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La Pologne vue par Szewach Weiss, ancien président de la Knesset rescapé de la Shoah

Temps de lecture : 5 minutes

Par Olivier Bault.

Pologne – Alors que l’on commémorait le 72e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau, et alors que certains médias utilisaient encore, sans doute (?) par raccourci phraséologique, l’expression «camps de concentration polonais» pour désigner les camps allemands installés sur le territoire de la Pologne d’avant-guerre, l’ancien président de la Knesset, ancien ambassadeur d’Israël à Varsovie et président du conseil du Mémorial de Yad Vashem Szewach Weiss, un Israélien né en Pologne et sauvé par des Ukrainiens et des Polonais, a publié le 23 janvier dernier, dans le magazine conservateur Do Rzeczy où il tient une chronique hebdomadaire, un texte pour évoquer la Pologne de son enfance et celle d’aujourd’hui. Szewach Weiss a toujours été un critique virulent de ceux, y compris dans les milieux de la communauté juive à travers le monde, qui voudraient faire porter aux Polonais une partie de la responsabilité de la Shoah. Le 17 janvier dernier, le président polonais Andrzej Duda lui remettait la plus ancienne et la plus haute décoration polonaise, l’Ordre de l’Aigle blanc.

Voici le texte de Szewach Weiss, traduit et publié avec l’aimable autorisation de Do Rzeczy :

Ma Pologne

La Pologne était pour moi un choix naturel quand, après mes années passées à la Knesset, y compris en tant que son président, j’ai commencé mon travail d’ambassadeur. C’est moi qui ai choisi d’être affecté en Pologne. C’était un retour dans ma Pologne ou, pour être plus exact, dans mes Polognes.

L’une d’entre elles, c’est la Pologne de mon enfance, qui n’a jamais disparu de ma mémoire et qui me revient dans mes rêves. C’était une Pologne très intéressante, parfois très joyeuse et parfois – quand je pense par exemple au meurtre de mes grands-parents – très triste et très tragique. C’était la Pologne galicienne, plurilingue, multiculturelle, très intéressante pour les personnes plus âgées, mais aussi passionnante pour les enfants. Quand j’étais enfant, Boryslav, où je suis né, comptait près de 50.000 habitants dont peut-être environ 20.000 Polonais, 15.000 Ukrainiens et 15.000 Juifs. C’était donc un véritable mélange de cultures, de langues et de religions typique de la Galicie. À l’école maternelle, où il y avait pas mal d’enfants juifs, nous apprenions des chansons en polonais et en ukrainien, et il y avait des fois où l’infirmière ou une autre personne juive nous apprenait des chansons juives en yiddish. De ces temps-là, je me souviens encore de la chanson [toujours populaire aujourd’hui chez les enfants polonais, NDLR] : « Un petit Cracovien avait sept petits chevaux, il partit à la guerre, il ne lui en resta qu’un. Il guerroya sept ans, jamais il ne sorti son sabre, son sabre rouilla, il ne vit pas la guerre. » Je suis revenu aux paroles de cette chanson longtemps après, quand la Pologne a acheté des missiles Spike à Israël. J’ai dit alors que je souhaitais à la Pologne que ce « sabre », c’est-à-dire les missiles, rouille et ne voie jamais la guerre.

Oui, la Pologne de mon enfance vit toujours en moi. Les nuages dans le ciel de Pologne ont toujours fait une grande impression sur moi. Quand ils sont noirs, ils me font penser à l’obscurité des endroits où nous cachaient les Justes parmi les nations. Je me souviens des doubles cloisons de notre petite maison qui nous ont permis de trouver refuge et de survivre. Quand je voyage en Pologne et que je vois une chapelle campagnarde, cela me rappelle toujours la chapelle dans laquelle notre famille a été cachée par la famille Góral. Je me souviens que des écureuils y pénétraient. Je disais alors à ma maman : « Dommage que je ne sois pas né écureuil. Je serais libre et on n’aurait pas besoin de rester enfermés ici. » Mais quand nous étions cloîtrés ainsi, chacun d’entre nous était conscient de tout ce que la famille qui nous avait mise là faisait pour nous [en Pologne occupée, cacher des juifs était passible d’exécution pour tous les membres de la famille, NDLR].

Ma Pologne, c’est aussi la jeunesse polonaise. Je suis entré en politique après être passé par le monde de l’enseignement. J’ai l’honneur, et je souligne que c’est pour moi un honneur, de venir régulièrement en Pologne pour y donner des cours. La jeunesse que je rencontre, et à qui je donne ces cours, est mon espoir. C’est une génération qui est face à de grands objectifs et de grands défis liés au message : « Plus jamais ça ! ». Je sens que ces jeunes gens ont de la sympathie pour mon peuple et qu’ils ont aussi beaucoup de compassion pour cette grande injustice et cette terrible extermination qu’ont subi les juifs sur la terre polonaise pendant l’occupation allemande.

Les médias comptent aussi beaucoup pour ma présence en Pologne. Quasiment au tout début de ma mission d’ambassadeur, j’ai rencontré Piotr Gabryel [qui est actuellement le rédacteur en chef adjoint de l’hebdomadaire Do Rzeczy, NDLR], et jusqu’à ce jour, je suis moi aussi présent dans les titres de presse où il apparaît. Nous sommes maintenant ensemble à Do Rzeczy, et je suis impressionné par le niveau intellectuel de l’hebdomadaire de mon ami Paweł Lisicki [le rédacteur en chef de Do Reczy]. On me demande parfois pourquoi, alors que je suis lié à la social-démocratie, je publie dans des titres de presse de droite, conservateurs. C’est avant tout en raison de mes liens d’amitié, mais par ailleurs je n’y ai jamais été censuré.

L’Ordre de l’Aigle blanc est en quelque sorte une synthèse de mes liens avec la Pologne, et c’est pour moi une décoration particulièrement importante. J’en suis ému et fier. Elle m’a été remise dans un contexte concret, celui de ma mission personnelle en tant qu’ambassadeur d’Israël en Pologne, en tant qu’homme né en Pologne, enfant de l’Holocauste, sauvé à Boryslav par des Justes parmi les nations.

Chaque ambassadeur s’est efforcé de restaurer les relations blessées entre Polonais et juifs. Après la guerre, nous avons manqué de temps pour conduire un dialogue. Depuis 1989 où la Pologne est redevenue une démocratie parlementaire, ses relations avec Israël se portent très bien. Nous soignons ces relations en nous fondant sur la mémoire, sur l’entière vérité sur ce qu’il y a eu de bon, mais aussi de mauvais, en nous souvenant toujours des Justes parmi les nations qui sont mes héros particuliers, les héros du peuple juif, et qui deviennent les héros de l’ensemble du monde moral.

Cette décoration que j’ai reçue à Jérusalem des mains du président Andrzej Duda n’est pas un prix politique, il ne vient pas de la droite ni de la gauche. Nous avons vécu tant d’années côte à côte, et ensuite presque tout a pris fin en six ans pendant l’occupation allemande. Maintenant, sur les ruines du passé, nous essayons de renouveler ces relations pour que les générations futures se souviennent que le peuple juif s’est épanoui pendant de longues années sur les terres polonaises. Et aussi que, malheureusement, il y a agonisé à cause de cet affreux fascisme dont les juifs et les Polonais ont été les victimes.

Capture d’écran de la chronique de Szewach (Shevah) Weiss dans le Do Rzeczy du 23 janvier 2017, publiée sous le titre « Moja Polska » (Ma Pologne). Sur la photo : remise à Szewach Weiss à Jérusalem de l’Ordre de l’Aigle blanc par le président polonais Andrzej Duda.