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Municipales hongroises : pas de vraie défaite, mais un avertissement à comprendre au plus vite

Temps de lecture : 4 minutes

Par Raoul Weiss.

Hongrie – Le (très relatif, mais réel) recul de la coalition gouvernementale FIDESZ-KDNP lors des municipales de dimanche dernier sera, bien entendu, interprété par l’opposition hongroise comme un (début de) désaveu à l’échelle nationale de la politique de Viktor Orbán.

D’une part, rien n’est plus faux. Annihilée au cours de tous les scrutins suivant 2006, la gauche libérale hongroise, bien que totalement unie contre Orbán, et en dépit d’un pacte assez exotique avec l’ancien parti d’extrême-droite (et éternel parti d’extrême-opportunisme) Jobbik, n’a, pour l’essentiel « reconquis » que Budapest. Dans le reste du pays – à part quelques fiefs traditionnels des post-socialistes hongrois, comme Szeged – elle reste très loin derrière les candidats gouvernementaux, plafonnant donc à un niveau qui ne lui permettrait jamais de revenir au gouvernement. La baguette magique du dégagisme, tout en produisant quelques effets, a donc montré ses limites : jouant sur les clivages d’une société profondément divisée, elle a été capable de stabiliser les positions de partis en cours de fossilisation sous forme d’opposition professionnelle, mais pas de renverser la table. Pour revenir aux affaires, l’opposition hongroise devra d’abord se rendre à l’évidence : face à un électorat assez intelligent (qu’elle sous-estime systématiquement), la haine du FIDESZ ne suffit pas à pallier à l’absence totale de projet politique.

D’autre part, la coalition gouvernementale serait, elle aussi, bien inspirée d’en rabattre de son triomphalisme des dernières années, en tirant les leçons politiques et socio-culturelles de ce scrutin. Appartenant tous à la bourgeoisie et vivant pour la plupart à Budapest, les ténors de ladite coalition (notamment ceux issus du FIDESZ libéral des années 1990) ont en effet, au cours des trois dernières années, peu à peu remplacé le discours de résistance de 2010 par une stratégie qu’on peut résumer à deux axes principaux :

  1. Tout miser sur la carte migratoire. Le refus de l’immigration, sentiment qui rassemble dans la société hongroise une majorité d’opinion débordant de loin l’assise électorale du FIDESZ, n’est bien sûr pas un mauvais thème de campagne. Mais, dans un pays pour lequel les effets négatifs du « multiculturalisme » restent – si on le compare, par exemple, à la France – une menace lointaine, comme on pouvait le prévoir, ce thème finit par s’user.
  2. claironner les succès économiques du pays, au demeurant bien réels, et les présenter (souvent à raison) comme des succès de la coalition gouvernementale. Dans certains cas, cette rhétorique de la compétitivité technocratique (au diapason de celle d’un Babiš en Tchéquie) peut être payante (comme à Kecskemét, où les succès économiques de l’usine Mercedes locale sont sûrement pour quelque-chose dans le triomphe électoral de la maire FIDESZ), mais cette médaille a aussi son revers, et notamment :
  • en rappelant que la Hongrie s’enrichit, comme cet enrichissement s’accompagne (comme toujours) d’un approfondissement des inégalités, on retourne le couteau dans une plaie qui, chez beaucoup de hongrois « perdants du boom », devient purulente ; à Budapest, le boom se traduit notamment par une flambée des prix locatifs, naturellement exploitée dans les campagnes d’opposition, et qui n’a pu que desservir la candidature d’István Tarlós à sa réélection ;
  • le boom économique, accompagné d’un boom touristique, débouche sur une internationalisation de Budapest, où la communauté des « expats » (massivement acquise à la rhétorique libertaire et pseudo-écologiste de l’opposition) devient peu à peu un facteur électoral réel (d’où l’apparition de messages de campagne en anglais) ; ce facteur a, notamment, pu jouer dans l’élection de Péter Niedermüller à la mairie du VIIe arrondissement (le plus cosmopolite de Budapest) ;
  • à plus long terme, la croissance hongroise est fragile : l’augmentation constante du nombre des actifs depuis 2010 se heurtera tôt ou tard au mur du vieillissement de la population ; touchant pour l’instant des salaires en hausse du fait de l’assèchement de l’offre sur le marché du travail, les ménages hongrois paieront alors le prix de leur malthusianisme (soit sous la forme d’une fiscalité alourdie, soit sous celle d’une augmentation de l’âge de départ en retraite) ; mais surtout, la structure exportatrice de l’économie de ce pays sans ressources naturelles (autres que l’eau et le tourisme) et sa dépendance en termes de capital lui laissent assez peu de chances de sortir indemne d’une crise internationale majeure (comme celle dont Viktor Orbán a, justement, lui-même prédit l’imminence).

Bref : pour peu que disparaissent, à l’horizon de l’électorat, d’une part la menace d’une invasion migratoire qui tarde à se produire, d’autre part la promesse d’une prospérité qui pourrait entrer en déclin, privée de son bâton comme de sa carotte, la coalition gouvernementale risque de ne plus parvenir à mobiliser son électorat, tandis que l’opposition mobilise d’autant mieux les jeunes électeurs que beaucoup d’entre eux sont désormais trop jeunes pour se souvenir des années de plomb 2002-2010, ou ne comprennent pas que le parti jeuniste Momentum qu’on leur vend actuellement n’est qu’une réplique juvénile du DK de Ferenc Gyurcsány, principal organisateur desdites années de plomb. La coalition gouvernementale s’exposera alors à des défaites en comparaison desquelles l’avertissement de dimanche dernier – s’il n’est pas analysé à temps – passera pour une aimable plaisanterie.

A long terme, le FIDESZ-KDNP ne peut donc pérenniser son pouvoir jusqu’à la fin de l’activité politique de Viktor Orbán (et surtout après !) qu’à condition de repasser de l’évolution à la révolution, en renouant avec le discours de résistance et de réforme nationales qui a fait les grandes heures de son arrivée au pouvoir en 2010.

En effet, si les résultats nationaux peuvent difficilement être décrits comme un désaveu de la politique de Viktor Orbán, les résultats budapestois, eux, sont une condamnation assez claire du modèle Tarlós (maire FIDESZ de Budapest depuis 2010, battu ce dimanche) : issu du parti libéral des années 1990 (le SZDSZ), cet édile très professionnel a certes « bien fait son travail », dans le style coutumier des capitales européennes, consistant à accompagner une gentrification qu’on se résigne à ne pas combattre, à se glorifier « en bon gestionnaire » d’une effervescence culturelle largement dominée (comme le fameux festival Sziget) par l’idéologie libérale-libertaire et à autoriser des gay prides qu’on désapprouve moralement en son for intérieur (le for intérieur – nota bene – ne vote pas). Or, ce style ressemblant – en dépit de l’affiliation tardive de Tarlós au FIDESZ – à s’y méprendre à celui de n’importe quelle municipalité centriste, il ne faut pas s’étonner de la tendance universelle des électorats à préférer l’original à la copie (même quand l’original dispose d’un personnel apparemment moins efficace que celui de la copie – mais l’opposition hongroise, venant de loin, a beau mentir). Le risque de voir un tel scénario se répéter à l’échelle nationale dans trois ans n’est pas énorme – mais il n’est, à mon avis, pas nul non plus.