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Ministre des Affaires étrangères de Pologne, Witold Waszczykowski : « Nous voyons la Russie autrement que les Hongrois »

Temps de lecture : 9 minutes

Entretien réalisé par Szabolcs Vörös pour le journal hongrois Heti Válasz (valasz.hu). Publié originalement en anglais le 19 octobre 2017, et traduit en français par le Visegrád Post.

PologneConcernant la Hongrie, ses relations avec la Russie et son soutien à Donald Tusk continuent d’offenser le gouvernement polonais. Le ministre polonais des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a déclaré à Heti Válasz que Varsovie pourrait perdre patience à cause des visites trop fréquentes de Vladimir Poutine à Budapest.

Szabolcs Vörös : En raison de la nouvelle loi sur l’éducation ukrainienne, la Hongrie ne soutiendra plus l’intégration européenne de l’Ukraine, ce dont la Pologne a toujours été un défenseur clé. Je suppose que vous n’êtes pas ravi.

Witold Waszczykowski : Le but de la loi était de clarifier le statut de la langue et des écoles russes, et affecte indirectement les autres minorités, y compris la minorité polonaise, mais les autres minorités n’ont que quelques écoles bilingues. Nous espérons qu’avec la coopération des ministères de l’éducation polonais et ukrainien, un compromis pourra être trouvé. C’est pourquoi nous n’avons pas rejoint la déclaration très passionée du ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó. Mais je comprends la position de la Hongrie : les Hongrois en Ukraine vivent dans une plus grande enclave, ils ont beaucoup plus d’écoles où la langue principale est le hongrois, ce qui – pour parler franchement – me semble un peu anormal. Les personnes vivant en Ukraine devraient parler non seulement leur propre langue, mais aussi la langue officielle.

Vous avez qualifié la déclaration de Péter Szijjártó de passionée. Mais à vrai dire, il avait de bonnes raisons pour cela.

Je ne porterai pas de jugement parce que c’est une question bilatérale entre la Hongrie et l’Ukraine. Cependant, je ne politiserais pas le problème, étant donné les difficultés de l’Ukraine causées par l’agression russe. Je suis convaincu que le problème pourrait être résolu de manière pacifique et moins émotionnelle.

L’avez-vous dit à votre homologue hongrois ?

Oui, quand il m’a contacté en suggérant d’écrire une lettre commune à Kiev. Je lui ai expliqué le point de vue polonais selon lequel notre situation n’était pas si grave et que selon nous la question pouvait être résolue au niveau bilatéral – mais pas nécessairement au niveau des ministères des affaires étrangères.

En passant, soutenez-vous inconditionnellement l’intégration européenne de l’Ukraine ? Parce qu’il y a aussi des problèmes non résolus entre vos pays, comme le massacre de Volhynie en 1943-44 qui a été défini comme génocide par le parlement polonais l’été dernier.

Nous avons transmis à l’Ukraine le message disant que la résolution de débats historiques avec ses voisins est essentielle avant son adhésion à l’UE. Pour cela nous avons mis en place un comité bilatéral d’experts …

… qui a échoué jusqu’à présent.

Jusqu’à présent, oui, mais l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ne se fera pas demain. Nous avons donc le temps, cependant, le plus tôt sera le mieux. Mais je voudrais répéter ici ce que j’ai déjà dit plus tôt, à savoir que tant que flotteront au vent les drapeaux de Bandera, il n’y aura pas d’adhésion à l’UE pour l’Ukraine. La seule chose que nous demandons est de clarifier les faits historiques.

Des manifestants brandissent des portraits du politicien ukrainien Stepan Bandera (g), l’un des meneurs de l’OUN (mouvement nationaliste ukrainien), et de son allié Roman S and his ally Roman Choukhevytch (d) durant une marche à Kiev le 1er janvier 2017, pour célébrer le 108e anniversaire du politicien ukrainien. / AFP PHOTO / GENYA SAVILOV

Ce qui serait un suicide politique pour n’importe quel dirigeant ukrainien.

Faisons place au travail des historiens. Mais notre message politique est clair.

En août, le président de la Russie a effectué sa deuxième visite à Budapest cette année. Quelle est votre position à ce sujet ?

Nous ne sommes pas heureux parce que nous voyons la Russie différemment des Hongrois. Mais c’est bien naturel car notre position géopolitique est également différente. Heureusement, la Hongrie n’a pas de frontières avec la Russie et n’est donc pas directement menacée. La frontière polono-russe à Kaliningrad est longue de plus de 200 km, des missiles balistiques ont été déployés dans la région et de temps en temps nous recevons des menaces directes.

Vous avez dit ne pas être content …

… non, parce que l’UE devrait avoir une position commune sur la Russie.

Y a-t-il un canal par lequel vous pouvez exprimer votre insatisfaction ?

Nous en parlons ouvertement avec Péter Szijjártó et le Premier ministre Viktor Orbán.

Et comment expliquent-ils la visite de Poutine deux fois en un an par exemple ?

Ils disent qu’ils ne ressentent aucune menace directe de la part de la Russie. La Hongrie a désespérément besoin de gaz et il semble que ce soit la seule option parce que d’autres – comme les terminaux GNL en Pologne et en Croatie, les pipelines et les interconnecteurs – ne sont pas encore disponibles. La position de la Hongrie est donc qu’il est mieux et moins cher d’acheter directement du gaz au russe que via des intermédiaires. Je comprends leur point de vue. Cependant, notre objectif est d’être complètement indépendant du gaz russe d’ici 2022.

Nous étions également dépendants du gaz russe lors du premier mandat d’Orbán en tant que Premier ministre entre 1998 et 2002, mais à l’époque il n’était pas étiqueté comme étant l’ami du président russe.

Nous ne l’étiquetons pas non plus. C’est un politicien pragmatique qui n’a pas d’autre choix. Comme je l’ai dit, nous sommes sur le chemin pour fournir une alternative. Mais s’il y a une alternative et que la Hongrie ne l’utilisera pas, nous pourrions changer d’avis.

Comment est la relation polono-russe ? Après les récents mouvements militaires américains en Pologne, Moscou a menacé votre pays en déployant des missiles supplémentaires à Kaliningrad. Cette rhétorique de guerre est-elle réversible ?

Tout est réversible. Dans les années 80, j’ai été forcé d’émigrer de Pologne parce que je n’avais aucune perspective – 4-5 ans plus tard, le bloc soviétique s’est effondré. Le pouvoir de Poutine ne durera pas éternellement non plus, tôt ou tard – j’espère le plus tôt – il y aura un changement en Russie. Alors que l’UE et l’OTAN sont prêtes au dialogue, la Russie le refuse parce qu’elle veut rétablir la position que l’Union soviétique avait auparavant. C’est ce que Poutine peut atteindre au mieux, mais je ne pense pas qu’il réussira. Par conséquent, son plan minimum est de décider de l’avenir de la région transatlantique selon la logique de l’équilibre des pouvoirs qui a été créée au XIXe siècle. En raison de cet état d’esprit impérial, toute conciliation est assez difficile avec la Russie.

Troupes étatsuniennes parachutées près de Torun en Pologne durant l’exercice de l’OTAN Anaconda le 7 juin 2016. Anaconda est le plus important exercice des alliés de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide. / AFP PHOTO / JANEK SKARZYNSKI

Avez-vous confiance en l’article 5 du Traité de Washington – selon lequel les soldats américains stationnés en Pologne iraient à la guerre pour vous ?

Tout politicien normal devrait faire confiance mais aussi s’en assurer. Nous avons, depuis notre adhésion en 1999, demandé à l’OTAN de se référer à l’article 5 et, finalement, il a été respecté lors du sommet de l’OTAN à Varsovie l’an dernier. L’alliance a envoyé des troupes en Pologne ainsi que dans les pays baltes, tandis que les États-Unis ont envoyé une brigade blindée et le déploiement d’un système antimissile est également sur la table. C’est une preuve tangible de l’engagement écrit à l’article 5.

Est-ce suffisant ? L’exercice militaire conjoint de la Biélorussie et de la Russie, Zapad-2017, vient de se terminer à vos portes avec des dizaines de milliers de soldats.

Cela suffit pour faire face à un conflit de faible intensité ou à des opérations hybrides. Mais cela ne suffit pas pour faire face à un conflit de grande ampleur comme celui qui a été simulé pendant Zapad. Par conséquent, nous avons convenu avec le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, que nous devons répondre à cette question.

Pensez-vous que le président Trump, en tant que principal acteur de l’OTAN, est prêt à cela ?

Il n’y a pas encore de décision, mais les discussions ont déjà commencé. Donc, si la diplomatie échoue et que la Russie continue à faire ce qu’elle a fait jusqu’ici, nous devrions non seulement discuter mais envoyer des forces supplémentaires dans la région.

« Si la diplomatie échoue. » Pensez-vous sérieusement à cela ?

En tant que diplomate, je suis censé être optimiste. Si je n’étais pas optimiste, je travaillerais probablement comme journaliste.

Merci … La catastrophe de Smolensk de 2010 est l’autre élément sensible de la relation polono-russe. Le chef du parti au pouvoir PiS, Jarosław Kaczyński, a déclaré l’autre jour « nous pourrions ne jamais trouver la vérité ». Est-ce que cela marque la fin d’une époque ?

Je ne jugerai pas cette déclaration. Ce que je peux dire, c’est que le gouvernement précédent n’a pas fait tout ce qui était en son pouvoir pour clarifier et résoudre la situation. Ici, au ministère, je n’ai trouvé aucun document qui aurait pu prouver que mes prédécesseurs cherchaient à découvrir la vérité. Ils ont perdu cinq ans parce que, par exemple, ils ont laissé les Russes mener l’enquête. Notre message est clair : tant qu’ils ne nous rendent pas l’avion, nous maintenons que nous avons le droit de penser que quelque chose ne va pas et nous pouvons les accuser de cela.

Le ministre polonais des Affaires étrangères lors de son arrivée au conseil de défense des affaires étrangères le 6 mars 2017, à Bruxelles. / AFP PHOTO / EMMANUEL DUNAND

Êtes-vous également parmi ceux qui pensent que le gouvernement précédent – y compris le Premier ministre Donald Tusk et le ministre des affaires étrangères Radosław Sikorski – était «impliqué» dans l’affaire de Smolensk ?

M. Tusk a effectué une visite en Russie trois jours avant la catastrophe qui était considérée comme une visite d’État officielle, alors que la visite du président Kaczyński était considérée comme un pèlerinage personnel. Par conséquent, il est fort probable que les mesures de sécurité étaient différentes. Et pendant les deux campagnes électorales tenues après la catastrophe, il était même bénéfique pour eux de laisser les Russes mener l’enquête parce qu’ils n’avaient pas à justifier les raisons de leur absence de résultats.

Ce printemps au Conseil européen, la Hongrie a soutenu la réélection de Donald Tusk que vous disiez être «l’icône du mal et de la stupidité».

Sont-ce mes mots ?

Vous l’avez mentionné dans un entretien à la radio en janvier. Étiez-vous donc surpris qu’Orbán ait voté pour Tusk ?

Le Fidesz est un membre du Parti populaire européen, donc je comprends qu’ils ont suivi la directive d’Angela Merkel et d’autres dirigeants du parti.

C’était donc une directive de Mme Merkel.

Ce pourrait l’être.

Comment le savez-vous ?

Je ne le sais pas.

Pourtant, c’était votre première pensée.

Nous en avons discuté avec le Premier ministre Orbán et il connaît notre opinion : il est triste pour nous qu’un pays et un parti si amicaux soutiennent ouvertement Tusk qui était le candidat du précédent gouvernement polonais, pas le nôtre. En fait, il n’y a même pas eu de véritable vote.

27 contre 1. C’est ainsi que les Polonais parlent de cette élection.

On a seulement demandé qui était contre lui.

La Hongrie ne l’était pas. A propos, Viktor Orbán a-t-il promis de ne pas soutenir Tusk ?

Il a écrit une lettre ambiguë – et non publique – sur cette question au Premier ministre polonais Beata Szydło, mais il n’y avait pas de promesse ouverte.

Budapest, 11 octobre 2017.
Le ministre hongrois des Affaires étrangères Péter Szijjártó(g) et Witold Waszczykowski à la rencontre du V4 à Budapest, avec également la Slovénie, la Bulgarie et la Roumanie. MTI Photo : Kovács Tamás

La Pologne et la Hongrie partagent le même avis sur la migration, bien que la Pologne ait réussi à intégrer quelque 100.000 réfugiés tchétchènes dans les années 90. Pourquoi avez-vous si peur maintenant ?

La majorité des Tchétchènes sont partis en Occident et ceux qui sont restés ont une identité musulmane superficielle. Et aussi, les attaques terroristes ne faisaient pas partie du lot.

Pourtant, si l’on se souvient bien de quelque chose à propos des Tchétchènes, ce sont les attaques terroristes.

Mais beaucoup d’entre elles étaient des provocations russes. Ceux qui sont restés en Pologne n’ont commis aucune attaque.

Et pourquoi les Syriens en feraient-ils ? Ils partent vers l’Ouest eux aussi.

Alors pourquoi Bruxelles essaie-t-elle de les amener ici à tout prix ? Il y a deux ans, la Commission européenne a commis une erreur terrible en qualifiant ces personnes de réfugiés, bien que seulement quelques pour cent d’entre eux étaient de vrais réfugiés. Dieu sait pourquoi ils l’ont fait.

Et vous suspectez évidemment que …

Il y a des spéculations. Raisons sociales et humanitaires ; certains pays se sentent coupables à cause de leur passé impérial ou à cause de crimes de guerre et d’holocauste ; Soros.

Ne me dites pas que vous croyez aussi au plan Soros.

Je ne crois pas aux spéculations, je ne fais que les énumérer. Je ne sais pas laquelle est vraie. Et on ne sait pas non plus pourquoi la Commission ne considère que les personnes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et non les Ukrainiens comme des réfugiés. Il y a environ 1 million d’Ukrainiens vivant en Pologne.

Parmi eux, seulement 16 personnes ont obtenu l’asile.

Peut-être plus. Mais pourquoi ce million de personnes est-il venu ici ? En raison des difficultés causées par la guerre.

Et vous les accueillez à bras ouverts parce que votre économie en a grandement besoin.

Ce n’est pas la seule raison. Mais pourquoi un Ukrainien ne peut-il être mis sur le même plan qu’un Libyen, par exemple ? Nous ne pouvons pas accepter le double standard.

N’allez-vous pas vous isoler à cause de cela ?

De quelle façon ?

Vous êtes vus comme étant aux côtés de la Hongrie.

Et alors ? Tout récemment, dix ministres des Affaires étrangères sont arrivés à Varsovie, puis j’ai rencontré 14 de mes collègues à Budapest avant de me rendre à Londres. Je n’ai même pas de temps pour ma famille.

Vous n’avez donc pas peur de l’article 7.

Pas du tout.

Est-ce parce que M. Orbán a promis d’exercer son droit de veto ?

C’est l’une des raisons.

N’est-ce pas une promesse ambiguë – comme l’était sa lettre concernant Tusk ?

Non. C’était une promesse ouverte de sa part.