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La Roumanie interdit la chasse au trophée

Temps de lecture : 6 minutes

Par Marie Fouque.

Roumanie – Mardi 4 octobre, le ministre de l’Environnement, des Eaux et des Forêts Cristiana Pașca Palmer a annoncé que la chasse au trophée des grands carnivores serait désormais interdite en Roumanie. Elle est interdite en Union européenne mais cette chasse est tolérée si elle est faite au nom de la régulation d’une population si importante de carnivores qu’elle en est dangereuse pour l’humain, ou pour éliminer des individus entrant en conflit avec l’activité humaine, s’attaquant aux fermes et élevages par exemple. Malgré cela en Roumanie une importante industrie financière s’est créée autour de la chasse aux grands carnivores, présents dans la région en nombres assez élevés comparé à une grande partie de l’Europe, les amateurs de ce genre de chasse pouvant payer environ 10.000 euros pour le trophée (abattage et récupération d’un morceau de l’animal, de la fourrure par exemple) d’un ours brun, ou d’un loup gris.

Cette industrie financière s’explique du fait qu’en Roumanie, ce sont les organisations de chasseurs qui sont à la base du système. Ils recensent les animaux présents sur le territoire, et fournissent les informations collectées : le nombre estimé d’animaux présents sur la zone et le nombre estimé d’animaux susceptibles de causer des dommages et donc à abattre. Le ministère de l’Environnement peut alors donner son accord. Aussi les sommes récoltées pour la chasse pourraient servir à réparer les dommages créés par les carnivores. En 2016, le gouvernement a donné son accord pour abattre 522 ours bruns, 657 loups gris, et 482 chats sauvages sous une période de douze mois. Ces quotas ont été estimés par l’Université de Brașov, qui elle-même se base sur les données des chasseurs, et estime que ce sont les bons quotas pour garder la population sous contrôle, le pays comptant, selon le recensement, 6.500 ours bruns, 3.000 loups gris et 10.000 chats sauvages.

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Or ces chiffres seraient totalement surestimés. En effet les organisations de chasseurs, pour recenser les carnivores, utiliseraient la méthode fallacieuse qui consiste à compter à peu près chaque individu aperçu, au risque des compter le même individu plusieurs fois, non seulement sur le même territoire, mais en plus, ces animaux ayant un territoire assez étendu, plusieurs organisations de chasseurs peuvent compter une fois chacune ou plus le même animal, pouvant fausser les chiffres à des centaines d’individus près. En faisant abstraction de ces données, les prix pratiqués, et qui devraient s’excuser en partie par le remboursement des dommages causés par les animaux, sont exorbitants : la même étude de l’Université de Brașov estime le montant des dommages causés par les loups à 15.000 euros et par les ours à 176.000 euros. 10.000 euros, ou même 5.000, ou même moins, pour un trophée, sont des sommes qui semblent relever du braconnage, et ne sont pas justifiables par le remboursement des dégâts. Or cela était jusqu’à présent toléré par le gouvernement. « La chasse pour de l’argent était déjà illégale, mais le feu vert était quand même donné, » explique Cristiana Pașca Palmer. « Les dommages – une clause dans la directive habitats – servaient de couverture pour la chasse au trophée. » Une fois l’accord du gouvernement donné, les quotas étaient répartis parmi les organisations de chasseurs et ainsi vendus comme droit de chasse au public, public qui est international, car c’est depuis l’accession de la Roumanie à l’UE en 2007 que la chasse au trophée s’est réellement développée.

Autre fait cocasse qui nous laisse en droit de nous interroger, le directeur de la Banque nationale de Roumanie, Mugur Isărescu, est également le directeur de l’agence de Chasse et de Pêche, et pouvait ainsi profiter des avantages liés a ce poste, à savoir chasser au trophée gratuitement, avec ses invités. On peut d’avantage imaginer une chasse sportive qu’un réel intérêt pour la protection des habitants, ou la régulation des espèces, comme dit précédemment, protégées.

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Le gouvernement a donc interdit ce genre de pratiques le 4 octobre, peu de temps après avoir annoncé le nombre d’animaux à abattre et ainsi soulevé une vague d’indignation d’une partie de la population roumaine, divisée sur le sujet, les pro-chasse étant plutôt des ruraux et les anti-chasse, plutôt des citadins, et de nombreuses ONG, puisque les ours bruns, loups gris et lynx sont des espèces protégées. La ministre de l’Environnement a surpris la Roumanie avec cette interdiction qui peut sembler aberrante pour certains, au vu des chiffres estimés de grands carnivores vivant sur le territoire que l’on pourrait voir comme des menaces potentielles envers l’homme. L’indignation des bergers, fermiers, ayant subi une attaque, craignant une attaque, semble tout à fait justifiée. Mais il faut savoir que dans le cadre de ces risques, ou attaques déjà subies, la mise à l’écart d’une menace potentielle est autorisée, mais elle ne se fera plus par les chasseurs, par un particulier ou un étranger, mais par le Service d’urgence de la vie sauvage, qui interviendra de préférence au fusil tranquillisant.

De plus le ministère de l’Environnement a également pris la décision de former un comité d’experts, composé de représentants de la société civile, spécialistes de la vie sauvage, chasseurs, fermiers, et de l’Académie roumaine, afin de trouver un moyen fiable d’estimer le nombre de grands carnivores présents sur le territoire. Aussi Cristiana Pașca Palmer souhaite une totale transparence sur les résultats, elle souhaite redorer l’image de la Roumanie, pays parfois accusé de corruption et d’enfreindre les lois internationales.

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La Roumanie semble avoir pris une décision raisonnable, bien qu’elle déplaira a beaucoup, la chasse au trophée d’espèces protégées étant illégale en Union européenne. Mais avec cette interdiction, on peut craindre alors une hausse du braconnage. C’est pourquoi il y a un réel besoin d’une règle européenne pour le recensement des animaux, qui peut se faire de manière tout à fait fiable grâce aux technologies permettant de relever l’ADN par exemple, et permet de connaitre et contrôler ainsi la faune présente. De plus si les populations sont trop importantes par rapport à la taille de leur territoire, qui réduit toujours plus du fait de l’activité humaine qui s’étend, il peut être envisageable de les relocaliser, par exemple dans d’autres pays qui eux ne comptent plus un nombre naturel de ces grands carnivores – bien que cela relève du conte de fées puisque la population humaine est hostile à ce genre d’espèces – ou bien dans des parcs naturels, surveillés et protégés, qui permettent à l’écosystème européen d’être en partie épargné de l’homme et facilite l’observation, scientifique ou non.

Malheureusement, l’harmonie avec la nature se perd c’est un fait. C’est comme cela que des troupeaux de bétail se retrouvent sans surveillance pendant plusieurs jours, du fait que le berger s’en va vaquer à d’autres activités et dormir dans son lit pendant que son troupeau est exposé aux menaces. Il ne faut certes pas généraliser mais c’est une mauvaise habitude qu’a pris l’homme, fuir son travail ou bien tout faire en même temps et mal, chacun a sa part de responsabilités, et loin de moi l’idée de dire que tous les bergers et fermiers sont des menteurs fainéants qui n’aspirent qu’à détruire la faune sauvage pour faciliter et augmenter leur production. Car en effet aujourd’hui un berger ou fermier qui pratique son métier de manière traditionnelle, peut redouter avoir du mal à joindre les deux bouts.

Et si en Europe, à la base de la chasse aux ours, aux loups, aux lynx, se cache un sentiment ancestral qui est la peur du grand carnivore, et aujourd’hui une volonté naturelle de faire vivre la tradition – et dans certains cas de faire vivre le compte en banque -, laissons aux espèces la possibilité de se remettre des activités humaines excessives qui leur ont causé du tort. Car si la chasse est une tradition fondatrice de l’homme européen, la flore et la faune animent l’esprit de l’Europe.

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