Par Olivier Bault.
Article originellement publié en français sur Réinformation TV le 17 octobre 2018.
Pologne – Adoptée le 12 octobre par les représentants de 46 pays, la résolution 2246 (2018) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe enjoint la Russie de restituer à la Pologne l’épave et les boîtes noires de l’avion Tu-154M qui s’est écrasé à Smolensk le 10 avril 2010 avec à son bord 96 personnes, dont le président Lech Kaczyński et son épouse, ainsi que de nombreux dignitaires et responsables de haut rang, parmi lesquels les chefs d’état-major de l’armée polonaise.
Une résolution votée par les représentants de 46 pays membres de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, mais pas par les députés du parti de Donald Tusk
« Aujourd’hui », rappelle la résolution, « plus de huit ans après l’accident, la Fédération de Russie est encore en possession de l’épave de l’avion, des boîtes noires et de leurs enregistrements originaux des données de vol, ainsi que d’autres preuves matérielles. Bien que des copies des enregistrements des données de vol et certaines preuves matérielles aient déjà été transmises aux autorités polonaises, la Pologne a fortement insisté pendant des années pour que l’épave et l’ensemble des éléments matériels originaux lui soient remis. » Or « en vertu de l’Annexe 13 de la Convention de Chicago l’État d’occurrence est tenu de restituer l’épave et les autres éléments de preuve matériels à l’État d’immatriculation de l’aéronef dès que l’enquête technique de sécurité aérienne est achevée, ce qui était le cas en janvier 2011. Le refus constant des autorités russes de restituer l’épave et les autres éléments de preuve constitue un abus de droit et a alimenté en Pologne l’idée que la Russie avait quelque chose à cacher. »
Le gouvernement de Donald Tusk et la Russie avaient-ils quelque chose à cacher après la catastrophe de Smolensk ?
Outre la critique du comportement de Moscou dans cette affaire, la résolution adoptée sur la base d’un rapport rédigé par le rapporteur néerlandais Pieter Omtzigt est aussi un désaveu pour les décisions prises par Donald Tusk et son gouvernement immédiatement après la catastrophe, puisqu’elles confirment les critiques formulées dès le début par le PiS, aujourd’hui au pouvoir, et une partie des familles des victimes ainsi que de nombreux spécialistes des catastrophes aériennes : « Alors que la Pologne aurait été habilitée à mener l’enquête, le Gouvernement polonais a convenu avec son homologue russe que l’enquête de sécurité sur les causes du crash serait menée par la Commission interétatique russe de l’aviation (autorité compétente de l’État dans lequel a eu lieu le crash), avec la participation d’experts polonais. Les deux États ont convenu que la principale enquête technique serait menée conformément aux Normes et pratiques recommandées internationales précisées à l’Annexe 13 de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago), qui sont en principe applicables à l’aviation civile, bien que l’avion polonais Tu-154M ait été enregistré en qualité d’aéronef d’État et que le vol fatidique ait été effectué pour le compte de l’État. »
Un rapport officiel polonais de 2011 en grande partie calqué sur le rapport russe
Dans la pratique, les experts polonais désignés par Varsovie en 2010 n’ont pas mené d’enquête exhaustive directement sur le terrain mais se sont appuyés sur l’enquête russe. C’est ce qui fait que les rapports russes et polonais se ressemblaient beaucoup, même si la version polonaise mettait en avant les responsabilités des contrôleurs aériens russes passée sous silence dans la version originale, russe, du rapport officiel. « Alors que les deux rapports conviennent du caractère essentiellement accidentel de la tragédie, le rapport russe fait porter l’ensemble de la responsabilité de cet accident sur les membres d’équipage de l’aéronef, tandis que les enquêteurs polonais concluent que le contrôle aérien russe a joué un rôle dans l’accident, en transmettant des informations inexactes à l’équipage sur la position de l’aéronef, et que des défaillances de l’aéroport de Smolensk ont contribué au crash », rappelle ainsi la résolution adoptée le 12 octobre.
Rendre à la Pologne l’épave et les boîtes noires « de manière à éviter toute dégradation supplémentaire des éventuels éléments de preuve »
En revanche, la commission d’enquête parlementaire mise en place par le PiS en 2010, puis celle la nouvelle commission d’enquête gouvernementale mise en place par le gouvernement de Beata Szydło en 2016, ont conduit à la publication d’un nouveau « rapport préliminaire qui conclut que l’aéronef a été « détruit dans les airs à la suite de plusieurs explosions ». Ceci pourrait, aux yeux des critiques de l’action du gouvernement Tusk, expliquer pourquoi l’actuel président du Conseil européen avait préféré confier l’enquête aux autorités russes et refuser l’assistance de l’UE et de l’OTAN et pourquoi la Russie refuse toujours de restituer l’épave de l’avion (où ce qu’il en reste, l’épave du Tupolev gouvernemental polonais ayant été saccagée et pillée dans les jours et les mois qui ont suivi la catastrophe) ainsi que les boîtes noires. C’est pourquoi la résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe appelle aussi la Russie « à remettre l’épave de l’avion polonais Tu-154M aux autorités polonaises compétentes sans plus tarder, en étroite coopération avec les experts polonais et de manière à éviter toute dégradation supplémentaire des éventuels éléments de preuve ».
Si tous les députés présents ont voté en faveur de la résolution, les représentants du parti de Donald Tusk (Plafeforme civique, PO) étaient absents au vote du 12 octobre à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que l’a fait remarquer avec amertume Dominik Tarczyński, député du PiS membre de cette même Assemblée parlementaire.