobbik, Zoltán Balczó, s’est abstenu. Cela confirme la stratégie du Jobbik d’opposition lourde au Fidesz et à Orbán, qui a contribué à la crise identitaire et à la scission récente du parti. Toutefois, cette abstention pourrait aussi bien décevoir parmi les électeurs du Jobbik les partisans de l’unité nationale derrière le gouvernement hongrois que les partisans de l’opposition totale au Fidesz, et ne satisfaire ainsi que peu de monde parmi les soutiens du parti autrefois radical.
Les deux autres élus issus de la liste Jobbik en 2014 ont voté contre. Krisztina Morvai, longtemps figure du Jobbik, a définitivement tourné le dos à ses anciens camarades pour soutenir le Fidesz en 2018 lorsque le Jobbik s’est rapproché de l’opposition libérale pour envisager une coalition « tous contre Orbán ».
Quant à Béla Kovács, depuis l’affaire KGBéla, il est quasiment absent de la vie publique et a officiellement démissionné du Jobbik en décembre 2017 pour ne plus représenter une gêne pour son ancien parti dans la perspective des législatives d’avril 2018.
Kurz lâche Orbán
Parmi les défections infligées à Orbán, celle du chancelier autrichien Sebastian Kurz est de celles qui ont le plus surpris. Quelles en sont les raisons ? Fidélité au PPE, ordres de Berlin, ou volonté de s’éloigner de la figure gênante d’Orbán.
En tout état de cause, Othmar Karas le chef de la délégation autrichienne de l’ÖVP (le parti conservateur autrichien du chancelier Kurz) a été sans détour : « Notre Europe est celle de Juncker, pas celle d’Orbán. » Othmar Karas s’est également prononcé en faveur de la suspension du Fidesz du PPE.
D’autres pistes peuvent également être avancées, comme ce dossier sensible dont le Visegrád Post a parlé du Gaz de la Mer Noire où les intérêts hongrois et autrichiens sont divergents : « Certaines tribunes reprochaient aussi ouvertement à Dragnea d’avoir donné son aval à la variante révisée (BRU) du projet BRUA ; la disparition du « A » (pour « Autriche ») présent dans le sigle d’origine manifeste l’exclusion de l’Autriche, c’est-à-dire le fait que le terminus de la conduite doit désormais officiellement se trouver sur le territoire hongrois – modification imposée par la Hongrie dans un souci évident de ne pas laisser sortir de son territoire le centre de gravité de cette nouvelle géographie sud-est européenne du gaz.«
Les élus du PSD roumain et des partenaires tchèques et slovaques n’étaient pas non plus au rendez-vous
Côté roumain, le vote des élus européens du PSD, le parti dirigé par Liviu Dragnea, était également observé de près. D’autant qu’en raison de la politique menée par le PSD et des différentes manifestations violentes de l’opposition qui a tenté à plusieurs reprises d’initier une révolution de couleur, le gouvernement roumain pourrait se retrouver tôt ou tard dans le viseur de Bruxelles.
Bien que « socialiste » et membre du groupe socialiste au Parlement européen, le PSD roumain agit dans un cadre national où les notions de droite et de gauche n’ont pour ainsi dire quasiment aucune signification. En effet, c’est ce parti de « gauche » qui s’efforce actuellement d’imposer une définition exclusivement hétérosexuelle du mariage en tentant de faire tenir un référendum à ce sujet, auquel le président de « droite » Johannis s’oppose fortement.
En dehors de quelques absences et d’une abstention, tous les élus du PSD ont voté pour le rapport Sargentini. En mars dernier pourtant, un nombre plus important d’élus du PSD s’était rangé du côté de la Pologne.
Côté slovaque, sur les 4 élus du parti de l’ancien Premier ministre Robert Fico, 3 se sont abstenus et 1 a voté la résolution. En leur qualité de membres de la fraction socialiste, il ne leur était pas aisé de faire davantage. On notera qu’en mars 2018, ils avaient voté pour la résolution contre la Pologne demandant l’activation de l’article 7.
Côté tchèque, les élus du parti du Premier ministre Andrej Babiš sont membres du groupe libéral ALDE dirigé par le belge Guy Verhofstadt ont tous voté en faveur du rapport Sargentini. Ils avaient déjà voté de la même façon contre la Pologne.
Sans surprise en revanche, les 4 députés des minorités hongroises de Roumanie et de Slovaquie ont tous rejeté le rapport Sargentini.
Les explications de ces votes sont probablement multiples. Parmi les hypothèses que l’on peut avancer, on rappellera l’intérêt incroyablement faible pour la vie politique du Parlement européen dans les pays d’Europe centrale et orientale. Les 87% d’abstention lors des élections européennes 2014 en Slovaquie en témoignent. Dans ces pays, le Parlement européen n’est souvent vu que comme un lieu lointain pour éloigner untel ou offrir à des figures d’importance mais sur le déclin une sympathique pré-retraite. Quand ce n’est pas tout simplement un lieu pour caser des proches.
En comparaison, le sérieux de la délégation du Fidesz fait un peu figure d’exception dans la région.
Cela n’est toutefois pas l’exclusivité des pays de l’Europe centrale et orientale. En France, en raison du mode de scrutin uninominal aux élections parlementaires nationales, qui recale toujours des figures importantes de la vie publique, certaines d’entre elles se recyclent au Parlement européen avant de retenter leur chance aux législatives suivantes.
Au vu de l’accroissement des enjeux au sein du Parlement européen, il est toutefois probable que les prochaines listes européennes de mai 2019 soient constituées de façon plus sérieuse, avec des élus plus impliqués et surtout plus disciplinés aux intérêts et consignes de leurs partis.
Et maintenant ?
Sous réserve que le vote du Parlement soit confirmé en dépit du recours juridique hongrois, plusieurs questions se posent sur la suite de ce vote.
En ce qui concerne le Fidesz, sa présence au sein du PPE semble de plus en plus difficile. Toutefois, Orbán a clairement fait savoir qu’il n’avait aucunement l’intention de quitter le PPE, rappelant qu’il y avait été convié à la fin des années 1990 (jusqu’alors le Fidesz était membre de l’Internationale libérale) par le chancelier allemand Kohl, et que celui-ci n’est plus. Il a également rappelé qu’en l’état des choses sa visite à Milan où il a rencontré le nouveau ministre de l’Intérieur italien Salvini n’était pas une question de parti politique mais de défense des frontières.
L’étape d’après concernant le processus juridique de l’activation de l’article 7 est le Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats-membres de l’Union européenne. En principe, chaque Etat (en dehors de l’Etat incriminé) jouit d’un droit de véto, qui pourrait toutefois être contourné de façon technique par une majorité des 4/5, évitant ainsi la protection mutuelle que pourraient s’accorder la Pologne et la Hongrie, toutes deux sous le coup de l’article 7, dont les gouvernements sont proches et solidaires, et dont les pays sont liés par une amitié millénaire.
Ce vote lance aussi définitivement la bataille des européennes de 2019, où les projets d’Orbán (énoncés en juillet dernier) et de Macron vont désormais s’affronter jusqu’au mois de mai 2019. En tout état de cause, Orbán a d’ores et déjà annoncé que selon lui, si le PPE se défait du Fidesz et fait alliance à l’avenir avec les libéraux et les socialistes, alors l’Europe sera gouvernée par une majorité favorable à l’immigration et que l’histoire qui s’écrira ne sera plus celle des Européens. Les termes du débat sont posés.