Hongrie – Le scrutin législatif partiel, suite à la mort accidentelle d’un député du Fidesz, était observé dans toute la Hongrie. C’est finalement la candidate du Fidesz, Zsófia Koncz, fille du député décédé, qui l’a emporté sur le candidat du Jobbik László Biró, avec une avance importante : 50,87% (17 579 suffrages) contre 45,9% (15 875 suffrages). Analyse d’une élection partielle qui a intéressé tout le pays.
Après la déconvenue de la législative partielle de février 2020 dans la circonscription de Dunaújvaros (où le député sortant était issu du Jobbik, et le candidat du Jobbik soutenu par la gauche l’avait très largement emporté 56-37 face au candidat indépendant soutenu par le Fidesz), il y aurait eu péril en la demeure en cas de nouvelle défaite.
L’enjeu de cette élection était ainsi multiple :
– l’enjeu était (assez faussement) présenté comme ayant pour but pour l’opposition de priver le Fidesz (et son allié le KDNP) de leur majorité constitutionnelle des 2/3 en cas de victoire de László Biró ; ce scénario n’aurait été exact que de façon symbolique, étant donné que le Fidesz aurait encore pu bénéficier du soutien du député de la minorité allemande (Imre Ritter), voire du soutien des députés du parti nationaliste Mi Hazánk,
– il s’agissait du premier scrutin d’importance « de l’ère covidienne »,
– il s’agissait également pour l’opposition unifiée (partis de gauche libérale et Jobbik anciennement nationaliste radical désormais dirigé par Péter Jakab) d’un premier vrai essai de la coopération de l’opposition unifiée en vue des législatives de 2022.
Pas (encore) d’effet Covid ?
En ce qui concerne l’aspect « crise du Coronavirus », il n’a en apparence pas affecté le Fidesz dans cette élection, en dépit de l’érosion constatée récemment dans les sondages.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2018, dans la 6ème circonscription du Borsod, Ferenc Koncz l’a emporté avec 49,3% des suffrages. En pourcentages, sa fille améliore donc légèrement son score.
Cela peut s’expliquer par le fait que la province hongroise est pour le moment moins affectée que la capitale (très dépendante du tourisme) par la brutale chute du PIB liée au coronavirus. De même, on peut constater qu’en province la contrainte du masque est moindre qu’à Budapest (en dehors des centre-commerciaux et autres enseignes étrangères implantées en Hongrie, où le zèle est systématiquement plus élevé que dans les commerces hongrois).
De surcroit, si certaines décisions comme la fermeture (relative) des frontières hongroises a pu provoquer un agacement au sein de l’opinion publique, la surenchère de l’opposition libérale qui demande encore plus de mesures liberticides semble pour le moment tourner à la faveur du Fidesz, qui peut se poser discrètement en garant de mesures plus légères. En l’absence actuelle de force politique prenant à revers la narration covidienne (en dehors d’un premier ballon d’essai de László Toroczkai, le dirigeant du parti nationaliste), le Fidesz peut donc pour l’instant jouer ce jeu d’équilibriste.
Le parlementaire d’opposition le plus caricatural à ce sujet est probablement l’indépendant (ex-LMP) Ákos Hadházy, qui expliquait publiquement début septembre imposer le port du masque à l’école (non obligatoire en salle de classe) à ses enfants, qui se retrouvaient de ce fait marginalisés par leurs petits camarades, étant donné qu’ils étaient les seuls à le porter.
Pour ces deux sujets (crise économique et rejet des mesures liberticides sanitaires), la question est bien évidemment « jusqu’à quand » ? La seule observation des commentaires sur la page Facebook de Viktor Orbán permet de constater ce que l’on voit rarement : des électeurs et soutiens d’Orbán exprimer – en dépit de leur soutien réaffirmé au chef du gouvernement – leur scepticisme vis-à-vis de certaines mesures, et plus encore opposition la plus ferme quant à la perspective d’une vaccination qu’Orbán promet disponible pour l’été prochain.
Avril 2022 semble encore loin, très loin, mais en attendant le Fidesz parvient à conserver sa base électorale rurale (et vieillissante), pilier fondamental de ses succès électoraux. Une élection législative partielle dans un bastion Fidesz de Buda aurait possiblement donné un tout autre résultat.
La coalition « arc-en-ciel » ne marche pas à tous les coups
Imaginée (entre autres) par le secrétaire général du Jobbik Gábor Szabó en février 2018 à l’occasion de l’élection municipale partielle de Hódmezővásárhely, la stratégie du candidat unique face au Fidesz n’a donc pas fonctionné cette fois-ci. Pire, le score de László Bíró est inférieur à celui cumulé des partis qui l’ont soutenu en 2018.
Le choix du candidat, László Bíró, issu du Jobbik, s’est probablement basé sur le score important réalisé en 2018, en comparaison des autres candidats d’opposition.
Les résultats de 2018 étaient les suivants :
- Ferenc Koncz (Fidesz), 49,3%
- László Biró (Jobbik), 31,64%
- Zsolt Pap (MSZP-PM ; pas de candidat DK), 14,9%
- Gábor Tarnai (LMP), 2,27%
Le score cumulé des partis nouvellement coalisés était donc de 48,41%. Avec un résultat de 45,9%, László Biró n’a donc pas retrouvé le pourcentage de 2018.
La campagne de László Biró a été fortement parasitée par le refus de l’enregistrement de sa candidature avec l’étiquette Jobbik au terme d’une procédure juridique curieuse (selon laquelle Péter Jakab n’était pas encore officiellement reconnu par la justice comme président du parti, donc à même d’investir un candidat), ce qui n’a pas permis de faire figurer le logo du Jobbik sur le bulletin de vote du candidat (mais uniquement le logo des partis de gauche) ; mais aussi et surtout par la révélation de commentaires à caractère antisémite, notamment lorsqu’il a appelé la capitale hongroise « Judapest » dans un commentaire Facebook en 2018.
Les excuses présentées par László Biró pour ses déclarations ont toutefois permis de maintenir le soutien actif de la gauche, et de très nombreuses personnalités de haut rang de la gauche libérale sont venues soutenir en personne le candidat, y compris le maire de Budapest Gergely Karácsony.
András Schiffer, ancien président du LMP (parti libéral écologiste) et retiré de la politique électorale depuis 2016, et lui-même d’ascendance juive, a résumé avec son humour habituel la situation au sujet de l’imbroglio autour de László Bíró : « Qui est l’antisémite progressiste? Celui qui déteste davantage Viktor Orbán que les juifs. »
La défaite de László Biró et les scandales autour de sa personnalité ne semblent toutefois remettre en question la volonté des coalisés de poursuivre l’aventure ensemble jusqu’en 2022. Mais chacun au sein de l’opposition s’accorde à dire que les élections de 2022 resteront difficiles à gagner, en dépit de l’arme que l’on croyait miraculeuse de la « coalition arc-en-ciel ».
À moins que d’ici là le chaos économique et liberticide covidien ne vienne rebattre les cartes.