Par Olivier Bault.
Pologne – Le discours dominant dans les médias internationaux après le remaniement ministériel du 9 janvier à Varsovie, c’était qu’il s’agissait pour le PiS, après avoir changé le premier ministre en décembre, d’apaiser les relations avec Bruxelles. En réalité, si les partenaires européens de la Pologne peuvent éventuellement profiter de l’occasion pour ne pas donner suite à la procédure de sanction au titre de l’article 7 engagée par la Commission, il s’agit surtout pour le PiS de passer à la phase deux de son programme : après les grandes réformes, adopter un discours plus lisse sans changer de politique face à une opposition très affaiblie, afin de tenter d’attirer les électeurs conservateurs du centre à l’approche des élections régionales et municipales de l’automne et des élections législatives qui se dérouleront en 2019. Bien entendu, il est aussi important pour le gouvernement Morawiecki de faire échec à la procédure de sanction engagée par la Commission européenne en ralliant au moins 6 pays pour le vote au Conseil européen, ce qui suffirait pour bloquer la procédure à son étape initiale et ce qui permettrait de montrer aux Polonais que la Pologne n’a pas que le soutien de la Hongrie en Europe.
Deux ministres au centre des conflits avec Bruxelles ont ainsi été remplacés. Au ministère des Affaires étrangères, Witold Waszczykowski laisse la place à Jacek Czaputowicz, qui était secrétaire d’État dans son ministère et qui a plus le profil d’un haut fonctionnaire que d’un homme politique. S’agit-il d’une nomination provisoire ou bien ce choix vise-t-il à laisser plus de place à l’action du président Andrzej Duda ? L’avenir le dira. Au ministère de l’Environnement, Jan Szyszko est remplacé par Henryk Kowalczyk qui était jusqu’ici chargé de coordonner les travaux du Conseil des ministres. Jan Szyszko déplaisait beaucoup aux écologistes dont il ne partage pas l’idéologie et à laquelle il opposait ses connaissances de professeur ès sciences de la forêt dans le conflit autour de la gestion de la forêt de Białowieża. Après sa nomination au poste de premier ministre en décembre, Mateusz Morawiecki avait signalé que la Pologne appliquerait les décisions de la Cour de Justice de l’Union européenne malgré ses désaccords avec la Commission européenne dans ce domaine. Le remplacement du professeur Jan Szyszko s’inscrit donc dans la ligne de cette annonce et prive l’opposition libérale d’une de ses trois cibles privilégiées.
Si Witold Waszczykowski était l’un des ministres les plus souvent cités quand on évoquaient un remaniement au cours des derniers mois, en raison de ses maladresses, son remplacement n’est pas particulièrement le signe d’un changement de la politique étrangère de la Pologne. Il s’agit surtout dans son cas d’une décision de politique intérieure, pour priver l’opposition de cartouches.
Le remplacement qui a fait couler le plus d’encre, c’est celui du ministre de la Défense Antoni Macierewicz. Il n’était pas particulièrement engagé dans les conflits avec Bruxelles, et il s’agit ici exclusivement d’une décision de politique intérieure, d’autant qu’il était en conflit quasi-ouvert avec le président Andrzej Duda. C’était le ministre le plus attaqué et son franc-parler (pas toujours précédé d’une réflexion appropriée) ainsi que son rôle dans la contre-enquête sur la catastrophe de Smolensk en faisait l’ennemi numéro un des médias d’opposition. C’est le ministre de l’Intérieur Mariusz Błaszczak qui prend sa place et qui est lui même remplacé par un autre proche de Jarosław Kaczyński, le vice-maréchal de la Diète Joachim Brudziński. Mariusz Błaszczak fait plutôt parti des faucons et en tant que ministre de l’Intérieur il s’est toujours opposé, avec des propos parfois très durs, aux politiques immigrationnistes de Bruxelles et des capitales d’Europe occidentale. Il a d’ailleurs nommé jeudi Antoni Macierewicz à la tête de la commission chargée de la contre-enquête sur la catastrophe de Smolensk, qui dépend du ministère de la Défense, sans doute pour rassurer l’aile droite de l’électorat du PiS et les médias comme Gazeta Polska et Nasz Dziennik / TV Trwam / Radio Maryja qui s’inquiétaient de voir partir trois ministres jugés particulièrement conservateurs du gouvernement de Morawiecki.
Le nouveau gouvernement polonais a un profil plus technocrate que l’ancien, mais il ne faut pas oublier que la première rencontre bilatérale de Mateusz Marowiecki a été avec le Hongrois Viktor Orbán et que le nouveau premier ministre polonais a fait de nombreuses déclarations pour confirmer que son gouvernement ne comptait pas changer de cap par rapport à celui de Beata Szydło, mais simplement de mettre plus l’accent sur l’économie. Morawiecki, rappelons-le, était partisan des réformes de la justice au centre de la procédure de sanctions engagée par la Commission européenne.
Après la rencontre du premier ministre polonais avec le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, le lendemain du remaniement, les médias conservateurs polonais, au premier rang desquels la télévision publique, affirmaient d’ailleurs que c’est la Commission européenne qui est en train de changer de politique et de chercher à apaiser ses relations avec Varsovie. Le lancement de la procédure de l’article 7 avant la ratification des deux lois réformant la justice par le président Andrzej Duda avait probablement pour but de peser sur la décision de ce dernier, mais elle a eu l’effet contraire puisque celui-ci a signé les deux lois dans les heures qui ont suivi la conférence de presse du premier vice-président de la Commission Frans Timmermans. Aujourd’hui, Juncker affirme que l’on ne peut pas lier la question des subventions européennes à celle des quotas de migrants et qu’il ne faut pas donner aux pays d’Europe centrale et orientale l’impression que ce sont uniquement les grands pays d’Europe occidentale qui décident entre eux pour tout le monde.
Il faudra cependant attendre la réunion du Conseil européen en février pour savoir s’il y a un changement réel du côté de l’UE. Côté polonais, un député du parti libéral Plateforme civique (PO) se demandait à la radio après le remaniement ce que l’opposition libérale devait faire pour gagner les élections en… 2023, comme s’il considérait déjà la victoire du PiS en 2019 comme acquise. Quant au leader de la PO Grzegorz Schetyna, il adoptait un ton plus conciliant. Lui qui avait parlé dans le passé d’opposition totale et de victoire sur le PiS à l’aide de la rue et de l’étranger, le voilà qui vante l’idée d’une opposition constructive. Il faut dire que depuis plusieurs mois les sondages donnent au PiS entre 40 et 50 % des intentions de vote alors que la PO oscille autour des 20 %. Pourquoi un changement de premier ministre et un remaniement dans ces conditions ? Sans doute le PiS vise-t-il désormais la majorité constitutionnelle aux prochaines élections pour une réécriture de la constitution adoptée en 1997 sous un gouvernement dirigé par le SLD post-communiste. Jusqu’ici les attaques européennes n’ont fait que renforcer sa popularité, et les institutions bruxelloises ainsi que l’opposition « totale » en Pologne seraient donc bien inspirées de profiter du changement du premier ministre et des ministres les plus « controversés » pour changer de ton et de tactique.