Pologne – Le Parlement européen demande déjà la suspension des fonds versés à la Pologne pour l’obliger à libéraliser l’avortement.
Comme on pouvait s’y attendre, le Parlement européen a adopté une large majorité jeudi sa résolution « sur l’interdiction de fait du droit à l’avortement en Pologne ». Grâce aux voix du PPE, dont font partie les LR français, la résolution proposée par le groupe socialiste, les libéraux centristes de Renew (le groupe des députés LREM) et l’extrême gauche (groupes Verts/ALE et GUE/NGL), a été adoptée avec 455 voix pour, 145 contre et 71 abstentions. Elle ne pouvait tomber à plus mauvais moment. Alors que la menace du véto polonais et hongrois continue de peser sur le budget 2021-27 et le plan de relance, les députés européens ont décidé de bien montrer à quoi allait servir le mécanisme d’état de droit qu’ils appellent de leurs vœux pour conditionner le versement des fonds européens au respect d’un état de droit mal défini, mais aussi des « valeurs européennes » et des droits fondamentaux.
La résolution du PE « sur l’interdiction de fait du droit à l’avortement » est la réaction des eurodéputés au jugement du 22 octobre du Tribunal constitutionnel polonais qui a invalidé une clause de la loi polonaise de 1993 (loi sur la planification familiale, la protection du fœtus humain et les conditions autorisant une interruption de grossesse). Cette clause autorisaitl’avortement lorsque « les examens prénataux ou d’autres données médicales indiquent une forte probabilité de handicap grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable menaçant sa vie ». Une fois le jugement du Tribunal constitutionnel polonais publié au Journal officiel de la République de Pologne (ce qui n’a pas encore été fait pour des raisons inexpliquées), l’avortement restera autorisé en Pologne jusqu’à la 12e semaine en cas de grossesse issue d’un viol et sans limite de temps en cas de danger pour la vie ou la santé physique de la femme enceinte.
La législation sur l’avortement fait partie des compétences nationales exclusives des pays membres de l’UE. La résolution du Parlement européen adoptée jeudi n’a donc aucune valeur contraignante pour la Pologne, mais elle contient malgré tout un appel à la Commission et au Conseil pour qu’ils sanctionnent la Pologne pour sa législation sur l’avortement considérée trop restrictive par une majorité d’eurodéputés.
Il est en effet dit dans cette résolution que le Parlement européen « demande à la Commission de procéder à une évaluation approfondie de la composition du Tribunal constitutionnel, dont la nature illégale constitue un motif de contestation de ses décisions et, dès lors, sa capacité à respecter la constitution polonaise; souligne que l’arrêt susmentionné est un autre exemple de la subordination politique du pouvoir judiciaire et de l’effondrement systémique de l’état de droit en Pologne ». Il est ensuite dit que le PE « se réjouit de l’accord provisoire du 5 novembre 2020 relatif à la législation visant à établir un mécanisme de suspension des paiements du budget versés à un État membre qui enfreint l’état de droit; invite instamment la Commission à agir avec détermination sur la conditionnalité récemment convenue pour le futur cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 ».
En d’autres termes, puisque le Tribunal constitutionnel polonais a interprété la constitution polonaise d’une manière qui déplaît au parlement européen (alors que cette interprétation était prévisible au vu de la constitution et de sa jurisprudence), la majorité pro-avortement au Parlement européen refuse de reconnaître la légitimité du Tribunal constitutionnel polonais, demande à la Commission européenne de se substituer à cette cour constitutionnelle nationale et appelle la Commission et le Conseil à actionner dès que possible le mécanisme d’état de droit refusé par la Hongrie et la Pologne en suspendant les fonds versées à cette dernière jusqu’à ce qu’elle accepte de libéraliser sa législation sur l’avortement (ce qui l’obligerait au passage à modifier sa constitution).
Le Parlement européen va même encore plus loin puisqu’il demande aussi à la Commission de « confirmer l’application de la directive 2004/113/CE(15) aux biens et services en matière de santé et de droits génésiques et sexuels et à reconnaître que les restrictions et les obstacles à l’accès à ces biens et services constituent une discrimination à caractère sexiste, étant donné qu’ils affectent de manière disproportionnée les personnes appartenant à un sexe (féminin) ou à des groupes vulnérables (par exemple les personnes trans et non binaires) ». Les droits génésiques et sexuels dans la novlangue de l’UE correspondent aux droits reproductifs dans la novlangue de l’ONU : il s’agit du droit à l’avortement. Le PE demande ici à la Commission d’appliquer à l’avortement la directive sur « l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l’accès à des biens et services et la fourniture de biens et services », en considérant donc que le fait de ne pas pouvoir se débarrasser du bébé qu’elle porte est pour une femme une inégalité par rapport aux hommes qui ne risquent pas, eux, de tomber « enceints ».
Plus loin, le PE « invite la Commission à adopter des lignes directrices à l’intention des États membres afin de garantir l’égalité d’accès aux biens et services en matière de santé et de droits sexuels et génésiques, conformément au droit de l’Union et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ». Comme il est affirmé plus haut dans la même résolution que l’avortement est un droit fondamental reconnu par le droit international et la CEDH – ce qui est faux –, on comprend ici que la Commission doit garantir l’accès à l’avortement dans toute l’UE même si les traités européens ne prévoient pas un transfert de cette compétence à l’UE. S’ensuit un appel au Conseil à « finaliser d’urgence la ratification de la convention d’Istamboul par l’Union » et une condamnation ferme des « tentatives de certains États membres de révoquer les mesures déjà prises dans le cadre de l’application de la convention d’Istamboul et de la lutte contre la violence à l’égard des femmes ». Il s’agit là d’un autre mensonge contenu dans la résolution, puisque le Parlement européen se réfère en fait aux pays, notamment d’Europe centrale, qui ont signifié qu’ils ne ratifieraient pas cette convention du Conseil de l’Europe en raison de l’idéologie du genre qu’elle porte et parce qu’ils estiment que les mesures contre la violence à l’égard des femmes prévues dans cette convention sont déjà intégrées dans leur droit national.
Par ailleurs, la résolution du 26 novembre sur l’interdiction de fait du droit à l’avortement en Pologne exprime le soutien du Parlement européen aux manifestations qui se sont déroulées en Pologne contre le jugement du Tribunal constitutionnel polonais en cette période de pandémie, et elle condamne la défense des lieux de culte organisée par les milieux catholiques et patriotes face aux agressions et dégradations commises contre des églises à l’appel des organisateurs de ces manifestations.
Il mérite aussi d’être souligné que la discussion de mercredi sur l’avortement en Pologne, qui a précédé le vote de la résolution jeudi, s’est accompagnée d’une discussion sur l’état de droit en Pologne, les deux thématiques étant étroitement liées aux yeux des eurodéputés.
Cette situation illustre à quel point le Parlement européen est prêt à enfreindre le droit au nom de l’état de droit et que c’est bien dans ce but qu’il a refusé le budget et le plan de relance convenu au Conseil européen de juillet tant que la présidence allemande du Conseil n’a pas accepté d’élargir le conditionnement des fonds européens au respect de l’état de droit.
Le député RN français Nicolas Bay du groupe Identité et Démocratie faisait remarquer lors du débat de mercredi, que « le dogmatisme d’une majorité du Parlement européen a porté ses fruits : le budget européen et le plan de relance sont bloqués. Vous avez voulu les conditionner au respect du prétendu état de droit, eh bien vous avez le résultat ! Trop heureuse d’avoir là une extension de ses prérogatives, la Commission s’est faite le relais de cette idée afin de pouvoir punir les nations récalcitrantes. C’est décidément une obsession. Bruxelles porte l’entière responsabilité de cette crise politique, mais voudrait bien évidemment rejeter la faute sur Varsovie et sur Budapest. »
En ce qui concerne le vote des députés français qui se disent « de droite », les députés LR du groupe PPE ont presque tous voté en faveur de cette résolution typiquement progressiste « sur l’interdiction de fait du droit à l’avortement en Pologne », y compris des députés réputés conservateurs comme Brice Hortefeux et Nadine Morano mais à l’exception notable de François-Xavier Bellamy qui a voté contre, cette fois. Les députés RN du groupe Identité et Démocratie ont tous voté contre.