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Pologne : l’insoutenable deux poids, deux mesures de la Commission européenne

Temps de lecture : 3 minutes

Pologne – Le commissaire européen à la Justice Didier Reynders a déclaré le 23 avril, à propos de l’élection présidentielle polonaise normalement prévue pour le 10 mai, que ces « élections, dans les circonstances actuelles, ne respecteront pas les normes internationales ». Affirmant ensuite qu’il y avait un problème avec l’État de droit en Pologne et qu’il était déterminé à agir dans ce domaine, le Belge a encore prévenu que la Pologne devait suspendre la Chambre disciplinaire créée en 2018 au sein de sa Cour suprême, qui est en fait une cour de cassation.

À la demande de la commission européenne, la cour de Justice de l’UE a en effet délivré le 8 avril dernier une ordonnance provisoire demandant la suspension de cette Chambre disciplinaire chargée de sanctionner en dernière instance les juges qui se rendraient coupables de manquements à leurs obligations ou bien outrepasseraient leurs fonctions. « L’arrêt de la CJUE est contraignant, entre en vigueur immédiatement et doit immédiatement être appliqué par l’État membre concerné, » a insisté le commissaire, selon qui « personne ne peut remettre en cause les jugements du système judiciaire communautaire sur la base de la législation ou des jugements nationaux ». N’en déplaise au Belge Didier Reynders, le 20 avril le Tribunal constitutionnel polonais avait indiqué à la Cour suprême que la suspension de la Chambre disciplinaire, qui reviendrait à invalider une loi adoptée par le parlement, relevait de sa compétence exclusive de gardien de la constitution polonaise.

Le 24 avril, un porte-parole de la commission européenne reconnaissait malgré lui que les institutions européennes n’avaient pas à se mêler de la date des élections dans les États membres. Quant à l’affirmation de Reynders selon laquelle les décisions de la CJUE ne peuvent pas être remises en cause sur la base du droit national, elle est tout simplement fausse, ce qu’est venu rappeler très à propos la cour constitutionnelle allemande mardi 5 mai. Les juges constitutionnels allemands ont en effet estimé que le rachat de la dette des États telle qu’elle est pratiquée par la BCE et telle qu’elle a été validée par la CJUE est contraire à la loi allemande. Les juges de Karlsruhe ont donné trois mois à la BCE pour leur donner des explications convaincantes sur sa politique, faute de quoi la Bundesbank n’aura plus le droit de participer à ces rachats de dette souveraine par la BCE dans le cadre de la lutte contre les effets économiques de la pandémie de COVID-19. D’autres juridictions nationales posent parfois des limites au champ d’action de la CJUE en se basant à la fois sur les traités européens et sur le droit national, comme il y a quelques mois la Cour suprême espagnole à propos des mandats de députés des anciens dirigeants catalans poursuivis en Espagne pour sédition. Ce n’est qu’à la Pologne et à la Hongrie que les institutions européennes voudraient interdire cette possibilité de manière tout à fait arbitraire et absolument contraire à l’État de droit.

Le 29 avril, la commission européenne lançait une nouvelle procédure contre la Pologne, cette fois à propos d’une réforme du régime disciplinaire des juges adoptée en janvier 2020. Cette réforme vise à pouvoir sanctionner efficacement ces juges qui, prétendant appliquer directement une décision de la CJUE de novembre 2019, remettaient en cause la légitimité d’autres juges quand ceux-ci avaient été nommés sur recommandation du Conseil national de la magistrature (KRS) après les réformes du PiS. Dans tout autre pays de l’UE, un juge ne peut pas invalider un jugement au prétexte que le juge à l’origine de la décision ne serait pas légitime à ses yeux. Mais pour la commission européenne, que la Pologne sanctionne ce type de comportements rebelles de la part de juges militants serait une atteinte au principe d’indépendance de la justice !

Voici donc à quoi la commission européenne gaspille son temps et celui d’autres institutions en ces temps de crise.

 

Cet article a paru initialement dans le quotidien Présent.