Par Modeste Schwartz.
Roumanie – Le manque de talent des français, et notamment de leurs diplomates, en langues étrangères est d’ores et déjà un thème classique de plaisanteries en Europe centrale. Constatation d’autant plus amère qu’elle contraste avec l’anglophonie galopante (quoique souvent pas très correcte grammaticalement) de la nouvelle équipe au pouvoir à Paris. En général, néanmoins, l’atmosphère reste bon enfant, et la surdité linguistique du diplomate français donne aux derniers feux de la francophonie locale de belles occasions de s’exhiber.
À Bucarest, néanmoins, les choses viennent justement de tourner à l’aigre dans ce domaine. A peine quatre mois après la Bérézina centre-européenne de Macron, le général Dumitru Iliescu, ancien chef du service de protection des personnalités, a publiquement traité l’ambassadrice de France, Michelle Ramis, d’idiote, suggérant au passage au MAE de la rappeler à Paris. L’événement, en l’occurrence, est moins le propos en lui-même (ce général étant coutumier de telles sorties « peu diplomatiques »), que le fait qu’il ait été très massivement relayé par la presse et la blogosphère roumaine. Cela semble indiquer qu’en l’occurrence, D. Iliescu se fait le porte-parole d’un ras-le-bol généralisé de l’opinion roumaine devant l’arrogance brouillonne dont font preuve les ambassades occidentales dans leurs innombrables ingérences dans la vie politique roumaine. Ces dernières – la France en tête – ont en effet eu la mauvaise inspiration de critiquer les récents projets de loi visant à réformer le système judiciaire roumain avant de disposer de traductions en « langues internationales » desdits projets de loi (ces textes étant trop longs pour permettre de supposer que les ambassades auraient, après publication, eu le temps de les faire traduire à leurs propres frais – ce qui aurait d’ailleurs représenté un investissement considérable).
Ce faisant – outre le principe même de l’ingérence, que la société roumaine tolère de moins en moins bien –, elles ont clairement montré la nature partisane de leur engagement : la diplomatie des grands pays de l’UE prend fait et cause pour les protestataires de la « société civile » (qu’elle contribue d’ailleurs à financer…) et pour l’opposition parlementaire soutenue par le président Johannis, contre le gouvernement en place et la majorité parlementaire du Parti Social-Démocrate. Et ce, sans même chercher à sauver au moins les apparences d’une analyse objective.
Personne ne songe sérieusement à nier l’existence de problèmes de corruption au sein de la classe politique roumaine (majorité et opposition confondues), ni la possible tentation d’exploiter la réforme du système judiciaire actuellement en cours à des fins d’immunité personnelle. Néanmoins, dans beaucoup de domaines (comme celui de la responsabilité des juges), la réforme a concrètement pour effet d’aligner l’usage roumain… sur celui de ces mêmes pays occidentaux qui, à travers leurs représentants diplomatiques, la critiquent… sans l’avoir lue !
Au passage, D. Iliescu reproche aussi à la France d’avoir, à travers ses grands groupes, « importé la corruption en Roumanie ». Le propos est peut-être excessif, mais là encore, il faut y reconnaître le symptôme d’un agacement grandissant de l’opinion roumaine devant une « lutte anti-corruption » qui vise systématiquement (sans trop d’efficacité, d’ailleurs) les corrompus, et « néglige » tout aussi systématiquement les corrupteurs. Or au nombre de ces derniers, il se pourrait bien qu’on trouve, en effet, certains grands groupes français régulièrement cités dans la presse (affirmation qui ne s’appuie naturellement sur aucune preuve judiciaire, étant donné… qu’il n’y a en général pas eu d’enquêtes en ce sens !).
Remarquons à ce propos que le retour de boomerang des ingérences « anti-corruption » risque d’être particulièrement nocif pour la France, qui, de plus en plus, tend à servir de défouloir facile à des décideurs roumains naturellement plus prudents lorsqu’il s’agirait de produire une critique similaire des États-Unis ou de l’Allemagne, qui se sont clairement imposés comme puissances tutélaires à Bucarest. En d’autres termes, en généralisant un peu, on peut dire que la France, en participant, pour des gains somme toute modestes, aux basses œuvres de la gestion occidentale de la colonie roumaine, gaspille probablement de façon inconsidérée les restes du capital de sympathie – jadis important – dont elle jouissait dans la région. Dans le contexte d’un divorce stratégique grandissant entre Washington et Bruxelles, elle pourrait donc bien finir par écoper d’un rôle de bouc-émissaire, et voir ses intérêts économiques jetés en pâture à une opinion locale excédée – pour mieux préserver ceux de ces « alliés européens » dont elle reproduit servilement le discours et l’attitude. Et ce, alors même qu’au plus haut niveau, E. Macron semblait cet été vouloir ramener la diplomatie française vers des positions plus classiques, en rupture avec l’hystérie néo-con de l’ère Hollande – bonne occasion, donc, de se demander aussi dans quelle mesure le Quai d’Orsay contrôle encore des ambassadeurs dont beaucoup semblent plutôt, ces derniers temps, agir en petits soldats du « bataillon bruxellois ».