Hongrie, Budapest – Entretien avec András Bencsik, rédacteur en chef de l’hebdomadaire pro-gouvernemental Magyar Demokrata : « La question principale est de savoir : pouvons-nous sauvegarder notre souveraineté ou pas ? C’est la question principale. »
Cet entretien a été réalisé au début du mois de février 2018.
VPost : J’aimerais avoir votre avis sur la campagne électorale en Hongrie, d’un point de vue médiatique notamment. Selon beaucoup d’observateurs, il n’y a jamais eu une campagne électorale aussi violente en Hongrie depuis la fin du communisme. Cela ressemble à une guerre.
András Bencsik : Vous voyez bien les choses…
VPost : C’est un peu choquant après la campagne relativement paisible de 2014.
András Bencsik : Je pense que si les gens peuvent penser à l’enjeu principal de ces dernières semaines et mois, alors ils peuvent comprendre l’enjeu de cette élection. La question principale est de savoir : pouvons-nous sauvegarder notre souveraineté ou pas ? C’est la question principale.
La situation économique est en amélioration constante, et cette tendance montre à tous, à gauche comme à droite, que nous allons sur la bonne voie.
De l’autre côté, nous voyons que la situation démographique de l’Europe est catastrophique. Nous ne faisons que peu d’enfants. La réponse à cet enjeu a été : « Importons des gens d’Afrique et d’Asie ». Mais cela conduit à un nouveau problème, avec l’émergence de civilisations parallèles en Europe occidentale. Nous avons vu cela, et nous avons dit : « C’est la voie que vous avez choisi, mais nous avons une approche différente. Vous aimez faire ainsi, mais nous ne voulons pas faire ainsi ».
Et je pense que la principale question maintenant est de savoir si nous votons pour cette force politique qui dit « Il faut sauver la Hongrie et notre indépendance ». Alors ce n’est pas seulement le Fidesz qui gagnera, mais toute la Hongrie.
D’un autre côté, les oppositions d’extrême-gauche et d’extrême-droite n’ont qu’un seul projet : se débarrasser de Viktor Orbán. Mais cela ne suffit pas. Et c’est dangereux. Que feraient-ils le jour d’après ?
VPost : Mais pourquoi cette campagne est-elle aussi violente cette année ? Il y a 4 ans, le Fidesz était également très fort et a remporté une large victoire (renouvelant sa majorité des deux tiers acquise en 2010), et pourtant la campagne n’était pas aussi violente.
András Bencsik : J’y vois des raisons économiques avant tout. La Hongrie est devenu un pays riche, à tout le moins plus riche qu’auparavant. Si ces gens de l’opposition peuvent accéder au gouvernement, ils pourront ouvrir les portes du Trésor public, et y trouver des milliards. Je me souviens que quand le Fidesz a remporté les élections en 2010, le Trésor public était non seulement vide, mais en plus tout avait été vendu ou engagé sur plusieurs années. Donc maintenant, pour l’opposition, la Hongrie est devenu un pays riche.
Je n’ai jamais entendu un mot sur les projets qu’ils ont. Quid de la Hongrie ? Quid de la situation migratoire ? Quid de la politique familiale. Ils n’ont aucune idée. Tout ce qu’ils disent, c’est que le Fidesz a trop d’argent.
Comme disait Freud, le péché dont vous parlez tout le temps est le péché le plus important pour vous. Donc s’ils parlent du Fidesz qui volerait de l’argent, c’est qu’ils penseraient à faire cela.
VPost : Les médias occidentaux, mais aussi le Parlement Européen, affirment souvent que la démocratie est en recul en Hongrie, en particulier en ce qui concerne l’État de droit ou la liberté de la presse. Ils accusent également le gouvernement d’essayer de racheter les médias en vue d’établir un monopole sur l’information. Quelle est la réalité de la situation des médias selon vous, est-ce qu’il y a un équilibre entre ceux qui sont pro-gouvernement et ceux qui sont favorables à l’opposition ?
András Bencsik : Si vous regardez les médias en Hongrie, vous trouvez de tout : gauche, droite, droite radicale, gauche radicale, libéraux, vous pouvez trouver tout ce que vous voulez!
Nous avons des chaînes de télévision privées importantes. La plus importante est libérale : RTL Klub. La deuxième, TV2, est maintenant un peu plus proche de la droite. Il y a une petite chaîne d’information, Echo TV, qui est à droite. Il y a une autre chaîne, un peu plus importante, Hír TV, qui est totalement dans l’opposition. Parmi les chaînes d’opposition, vous pouvez aussi trouver ATV.
Vous ne trouverez pas un seul média qui a été interdit par le gouvernement ou toute autre entité sous prétexte qu’ils ne doivent pas dire ceci ou cela. En Hongrie, vous pouvez dire ce que vous voulez.
VPost : Il est vrai que certaines affiches anti-gouvernement de l’opposition étaient particulièrement rudes. En France, une telle campagne de communication pourrait amener ses initiateurs devant les tribunaux.
András Bencsik : En Allemagne, une politicienne le l’AfD a déclaré qu’elle considérait stupide que l’on fasse venir des migrants. Elle a fait face à une mobilisation très forte. C’est une véritable censure. En Hongrie, vous pouvez dire ce que vous voulez sans aucun problème.
VPost : Il y a quelques semaines, vous avez déclaré dans l’émission Sajtóklub [Club de presse, une émission hebdomadaire sur la chaîne pro-Fidesz Echo TV] que le véritable objectif des partis d’opposition n’était pas tant de remporter les élections – leurs chances sont très modestes – mais de créer une atmosphère qui pourrait conduire à des événements ressemblants au Maïdan en Ukraine. Que vouliez-vous dire par là ?
András Bencsik : Oui, c’est ce que je pense. Nous pouvons voir qu’il y a une force internationale. L’un de ses visages, ce sont les États-Unis, un autre c’est Georges Soros. Cette force pense qu’elle peut changer la situation dans les États faibles : Ukraine, Géorgie, Macédoine, ou encore le Printemps arabe. Regardez la situation en Libye, avant et après. Pareil pour l’Irak et la Syrie.
Nous pouvons voir que quelque chose est en train de se passer en République tchèque. Et en Roumanie, il y a un nouveau gouvernement tous les 6 mois. Tout le monde sait que des agents américains travaillent à tous ces événements dans les coulisses.
En Hongrie, il y a quelques années, ils ont essayé d’organiser une petite révolution dans les rues chaque semaine, mais heureusement la Hongrie est une démocratie forte. Nous avons une forte loyauté envers le Premier ministre. Comme en Russie à l’endroit de M. Poutine. Il est aussi dans le cœur des gens. Pour dire la vérité, Viktor Orbán est dans le cœur de ma mère, qui vit toujours – j’en suis très heureux. À la maison, elle a une photo de Viktor Orbán sur sa bibliothèque. Et presque toutes les dames ont une photo de Viktor Orbán, parce qu’elles ont un lien très fort à lui.
Donc en Hongrie, ces forces ne peuvent pas faire de Maïdan ou de révolution de couleur. Attention toutefois à ce mot : en Ukraine, c’était un putsch. Donc globalement je n’ai pas peur, mais comme on peut le voir, ils vont essayer tout ce qu’ils peuvent. La seule possibilité pour eux est de créer un grand scandale.
VPost : Comment voyez-vous le futur de l’Union européenne ? Dans les prochaines années, les fonds de développement seront renégociés pour les pays d’Europe centrale, et cet argent pourrait être réduit pour les pays qui refusent l’installation de migrants. Pensez-vous que l’UE puisse se fracturer dans les prochaines années ? Pensez-vous que des pays comme la Hongrie et les pays du groupe de Visegrád seront à même d’introduire des réformes dans l’UE, notamment face au binôme Macron-Merkel ?
András Bencsik : Je peux très facilement vous montrer le futur de l’Union européenne. Puis-je avoir votre téléphone ? [András Bencsik met trois smartphones alignés l’un à côté de l’autre]. Voici l’Europe occidentale, voici l’Europe centrale, voici la Russie [chaque smartphone représente un de ces blocs]. C’est le futur de l’Union européenne et de l’Europe. Car les Russes sont aussi des Européens.
Vous ne pouvez pas dire qu’une partie est plus importante qu’une autre. Chaque partie est importante. Je pense que Tchaïkovski, Boulgakov, Tchekhov et Gogol font aussi partie de la culture européenne. Vous ne pouvez pas dire « Non c’est quelque chose de différent ». Il n’y a pas d’océan entre nous. L’Europe s’étend des îles britanniques aux monts Oural en Russie.
Et ensemble – je pense que c’est le problème principal – si nous pouvions être ensemble, nous serions la partie la plus forte du monde, le centre du monde. Les États-Unis sont très loin de nous, et ils ont très peur de cette possibilité. C’est pour cela qu’ils disposent des forces armées en Pologne et en Roumanie, car ils veulent isoler la Russie des pays européens. Mais nous ne pouvons pas vivre les uns sans les autres. Nous avons besoin des centrales nucléaires russes, l’Allemagne a besoin du gaz et du pétrole russes, la Russie a besoin de la technologie allemande, etc.
Nous avons déjà de très bonnes relations économiques, pourquoi ne devrions pas avoir de bonnes relations dans les autres domaines aussi ? Bien sûr il y a de grandes distances, mais de nos jours le déplacement en avion n’est pas si cher, vous pouvez voyager en Russie pour 10 ou 20.000 forints [30-60 euros].
Je suis allé à Moscou l’été dernier, j’étais surpris. J’ai été à Moscou, il y a très longtemps, du temps de l’URSS. J’avais beaucoup aimé, mais j’étais un jeune homme. Maintenant, c’est une ville occidentale, les gens sont beaux, les magasins et les restaurants sont jolis, la ville est amicale.
Voilà donc un autre problème. Pourquoi est-ce que la Russie est une terra incognita pour les Européens ? Évidemment, nous connaissons tous la réponse. Mais je pense que c’est le futur de l’Europe : une Europe où nous sommes ensemble. L’Europe unie est forte, alors qu’elle est affaiblie si elle n’est que la moitié d’elle-même. C’est extrêmement simple.
Propos recueillis par Nicolas de Lamberterie pour le Visegrád Post.