Hongrie – Péter Marki-Zay : « Mon espoir serait d’avoir un gouvernement technocrate, un gouvernement de gestion, dont l’objectif principal serait de restaurer la démocratie, la liberté de la presse, l’État de droit, l’économie de marché, et l’engagement à l’intégration européenne. »
Le 25 février, le candidat sans étiquette Péter Márki-Zay, cadre du privé ayant vécu en Amérique du Nord plusieurs années, remporte les élections partielles à Hódmezővásárhely, une ville hongroise de 44.000 habitants dans le sud du pays.
Soutenu aussi bien par le Jobbik ( ancien parti nationaliste devenu centriste moderne mais toujours considéré par certains comme infréquentable ) que par les partis et la société civile de la gauche libérale, cet inconnu a créé la surprise en Hongrie en remportant avec 57,49% des voix l’élection pour le poste de maire dans un bastion jusque là imprenable du Fidesz, le parti au pouvoir du Premier ministre Viktor Orbán.
Il s’est imposé par son succès inattendu comme la figure de l’opposition anti-Orbán, se présentant comme conservateur mais appelant à voter le 8 avril pour les candidats ayant localement le plus de chance de l’emporter contre le Fidesz. Tout cela en coopération avec des figures majeures de la société civile libérale-libertaire comme Márton Gulyás, qu’un haut cadre du Fidesz avait qualifié en septembre dernier de menace pour la sécurité nationale, du fait de ses réseaux d’activistes cherchant à déstabiliser le gouvernement.
Péter Márki-Zay est devenu la figure de la stratégie d’union sacrée de tous contre le Fidesz, qui ne semble pas vraiment prendre à quelques jours des élections. Toutefois, cet homme de 45 ans a su séduire, sorti de nulle part, de nombreux hauts cadres des partis d’opposition. Au point que de plus en plus de voix appellent à le nommer comme Premier ministre en cas de victoire contre Orbán, afin de former une coalition capable de gouverner.
Le Visegrád Post a eu l’occasion de réaliser un court entretien avec cette figure montante et représentative de l’opposition à Viktor Orbán.
VPost : Vous êtes une nouvelle figure sur la scène de la politique nationale hongroise. Pourriez-vous nous parler de votre vie avant la politique ?
Péter Márki-Zay : Oui. J’ai donc travaillé deux fois pour EDF, pour une durée cumulée de douze ans. J’ai également travaillé pour Legrand deux fois, durant cinq ans en cumulé. Donc, en Hongrie, j’ai toujours travaillé pour des multinationales françaises. Entre-temps, j’ai passé cinq ans au Canada et aux États-Unis, où je travaillais aussi dans le marketing dans une entreprise de pièces de rechange automobiles. J’ai donc toujours travaillé en tant qu’économiste, directeur marketing, au service clientèle, logistique – à différents postes.
J’ai été contacté plusieurs fois par des politiciens locaux du Jobbik, mais auparavant, je disais toujours non. Je ne suis pas un membre ou un fan du Jobbik. Je suis un électeur Fidesz déçu. À ce titre, je ne peux pas m’identifier complètement avec les partis d’opposition actuels. Mais en tant que membre Fidesz désillusionné, je suis très déçu…
VPost : Membre ?
Péter Márki-Zay : Je n’ai jamais été membre, seulement un électeur. Mais j’ai été très déçu de la performance du gouvernement Orbán ces dernières années. Je dirais que la déception a commencé il y a de nombreuses années, mais qu’elle est devenue plus forte au cours des cinq ou huit dernières années. Au début, ils faisaient beaucoup de bonnes choses. Au cours des cinq ou six dernières années, pas tellement. Ils ne cherchent vraiment qu’à conserver leur pouvoir. La corruption est plus importante que jamais, et la corruption est le problème fondamental, mais cela a surtout conduit à limiter la liberté de la presse. Cela signifie aussi le recul de l’État de droit. Alors, bien sûr, ceux qui sont impliqués dans la corruption et qui dirigent le pays, ce n’est pas dans leur intérêt que le public découvre ces activités, donc la liberté de la presse est très limitée, et ils ne veulent pas non plus se faire emprisonner. Alors, bien sûr, ils ne veulent pas d’un procureur général indépendant qui les mettrait derrière les barreaux si un acte répréhensible était prouvé.
VPost : Vous parlez de la liberté de la presse. Je regarde la télévision hongroise tous les jours, les deux côtés, Echo TV et Hír TV. À mon avis, les médias sont très tous partisans d’un côté ou de l’autre, mais pouvons-nous vraiment dire que leur liberté est limitée ?
Péter Márki-Zay : Oui, vous avez raison, mais malheureusement, vous devez également tenir compte du nombre de personnes touchées par chaque média. Hír TV a une couverture très large, ce qui est une chance, mais vous devez également tenir compte du fait que M. Simicska (oligarque hongrois, ancien ami et soutien de Viktor Orbán ; suite au conflit entre les deux hommes en 2015, Lajos Simicska soutient toutes sortes de partis et de médias opposés à Viktor Orbán, ndlr) ne sera pas en mesure de financer Hír TV pendant très longtemps. Donc on parle vraiment de l’annihilation de toute source indépendante. Souvenez-vous également des attaques contre RTL, qui leur imposent un fardeau de plus en plus lourd. C’est une sorte de situation de chantage. Vous êtes également au courant concernant les journaux locaux, les journaux régionaux, qui ont tous été achetés par des personnes associées à Orbán et au Fidesz. Il y a donc un grand nombre de personnes en Hongrie qui n’ont pas accès à des sources médiatiques indépendantes.
En outre, les médias sponsorisés par l’argent de l’État, fidèles au Fidesz, constituent un problème. Le deuxième problème est que les médias publics ne sont pas indépendants. Les médias publics n’ont pas invité de politiciens de l’opposition depuis des années. Le Jobbik a dit cela à haute voix la semaine dernière. Vous en avez probablement entendu parler. Il est donc scandaleux qu’ils propagent des mensonges par l’intermédiaire de chaînes publiques et privées, et ils ne se donnent même pas la peine d’inviter les opinions de l’opposition. Il y a une station de radio locale privée ici. Ils ne m’ont pas donné une minute de temps d’antenne pendant ma campagne. La télévision locale, financée par l’argent des contribuables parce qu’elle appartient à la municipalité, ne m’a pas invité une seule fois pendant ma campagne. Imaginez un peu que lors d’une élection municipale, les médias n’invitent même pas les candidats – les candidats principaux, et qui finalement ont gagné. C’est pourquoi je dis qu’il y a très peu de liberté de la presse. Techniquement, vous avez raison.
Regardez aussi ce qui se passe avec les stations de radio locales. Chaque fois que leur licence de fréquence expire, ils attribuent ces licences à des entreprises fidèles au Fidesz.
VPost : D’accord. Vous avez été élu maire de Hódmezővásárhely, et maintenant vous suggérez que beaucoup de gens devraient voter tactiquement dans leurs circonscriptions respectives. Ainsi, par exemple, dans cette circonscription, vous soutenez le candidat du Jobbik, mais si vous étiez à Szeged…
Péter Márki-Zay : À Szeged, je soutiendrais les socialistes, oui.
VPost : Ma question est que, selon le site que vous avez lancé pour optimiser les votes en faveur des candidats d’opposition, il serait techniquement possible d’empêcher le Fidesz d’obtenir la majorité absolue au Parlement. Mais alors qui gouvernerait le pays ?
Péter Márki-Zay : Mon espoir serait d’avoir un gouvernement technocrate, un gouvernement de gestion, dont l’objectif principal serait de restaurer la démocratie, la liberté de la presse, l’État de droit, l’économie de marché, et l’engagement à l’intégration européenne. Si nous pouvons restaurer ces valeurs… l’État de droit est le plus important ! Arrêter la corruption. En fait reprendre aussi une partie de la richesse qui a été probablement volée de l’État. C’est l’objectif principal d’un gouvernement de gestion, et après cela, il pourrait y avoir des élections anticipées. Ce gouvernement gestionnaire n’aurait pas à demander quatre ans. Même avant cela, il serait possible d’avoir une autre élection générale.
VPost : Mais pourriez-vous voir les députés du Jobbik, de DK, du LMP et du MSZP soutenir un gouvernement technocratique ?
Péter Márki-Zay : Oui. C’est le seul moyen.
VPost : Pensez-vous qu’ils vont le faire ?
Péter Márki-Zay : Eh bien, c’est dans leur intérêt commun. Sinon, ils seront tous supprimés. Ils n’ont pas d’autre option.
VPost : Au cas où le Fidesz gagne, quel rôle vous imaginez-vous jouer ?
Péter Márki-Zay : Tout d’abord, je suis le maire de Hódmezővásárhely, aussi longtemps que j’ai un travail ici, je travaillerai ici. Et deuxièmement, si dans ce cas il y a un mouvement national contre la dictature, contre un régime autoritaire, contre le détournement des valeurs occidentales et l’engagement envers l’Union européenne, etc., contre des dictatures comme la Russie ou la Turquie, je participerais à toute collaboration ou coopération du côté de l’opposition. Tout comme je le fais aujourd’hui, je défendrai toujours les valeurs contre l’oppression et pour l’État de droit, la liberté de la presse et l’économie de marché.
VPost : Vous définissez-vous comme un conservateur ?
Péter Márki-Zay : Oui.
VPost : Alors, quel est votre point de vue sur les tendances de la direction de l’Union européenne en matière de migration, de mariage homosexuel, etc. ? Parce que vous dites que vous voulez revenir aux valeurs européennes, que selon vous fuit le Fidesz. Mais alors, que pensez-vous des valeurs qui sont aujourd’hui représentées à Bruxelles ?
Péter Márki-Zay : Eh bien, tout d’abord, disons que quand je parle de démocratie, cela signifie que tout le monde, y compris les homosexuels, a des droits démocratiques. Donc, je ne vois pas le sens de votre question. J’ai mes valeurs de conservateur, de chrétien, etc., mais je crois en la démocratie, je crois en l’État de droit, je crois en l’économie de marché et en l’intégration européenne, ce qui signifie que tout le monde dans cette Union européenne a le droit représenter ses intérêts, points de vue, lois, etc. En fin de compte, je suis convaincu que 500 millions de personnes devraient décider de l’avenir de l’Europe. Pas vingt-huit personnes.
VPost : Mais c’est comme ça que c’est organisé maintenant.
Péter Márki-Zay : Et c’est une mauvaise chose.
Propos recueillis par Nicolas de Lamberterie pour le Visegrád Post.