Par Miloš Milojević.
Le 3 avril 2017, le premier ministre serbe Aleksandar Vučić a été élu président de la République de Serbie. Il entrera en fonction le 31 mai 2017.
Serbie, Belgrade – Le résultat des élections présidentielles serbes aurait difficilement pu être différent le dimanche 2 avril. Après une campagne électorale acharnée, chère et déséquilibrée, l’usage des ressources de l’État et de sa position de premier ministre, avec plusieurs irrégularités mineures à travers le pays, il est surprenant que le Premier ministre et maintenant Président de la république Aleksandar Vučić n’ait pas remporté une victoire écrasante. Mais cela ne peut pas beaucoup réconforter les candidats de l’opposition qui, tous réunis, ont reçu 13% de votes en moins que le vainqueur de l’élection. Ils peuvent peut-être trouver une sorte de réconfort dans le fait que la coalition aux politiques variées qui soutenait Aleksandar Vučić au poste de président a reçu quelques centaines de milliers votes en moins que durant les élections parlementaires de l’an dernier. Mais pour être tout à fait honnête, des gouvernements plus solides et efficaces au cours de ces cinq dernières années (la période au pouvoir de la coalition) ont connu un déclin plus marqué dans les sondages.
Malgré tout, les élections présidentielles serbes méritent un regard plus analytique, même si leur résultat était prévisible et n’a pas apporté de changement à la tête de la nation. Tout d’abord, la décision du premier ministre issu de la coalition de se présenter comme président est inhabituelle. Officiellement, le Président de la république serbe a relativement peu de pouvoirs constitutionnels. Il s’agit simplement de devoirs protocolaires de représentation du pays devant le monde : il incarne l’unité de la république et est le commandant suprême des forces armées ; il décerne les médailles et autres honneurs ; il peut retourner des propositions législatives qui ont été adoptées au parlement pour reconsidération après le second vote ou bien l’adoption doit être signé et confirmée par le président pour acquérir une force légale. Voilà tout. Cependant, la position spécifique de président consiste en le fait que, en dépit du nombre relativement faible de ses pouvoirs politiques, il est élu par un suffrage direct, ce qui démontre qu’il est la figure politique la plus populaire à n’importe quel moment donné. C’est peut-être pour cela que le président du Parti progressiste et premier ministre Aleksandar Vučić, bien que déjà doté de ces deux puissantes fonctions, a décidé d’entrer dans la course pour obtenir le rôle presque cérémonial de Président de la république. Et peut-être que la raison clef était aussi la décision plutôt prévisible de choisir comme son premier ministre une personne politiquement faible qui sera fortement influencée par le Président, ou mieux, le Président et le parti au pouvoir, qui continue d’avoir une influence décisive grâce à sa majorité parlementaire.
Une autre caractéristique intéressante de ces élections est l’attitude de l’opposition. Les candidats de l’opposition n’étaient pas particulièrement optimistes avant les élections – et ont encore moins de raisons de l’être après la publication des résultats. Mais comme tant de commentateurs l’ont fait remarquer, les élections ont été l’occasion de tester le poids relatif des différents candidats de l’opposition, ce qui peut être une base de départ pour les futures combinaisons de coalitions. L’émergence du candidat de l’opposition Luka Maksimović est curieuse : âgé de vingt-quatre ans et originaire de Mladenovac, près de Belgrade, il n’a aucune expérience politique antérieure ni carrière au niveau national. Il a mené un mouvement politique local sous le pseudonyme de Ljubisa Preletačević Beli et a obtenu des scores exceptionnellement élevés à ces élections – un peu plus de 9% des voix, le plaçant en troisième position, juste derrière le nouveau président élu Aleksandar Vučić et le candidat de l’opposition Saša Janković , le candidat libéral. Ce dernier a eu une carrière bureaucratique peu impressionnante et a reçu environ 16% des votes, ce qui constitue un très bon résultat. Luka Maksimović, alias Ljubisa Preletačević, a reçu une attention considérable des médias occidentaux – y compris la BBC britannique – et son phénomène a été interprété comme une réponse locale, jeune et humoristique reflétant une méfiance générale envers le système politique. Quelque chose de semblable au Mouvement Cinq étoiles en Italie ou, en Espagne, à Podemos (Podemos, dont l’infrastructure est beaucoup plus sérieuse et qui a une orientation idéologique claire). Malheureusement pour ceux qui croient qu’un tel mouvement pourrait représenter un puissant générateur de changements dans la vie politique, l’expérience européenne nous enseigne ce qui suit. Les mouvements «de la base électorale» s’opposant généralement «à tout»ne font que fortifier les centres de pouvoir établis, le système politique sclerosé et les technocrates engagés dans l’intégration européenne, comme Angela Merkel. Il n’est pas difficile de deviner que, en Serbie, le bénéficiaire ne serait nul autre que Aleksandar Vučić !
Les candidats
Nous examinerons l’aspect de la politique étrangère de ces élections, mais commençons par le début – la nomination présidentielle. Étant donné que Aleksandar Vučić a bien organisé son rôle de candidat à la présidentielle, il semble surprenant que, à maintes reprises, pendant une longue période, il ait affirmé qu’il n’oserait pas participer à la présidentielle. En fait, étant donné que l’ancien (et actuel) président Tomislav Nikolić a remporté l’élection de 2012 en tant que candidat du Parti progressiste serbe, alors dans l’opposition, beaucoup s’attendaient à ce qu’il soit le candidat logique de son ancien parti lors de ces élections.
Il semble que pendant un certain temps, Tomislav Nikolić avait la même impression – bien que l’année dernière, il n’ait pas explicitement indiqué s’il allait ou non entrer dans la course présidentielle. Cette possibilité a été mentionnée de manière semi-informelle au moment de la Visitation, (une fête religieuse et nationale durant laquelle la Serbie marque le début de la Première Insurrection Serbe et la restauration de son État), durant la réception du gouvernement, qui a été transmise instantanément par des journalistes de l’agence de presse russe Sputnik. La nouvelle s’est répandue tout de suite sur Internet et, lorsqu’il est apparu clairement que Tomislav Nikolić participerait aux élections, la question était de savoir s’il y aurait une rupture au sein du parti au pouvoir. L’ami des médias, Aleksandar Vučić – et cela vaut pour la plupart des médias en Serbie – a incendié le président actuel de calomnie publique et de diffamation en écrivant à propos de lui comme s’il était à l’avant-garde d’une conspiration anti-étatique. Cela a été suivi d’une réunion d’Aleksandar Vučić et Tomislav Nikolić à huis clos – Nikolić a déclaré ensuite qu’il était prêt à soutenir la candidature de Vučić, bien qu’il ait finalement très peu participé à la campagne.
Ainsi, Aleksandar Vučić, a ignoré les précédentes et multiples dénégations face à son intention de se présenter en tant que candidat à la présidentielle de la coalition au pouvoir, réunie autour du Parti progressiste serbe. Au sein de cette coalition de partis plus petits qui, depuis quelque temps, ont lié leur destin politique au SNS, se trouvait aussi le Parti socialiste de Serbie, qui auparavant avait toujours son propre candidat à la présidence.
Contrairement au SNS, pour lequel le public pouvait facilement comprendre comment la crise à court terme concernant le candidat à la présidence serait finalement résolue, dans les rangs de l’opposition, la situation était plus complexe. À l’extrême libéral du spectre politique, le Parti démocrate, dont l’ancien chef Boris Tadic avait subit une défaite électorale en 2012 et provoqué une série d’événements qui a conduit à renforcer le pouvoir du SNS, n’était pas prêt pour désigner son propre candidat. Son candidat est ainsi devenu Saša Janković. Il y a quelques années, Saša Janković était, aux yeux du grand public, une figure largement méconnue – avocat de profession, pendant plusieurs décennies, il a occupé toute une série de postes bureaucratiques et de fonctions politiques, peu importe le parti ou le politicien dominant la vie politique serbe. Ainsi, dans la seconde moitié des années 90, il a occupé le poste de secrétaire au ministère de la Jeunesse et du Sport, durant une période particulièrement détestée des électeurs libéraux. Cependant, une telle carrière marquée par des fonctions essentiellement non politiques dans les couloirs de la bureaucratie d’État n’a pas travaillé contre lui – il a été, en fait, adopté par diverses organisations libérales et de gauche modérée dans la vie publique serbe, y compris le Parti démocrate et le Nouveau Parti dont le chef, Zoran Živković, a brièvement servi de premier ministre après l’assassinat de Zoran Đinđić en 2003. Outre ces deux partis, Janković a bénéficié du soutien fourni par les petits mouvements locaux (Front local) ainsi que par l’organisation intitulée « Ne noyez pas Belgrade », unie contre la mise en place du projet des quais de Belgrade, et les nombreuses irrégularités financières et juridiques qui l’accompagnent (voir l’article qui traite brièvement de cette question).
Janković a acquis sa réputation publique pour sa qualité d’ombudsman – ce qui est à proprement parler une fonction juridico-bureaucratique et non politique. Ses déclarations liées à l’affaire Sava Мala et à de nombreux autres abus de pouvoir ont créé – avec l’utilisation habile des réseaux sociaux – l’image d’un combattant fiable pour la justice contre le régime corrompu, même si le risque était pratiquement inexistant puisqu’il avait été élu pour un mandat de dix ans – qui a expiré cette année.
En plus de Janković et Luka Maksimović (alias Ljubisa Preletačević) parmi les candidats de l’opposition, Vuk Jeremić s’est distingué : c’est un ancien ministre des Affaires étrangères, qui, après sa carrière politique en Serbie, a poursuivi une carrière distinguée aux Nations Unies – il a présidé l’Assemblée générale des Nations Unies, a établi un certain nombre de contacts importants au sein de la politique internationale de haut niveau, et il est arrivé en deuxième place lors de l’élection au poste de Secrétaire général de l’ONU. Jeremić a longtemps figuré auprès du public serbe comme une personne avec un capital politique important, et en Serbie il est capable d’obtenir des résultats significatifs. Au cours de son mandat ministériel, il a été remarqué comme quelqu’un qui résista violemment au sein l’arène internationale à l’indépendance proclamée unilatéralement du Kosovo, une lutte – dans des circonstances serbes équivalentes à un miracle – qui a donné des résultats indéniables.
D’autres candidats à la présidentielle – y compris Vojislav Šešelj, chef du Parti Radical Nationaliste, n’étaient pas crédités de chances de victoire particulièrement élevées. Plus précisément, Šešelj a longtemps flirté avec le régime d’Aleksandar Vučić. Le fait qu’il soit connu comme étant un personnage obstiné et inébranlable a sérieusement endommagé sa popularité – ce qui a été clairement démontré lors de cette élection.
La campagne : ce qui a été dit et la torture médiatique
La campagne pour l’élection présidentielle était relativement courte mais d’une brutale intensité. Le parti au pouvoir a bénéficié d’un avantage notable dans les médias et pour ce qui est des ressources financières à sa disposition.
Pour avoir une idée de la situation, je mentionnerai quelques détails de l’article consacré aux opportunités médiatiques lors de la campagne électorale. La journaliste Sandra Petrušić de l’hebdomadaire de Belgrade NIN, a calculé que dans les émissions de premier ordre sur la télévision nationale RTS, entre le 9 et le 29 mars, Aleksandar Vučić a parlé pendant 2.374 secondes alors que le premier concurrent Saša Janković n’a eu seulement que 285 secondes de temps de parole. Au quotidien national Pink TV, très populaire auprès du public serbe, Vučić a eu l’occasion d’exposer ses idées politiques sur un total de 17.334 secondes, soit plus de 90% du temps total consacré aux activités pré-électorales et bien plus que le temps disponible pour tous les autres candidats réunis. Vučić a eu l’avantage que, en tant que premier ministre (il n’a pas démissionné pour la campagne), il pouvait effectuer son travail ordinaire, qui est rapporté de manière exhaustive par tous les médias, alors que les autres candidats ne disposaient exclusivement que d’un programme électoral régulier. Petite anecdote intéressante : le 17 février dans le Journal National sur Pink TV, des applaudissements pour Aleksandar Vučić ont été diffusés pendant trois minutes et 46 secondes sans aucun commentaire.
Pour rendre les choses encore plus étranges, le parti au pouvoir avait continuellement accusé les candidats de l’opposition de dépenser d’énormes sommes d’argent pour leur campagne – se demandant publiquement au même moment d’où l’argent provenait. On peut supposer que cette accusation a été montée de toute pièce car le nombre de spots télévisés diffusés par les candidats à l’opposition était pitoyable par rapport à la gigantesque campagne organisée par les candidats du parti au pouvoir.
Cependant, ce qui est particulièrement inquiétant n’est pas la campagne officielle, mais la torture de la part des tabloïds par laquelle sont passé des candidats de l’opposition. Bien que les cibles étaient toutes des personnages de l’opposition, excepté ceux en faveur du gouvernement comme Vojislav Šešelj, l’obscur Miroslav Parović, et Nenad Čanak, des attaques particulièrement vicieuses ont été dirigées contre Vuk Jeremić. La diffamation à l’égard de Jeremić et de sa famille marquent l’aboutissement de la chute morale des médias serbes. Deux exemples sont particulièrement frappants : le tabloïd Informer et son rédacteur en chef, Dragan J. Vučićević, ont publié des accusations selon lesquelles l’ancien ministre avait décidé que sa femme recevrait des fonds d’État «prétendument» pour des soins aux États-Unis ; Le mot «prétendument» est utilisé pour impliquer qu’il n’y avait aucun traitement, mais bel et bien une opération financière frauduleuse. Les enfants de Jeremić étaient également ciblés – un autre exemple de la malhonnêteté professionnelle des tabloïds soutenant Aleksandar Vučić aura été l’absence totale d’hésitation à violer la vie privée des personnes qui n’ont jamais été associées à un acte criminel ou à une controverse financière.
Tout ce qui précède n’est rien comparé à ce qui a suivi. Milenko Jovanov, fonctionnaire du Parti Progressiste Serbe, a déclaré que Natasa Jeremić, l’épouse de Vuk Jeremić et ancienne présentatrice de Radio Télévision Serbia – était à la tête du plus grand cartel de la drogue du pays ! Cela a donné lieu à une conférence de presse où Natasa Jeremić, visiblement ébranlée, a nié ces accusations absurdes. Puis cela a été suivi d’une légère réprimande d’Aleksandar Vučić, et des excuses d’un représentant du parti « aux citoyens de Serbie » (mais pas à Natasa Jeremić, la cible de cette horrible calomnie). Le nature de la campagne médiatique qui a été déchaînée a été le sujet de l’entretien pré-électorale de Vuk Jeremić avec l’hebdomadaire « Vreme »: « J’ai été la cible de campagnes médiatiques très agressives dans tous ces médias semi-étatiques, vous auriez pu entendre ou lire toutes sortes de choses, de l’accusation selon laquelle j’étais impliqué dans le meurtre de soldats de la garde, à la participation au vol ou au détournement de fonds de millions des fonds d’État … Bien sûr, cela n’a rien à voir avec la vérité, mais je pense que cela, comme beaucoup d’autres choses, est allé trop loin ».
Dans cette situation médiatique où les élections ont été qualifiées de choix entre les forces néfastes qui traquaient Aleksandar Vučić, et, vous l’avez deviné, Aleksandar Vučić, ce que les autres candidats avaient à dire n’avait pas vraiment d’importance.
En bref, tout au long de la campagne Vučić a prôné la «stabilité», insistant sur le fait que l’élection du candidat d’un autre parti serait désastreuse pour le pays et le processus politique, qu’il a considérablement développé au cours des dernières années. En République de Serbie, relativement récemment, il y avait une situation où le président et le premier ministre provenaient de partis différents – lorsque Vojislav Koštunica était premier ministre et Boris Tadić Président – mais rien de particulièrement dévastateur ne s’est produit, donc il est difficile de comprendre ce qu’a voulu dire Aleksandar Vučić quand il a parlé de préserver la stabilité. Ses tabloïds ont publié des allégations absurdes selon lesquelles les candidats de l’opposition Saša Janković, Vuk Jeremić et Boško Obradović étaient des conspirateurs prêts à traîner le pays dans une guerre civile. Vučić s’est également octroyé à son crédit des réalisations importantes du gouvernement, en particulier dans le domaine de la politique économique, et le soutien international dont la Serbie bénéficie. Il a également essayé d’attirer les électeurs potentiels en embellissant sa personnalité – ses parents âgés et sa fille mineure ont été présentés à la télévision et ont donné de brèves entrevues au journal belgradois Blic. Ces invasions de la vie privée et les tentatives de glorification du premier ministre sont apparues aux gens ordinaires comme drôles et parfois grotesques.
La critique envers Aleksandar Vučić était un thème clef des autres candidats de l’opposition. Saša Janković a concentré ses critiques sur l’empiétement sur la loi. La lutte pour «une Serbie décente» et «l’état de droit» étaient les principaux slogans de sa campagne. Luka Maksimović n’a pas eu de campagne. Certains commentateurs considèrent sa campagne électorale comme symbole d’une vision anti-politique qui, en fin de compte, favorise les partis au pouvoir parce qu’il n’offre aucune alternative politique. Vuk Jeremić a mené sa campagne de position modérée de droite en insistant sur le fait qu’il s’oppose à l’adhésion de la Serbie à l’OTAN et soutient la souveraineté de la Serbie au Kosovo-Metohija. Il a également critiqué vivement Aleksandar Vučić, en faisant allusion à une éventuelle conduite criminelle qui est associée à sa famille. Il est tout à fait possible que ce soit l’une des principales raisons pour lesquelles il a été particulièrement attaqué dans les médias pro-gouvernementaux.
Le facteur international : amis et très bons amis
Parmi les succès du gouvernement qu’ Aleksandar Vučić a largement exploités dans ses apparitions politiques, le prestige international de l’État est quelque chose qu’il cite fréquemment. Au cours de la campagne électorale, Vučić a rencontré Angela Merkel, chancelière allemande, ainsi que – et du point de vue de l’opinion publique serbe beaucoup plus importante – le président russe Vladimir Poutine.
Poutine a reçu Aleksandar Vučić lors d’une visite officielle à Moscou le 27 mars. La réunion n’a apparemment pas une dans les faits de grande conséquence. Le public serbe connaît depuis longtemps l’acquisition d’armes en provenance de Russie (en particulier les avions de combat), mais jusqu’à présent, la mise en œuvre de l’accord a été bloquée. Le président russe a déclaré qu’il espère que les relations serbo-russes se développeront dans un esprit amical, « peu importe la situation politique qui se révèle ». Il a souhaité à Vučić et son parti le succès aux élections, ce qui a pu être une simple mesure de courtoisie tout comme une déclaration d’ordre politique.
Le président russe jouit d’une grande popularité au près de l’opinion serbe et a une forte autorité politique qui a été évidemment utilisée par le généralement pro-occidental Aleksandar Vučić pour se présenter dans une lumière plus favorable devant l’électorat qui favorise la Russie.
Dans les médias Vučić n’a pas pu résister à utiliser ces deux visites pour capitaliser en terme d’image d’une manière frappante et à la fois grotesque – dans un studio de télévision lors de son apparition en arrière-plan, est apparue une image énorme d’Angela Merkel et de Vladimir Poutine, entre lesquels était placé un portrait de lui-même. Ce que l’auteur de ces lignes se permet de souligner comme inquiétant en terme de symbolique.
Mais encore plus évident était le symbolisme de la visite de Gerhard Schröder en Serbie le 24 mars et sa participation à la campagne présidentielle. Schröder était en fait le chancelier d’Allemagne au moment où ce pays, en tant que membre de l’OTAN, a participé aux bombardements de la République fédérale de Yougoslavie. Le jour où il a visité la Serbie était en l’occurrence l’anniversaire de l’agression de l’OTAN au cours de laquelle un certain nombre de civils ont été tués et la Serbie et le Monténégro ont subi des dégâts matériels importants. Ironiquement, Aleksandar Vučić, dont un rassemblement de sympathisants a pu écouter l’intervention de Schröder, était en 1999 le ministre du gouvernement responsable de l’information. Il semble que même un tel mouvement provocateur n’affecte pas la popularité de Vučić. Certains commentateurs ont clairement estimé que Vučić souhaite vraisemblablement voir jusqu’où il peut aller avant que ses électeurs ne réagissent (apparemment, assez loin).
Les résultats et les perspectives post-élections
Pour qui a réfléchis sur l’état politique de la Serbie au cours des mois précédents, les résultats des élections ne devraient pas être surprenants. Les candidats de l’opposition ont espéré et lutté pour réussir au moins à parvenir au deuxième tour (qui a lieu quand aucun candidat ne reçoit la majorité absolue des voix) mais ils n’ont pas réussi. La participation était comme d’habitude, malgré les attentes de Saša Radulović, l’un des candidats à la présidentielle et le leader du mouvement « Assez », selon lequel plus de candidats signifie une plus grande participation électorale. Selon les résultats actuellement disponibles (basés sur les données de 97,42% des bureaux de vote) Aleksandar Vučić a reçu 1.953.481 (55,02%) voix, Saša Janković 580.914 (16,36%), Luka Maksimović 334.859 (9,43%), Vuk Jeremić 200.984 (5,66%) et Vojislav Šešelj 159.912 (4,5%). Les autres candidats ont reçu beaucoup moins de votes. Parmi eux, la surprise agréable de l’élection était Milan Stamatović, maire de longue durée de Čajetina qui a été actif jusqu’ici au niveau local. Il aura été le choix de 41.591 (1,17%) électeurs.
Le point de vue de l’état politique de la nation sur la base de ces élections n’est pas très encourageant, surtout vu du point de vue de la politique de centre-droit. Slobodan Antonić, sociologue et analyste politique, a écrit que les résultats de ces élections étaient comme un «avertissement pour les patriotes». Selon lui, ces élections ont été «un indicateur sérieux de la faiblesse des forces patriotiques». Đorđe Vukadinović, député et rédacteur en chef d’un important portail d’opposition, NSPM, a écrit que « commenter l’opposition serbe sous Vučić est un travail un peu morbide, pour ne pas dire nécrophile ».
Aleksandar Vučić, bien sûr, peut être satisfait de cette situation – d’autant plus qu’il a atteint son objectif principal, la victoire au premier tour. En nommant un premier ministre faible, il sera dans une position idéale pour ne pas avoir de responsabilité politique significative tout en prenant toutes les décisions politiques clés. Surtout parce que les réalisations du gouvernement dont Vučić aime se vanter peuvent s’avérer fantasmagoriques. Dragoljub Žarković, rédacteur en chef de l’hebdomadaire respecté « Vreme », a déclaré que les indicateurs économiques favorables dépendent de plusieurs facteurs (le dollar, les prix du pétrole sur le marché international et l’évolution des taux d’intérêt sur le marché financier international) que la Serbie ne peut influencer mais qui pourraient inverser la situation. Être premier ministre dans de telles circonstances peut être tout à fait désagréable.
Ces élections présidentielles ont montré le pouvoir des médias qui sont mis à la disposition d’Aleksandar Vučić. Il est capable de délégitimer pleinement le débat politique et d’utiliser habilement les leviers médiatiques pour orienter l’opinion publique. En outre, la lutte politique est présentée comme une confrontation personnelle – la bataille pour et contre une personne qui a pris un grand nombre de fonctions.
Cependant, même dans le cadre actuel des forces politiques, le poste de président peut être plus confortable que celui du premier ministre. Les manifestations post-électorales qui durent depuis l’élection se déroulent dans plusieurs villes en Serbie. Ils montrent qu’il y a un fort mécontentement non seulement avec le gouvernement Vučić, mais aussi avec la manière dont il a mené les élections présidentielles. Jusqu’à présent, les protestations ont rassemblé jusqu’à vingt mille personnes à Belgrade et plusieurs milliers dans d’autres villes serbes (une analyse détaillée de cette protestation sera donnée dans un autre article sur les conditions politiques actuelles en Serbie). Il est encore prématuré d’évaluer leur importance.