Par Olivier Bault.
Pologne – Il est devenu extrêmement courant à Varsovie de rencontrer des Ukrainiens, généralement facilement reconnaissables à leur accent : la jeune vendeuse derrière le comptoir du magasin, le serveur au restaurant, la femme d’une cinquantaine d’année qui vient tous les matins nettoyer les parties communes de l’immeuble, etc.
Les Ukrainiens sont aussi présents en force sur les chantiers et dans les entreprises. Le dirigeant d’une PME du secteur de la chaudronnerie que je connais dans les environs de Konin, à une centaine de kilomètres à l’est de Poznań (et environ deux cents kilomètres à l’ouest de Varsovie), me confiait il y a quelques mois au téléphone que sans les travailleurs ukrainiens, il serait obligé de mettre la clé sous la porte et que c’est la même chose pour la plupart des entreprises du coin. En effet, l’économie polonaise connaissant une croissance dynamique (de 4 % en rythme annuel au premier trimestre 2017) et un chômage qui n’a jamais été aussi bas depuis le passage à l’économie de marché au début des années 1990 (inférieur à 8 % selon la méthode de calcul polonaise pourtant moins favorable que celle d’Eurostat), la pénurie de main d’œuvre est réelle dans de nombreux secteurs et régions, et elle est aggravée par l’émigration de plus d’un million de Polonais, généralement jeunes, depuis l’adhésion à l’UE en 2004 (sur une population totale d’environ 38 millions). Même si la tendance est aujourd’hui plutôt au retour des émigrés, ce mouvement est encore modeste et ne suffit pas à résoudre le problème.
Inversement, l’Ukraine toujours en proie à une corruption omniprésente que n’a pas fait reculer le départ forcé de l’ancien président Yanoukovitch, et surtout privée de la Crimée et confrontée à une guerre larvée avec la Russie qui soutient les séparatistes dans le Donbass, ne permet pas à une grande partie de ses habitants de mener une vie décente. Les salaires, notamment, y sont très bas (salaire moyen : un peu plus de 200 €/mois, contre près de 1100 €/mois en Pologne où le niveau des salaires a battu cette année un record historique). Nombre d’Ukrainiens choisissent donc de venir travailler en Pologne, généralement pour faire vivre leur famille restée au pays. Une étude de la Banque nationale de Pologne (NBP) faisait état de 5 milliards de zlotys (près de 1,2 milliard d’euros) transférés par les Ukrainiens de Pologne en Ukraine en 2015, sachant qu’ils étaient encore plus nombreux en 2016 à travailler sur les bords de la Vistule. Les chiffres avancés quant au nombre total d’Ukrainiens en Pologne varient grandement. Le gouvernement polonais parle abusivement de 1 à 1,4 million de réfugiés ukrainiens pour justifier son refus de la relocalisation des immigrants arrivés illégalement en Italie et en Grèce. En effet, la très grosse majorité des Ukrainiens résidant en Pologne sont des immigrants économiques qui n’ont pas l’intention de s’installer définitivement à l’étranger.
D’après une étude citée par l’hebdomadaire Gość Niedzielny dans l’article Ziemia obiecana (Terre promise) publié dans le numéro du 18 juin, 35 % des Ukrainiens employés en Pologne travaillent dans le bâtiment, 20 % dans l’hôtellerie et la gastronomie, 20 % dans l’agriculture, 18 % chez les particuliers, 10 % dans le commerce de gros et de détail et 6 % dans l’industrie. D’après les données publiées par cet hebdomadaire, le salaire moyen des Ukrainiens est de moins de 500 €/mois dans l’agglomération de Varsovie, qui est pourtant la région avec les salaires les plus élevés, et il est probable que la hausse globale des salaires serait plus forte en Pologne sans la concurrence de ces travailleurs étrangers. C’est pourquoi certaines voix s’élèvent en Pologne contre le caractère massif de cette immigration temporaire en provenance d’Ukraine, même si la proximité linguistique et culturelle entre les deux peuples facilite grandement l’intégration et si la présence d’Ukrainiens ne suscite pas de tensions particulières. Du reste, les Polonais comprennent assez facilement la situation des Ukrainiens qui émigrent à la recherche d’un meilleur salaire, puisqu’ils sont eux-mêmes traditionnellement un peuple d’émigrants.
Le nombre d’étudiants ukrainiens en Pologne connaît lui aussi une hausse dynamique. Ils étaient, selon les données de l’office de la statistique GUS, plus de 30 000 inscrits dans les universités et hautes écoles polonaises en septembre 2015.
Ainsi, pour la première fois depuis bien longtemps, la Pologne redevient une terre d’immigration plutôt que d’émigration.
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