En Hongrie aussi, le sujet de la vaccination contre le Covid fait débat. Les partis gouvernementaux (conservateurs chrétiens du Fidesz et du KDNP) et l’opposition libérale de gauche sont unanimement en faveur de la vaccination contre le SARS-CoV-2, certains politiciens libéraux étant même officiellement pour la vaccination obligatoire. Alors que seul le parti nationaliste Mi Hazánk s’est exprimé officiellement contre les mesures de fermeture, la discrimination vaccinale et le passeport sanitaire, peu de journalistes, éditorialistes et personnalités se sont exprimés contre la narration covidienne, avec l’exception notable du journaliste libéral András Hont du magazine HVG, et Bea Bakó du tout-en-ligne Azonnali, propriété du jeune député et oligarque libéral Péter Ungár, politicien du parti vert LMP.
Nous avons décidé de traduire cet article – avec l’accord de l’auteur – pour permettre aux lecteurs francophones, dans cet éditorial externe, de se faire leur idée de la position des partisans non-covidiens de Hongrie. Les opinions exprimées dans ce papier d’opinion n’engagent que leur auteur.
Article originellement publié le 30 décembre 2020, en hongrois, sur Azonnali. Traduit par le Visegrád Post.
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Hongrie – Non, non pas parce que les vaccins seraient si suspects que ça, mais plutôt parce que le passeport vaccinal va nous placer devant cette question : allons-nous préférer montrer que nous tenons à notre liberté, ou transiter sans broncher vers un monde orwellien ?
Le résumé de 2020, c’est que nous avons servi de lapins de laboratoire à une expérimentation menée à l’échelle mondiale ; parmi les résultats certains de cette dernière, il y a le constat qu’on peut, au moins deux fois en l’espace d’un an, faire avaler à l’humanité tout entière pendant plusieurs mois l’adoption d’un mode de vie insupportable, au moyen des sacrosaints slogans du risque minimum et de la responsabilité.
La comparaison avec les lapins, cela dit, est certes aussi une manière de se dédouaner. Car après tout, ces malheureux lapins de laboratoire, eux, n’ont jamais voix au chapitre concernant la nature des expérimentations auxquelles ils sont soumis ; dans nos sociétés « développées et responsables », en revanche, une opinion publique « éclairée » a réussi à s’imposer à deux reprises – au printemps et en automne –, par sa propre hystérie, la fermeture des magasins, la suspension des voyages, voire l’interdiction de sortir de chez soi à l’heure de son choix. Cet été, la version officielle était encore « qu’il n’y aurait plus de confinement » ; plus tard, quand le confinement a tout de même été réintroduit, on nous a expliqué « qu’il fallait le faire pour pouvoir ensuite fêter normalement Noël et le Nouvel an ». Ce qui n’a finalement pas été permis non plus, et pourtant, curieusement, personne ne semble maintenant en faire reproche aux politiciens, ou leur représenter l’étendue de leurs mensonges à répétition.
Et le clou, c’est qu’en guise de cadeau de Noël, on a encore reçu une nouvelle variante du virus (alors que même avant, on connaissait déjà des dizaines de mutations), sur laquelle on ne sait certes rien de concret pour l’instant, mais son apparition a déjà suffi à transformer les Britanniques en habitants du nouveau Wuhan – comme ça, au moins, ils reçoivent, en même temps que leur panoplie du Brexit, un blocus virologique. Pauvres Britanniques.
Qu’est-ce qu’une attitude (ir)responsable ?
Un consensus semble s’être établi pour considérer que, à l’époque covidienne, on est responsable à condition de protéger nos prochains d’une maladie qui, s’ils l’attrapent, ne leur infligera, dans l’immense majorité des cas, aucun mal.
Par contre :
- cela conduit à reporter, voire à annuler, des examens et des opérations dont les bénéficiaires, du fait de cette privation de soins, courent un bien plus grand risque de subir les conséquences graves de diverses affections mal traitées ;
- cela amène des personnes âgées à vivre leurs derniers jours de vie lucide isolées, car, pour laisser leurs proches leur rendre visite, on attendra qu’ils soient déjà littéralement à l’article de la mort ;
- les quarantaines et les « confinements » détruisent des quantités de vies, de carrières et d’entreprises, pendant que les géants du commerce en ligne encaissent le profit que tous les autres n’ont pas pu réaliser ;
- la vie sociale et culturelle s’éteint, des théâtres aux expositions ;
- privés de bistrot, beaucoup se mettent à boire seuls chez eux ; la réduction des contacts sociaux est source de problèmes psychologiques ;
- une génération d’élèves est sacrifiée sur l’autel de l’enseignement « numérique » ; bifurcation qui pourrait bien, pour beaucoup, devenir définitive ;
- on massacre de petits animaux sauvages par millions, en raison du risque hypothétique qu’ils nous transmettent une maladie dont le taux de survie dépasse 99% ;
- la police arrête et interroge des citoyens en raison de leurs opinions.
Et tout cela se passe sous les hymnes de louanges d’une majorité approbatrice – qui ajoutera tout au plus, concernant le dernier point, que cela dépend bien entendu du degré de correction des opinions exprimées. Si la police arrête un citoyen auteur d’Opinions Correctes (du type : le problème, c’est que le gouvernement n’est pas efficace dans la gestion du virus, que le système de santé n’est pas à la hauteur, etc.), on entendra à nouveau le chœur intitulé « c’est [une fois de plus] la fin de l’état de droit » ; mais qu’on arrête un citoyen auteur d’Opinions Incorrectes (comme : la réaction à la situation épidémiologique est disproportionnée, on a tort de s’enfoncer dans la psychose), le disque change, et on revient vite au grand classique : « bravo, ils font bien de punir ces dangereux négationnistes ».
Et ce Chœur des Citoyens Responsables n’aurait jamais été fondé sans l’aide de médias pour la plupart occupés à entretenir la psychose sans jamais laisser aucune autre opinion s’exprimer, et des réseaux sociaux, indispensables à la formation des bulles cognitives philanthopisantes de type #restecheztoi et #porteunmasque. Succès d’une telle ampleur que, des partisans du gouvernement à ceux de l’opposition, une majorité attend sans broncher, voire réclame l’adoption de nouvelles mesures restrictives : le coronavirus aura au moins réussi à forger une unité nationale. En voilà, un sacré motif de réjouissance.
Or on peut parier que, si une telle épidémie s’était déclarée il y a quinze ou vingt ans, c’est-à-dire avant que les newsfeeds de Facebook ne deviennent le principal fournisseur en opinion du bon peuple, la situation n’aurait probablement pas débouché sur des « mesures » restrictives d’une telle rigueur et d’une telle longueur.
Et donc : cela a valu la peine ?
Rappelons que les sacrifices susmentionnés ont dû être consentis par l’ensemble de la société, pour « arrêter un virus », qui :
- en cas d’infection, représente pour les moins de 65 ans un risque létal inférieur à 1% (et même inférieur à 0,1% pour les moins de 45 ans) – sans que cette spécificité n’ait amené les décisionnaires (pour des raisons qui restent mystérieuses) à limiter l’effet de leurs « mesures » aux groupes à risque, et notamment aux personnes âgées) ;
- ne rend les porteurs asymptomatiques contagieux que dans une proportion infime, inférieure à 1% (ce qui n’empêche pas la propagande d’essayer par tous les moyens de convaincre tout un chacun de se considérer en permanence comme potentiellement contagieux, même ceux qui ne se plaignent d’absolument aucun symptôme, et de nous interdire de nous approcher de mémé sans avoir préalablement effectué un test) ;
- sur lequel il se peut que les statistiques officielles offrent une image totalement distordue en ce qui concerne sa prévalence dans la population hongroise, dans la mesure où l’obscurité semble complète quant à la question de savoir quel rôle jouent dans ces statistiques les tests réalisés par les particuliers ;
- qui inspire une panique justifiée probablement en grande partie par la détérioration programmée du système de santé hongrois, à laquelle on assiste depuis des décennies, et qui en a conduit plus d’un, de façon pleinement compréhensible, à craindre, plus encore que la maladie elle-même, la perspective de la voir prise en charge, dans un hôpital en ruine, par des médecins surchargés, luttant – depuis allez savoir combien d’heures – contre le sommeil et des infirmières trimant pour un salaire honteusement bas.
À la lumière de ces arguments, il se pourrait que nous ayons tout à gagner à réviser notre point de vue sur tel ou tel aspect de la situation – par exemple : en quoi consiste vraiment l’Attitude Responsable, ou encore : entre deux confinements, ne vaudrait-il pas mieux réclamer à nos politiciens des politiques de santé un peu plus intelligentes ?
Il est révélateur que tout ce que le FIDESZ, qui assiste sans rien faire, depuis sa majorité gouvernementale, au pourrissement du système de santé depuis dix ans, a pu faire jusqu’ici en la matière, c’est l’augmentation – conditionnée ! – du salaire des médecins – enfin, de ceux qui n’ont pas encore émigré : une décision constituant, pour une large part, une mesure-paravent. Plus la promesse de mettre réellement fin à la rémunération informelle des médecins par leurs patients ; quant à l’opposition, qui, peu avant Noël, a rendu officielle son unité politique, au beau milieu de l’épidémie, ses communiqués officiels ne contiennent aucune proposition concrète concernant le système de santé.
Et pour 2021, notre nouvelle expérimentation sociale est déjà arrivée : la vaccination
En Hongrie comme ailleurs, c’est au lendemain de Noël qu’est arrivé la première cargaison de vaccins, si bien que la définition de l’Acte Héroïquement Responsable peut maintenant peu à peu se transformer : de « reste chez toi », elle va passer à : « je me fais vacciner ».
Bon, en termes de fabrication du consentement, il faut dire que cette fois-ci, il va y avoir plus de boulot, étant donné que même neuf mois de panique entretenue n’ont pas suffi à convaincre la majorité des Hongrois de souhaiter se faire vacciner. D’après une étude de décembre de [notre journal] Azonnali et de l’institut de sondage IDEA Intézet, la vaccination ne serait acceptée que par un peu plus d’un tiers de la population, et ce manque de confiance concernerait en premier lieu – accrochez-vous bien – La Science à l’Origine des Vaccins : cette même science, à laquelle, d’après la même étude, l’énorme majorité des Hongrois obéit sans broncher, par exemple quand on leur dit qu’ils doivent encore rester chez eux deux semaines de plus, qu’à Noël ils n’ont pas le droit de rendre visite à qui que ce soit, et que même dans la rue, on ne doit s’aventurer qu’en portant un masque.
Aurais-je mal lu ? La population hongroise serait donc tout de même, majoritairement, constituée de farouches négateurs de la science ? Je ne crois pas. Simplement, je pense que – même eu égard à l’état actuel d’abrutissement du débat public – les Hongrois auraient, en matière d’information vaccinale, des attentes qualitatives dépassant le niveau de ce que le gouvernement leur propose sur son site dédié à ces fins, et qui, par exemple, ne précise même pas qu’il existe plusieurs catégories de vaccins en fonction du mécanisme de fonctionnement ; et ne nous apprend bien entendu pas non plus
- comment fonctionnent les divers vaccins,
- quels sont les avantages, les inconvénients et les risques des divers vaccins,
- quel vaccin il faut recommander à qui et pourquoi,
- quel(s) vaccin(s) va ou vont être employé(s) en Hongrie, parmi les divers vaccins disponibles.
Pendant que le gouvernement consacre des millions à informer l’opinion publique des conspirations ourdies par George Soros et de ses plans secrets, il n’a, pour une raison ou pour une autre, pas trouvé de moyens pour s’occuper de ce petit détail : apporter des réponses compréhensibles pour le plus grand nombre aux questions élémentaires que soulève la vaccination contre le coronavirus.
Cependant, il reste, en outre, une autre question pertinente :
Est-on bien certain que c’est nécessaire ?
Personnellement, je veux bien croire que les vaccins autorisés par l’UE et les gouvernements des pays développés sont sans danger. Pour autant, bien sûr, j’estime tout de même avoir droit, de la part de mon gouvernement, à des informations plus approfondies et plus équilibrées à ce propos (et je ne suis pas la seule), mais je ne pense pas que quiconque – pas plus le « méchant dictateur » Orbán que cette UE « mercenaire de Soros » – aurait pour projet de m’empoisonner ou de m’implanter une puce.
La raison pour laquelle je ne compte pas me faire vacciner contre le COVID est une objection de principe, bien plus fondamentale. À savoir, ce que j’ai écrit plus haut des taux de mortalité : en tant que trentenaire, à supposer même que je l’attrape, je cours un risque d’à peu près 0,004% d’en mourir.
Si je me faisais vacciner en raison d’un risque de cette ampleur, je devrais aussi renoncer à me déplacer en voiture ou en vélo, ou encore à aller skier,étant donné que cela m’expose à tout moment à un accident, dans lequel je peux perdre la vie.
Eh oui : la vie est parfois dangereuse ; c’est à cela que servent nos réflexes, nos instincts et notre système immunitaire : à nous protéger. Un risque létal de 0,004% (voire encore inférieur – étant donné que je peux aussi très bien ne jamais contracter le virus) est très loin du niveau de risque qui justifierait que je troque la confiance que j’ai en mon système immunitaire contre une foi vaccinale. Car même une mortalité de 0,1%, voire de 0,5%, n’atteindrait pas ce niveau ; peut-être même pas si elle était de 1%.
Ceux qui expriment ce point de vue s’exposent en général à des contre-arguments du type : « c’est facile à dire quand on est jeune et en bonne santé » ; à ce propos, je me permets donc de recommander au lecteur l’entretien de Noël donnée à Válasz online par le moine jésuite Péter Mustó, âgé de 85 ans, qui a tenu exactement les mêmes propos : la vie est, en elle-même, dangereuse, et nous devons accepter l’évidence que « nous ne disposerons jamais d’un contrôle total sur tout, nous ne serons jamais en mesure d’éradiquer toute source de douleur et de danger. Ce qui, bien entendu, nous emplit de peur. Mon enseignement, c’est que nous devons vivre avec cette incertitude et cette conscience de la certitude de la mort, et que cela n’empêche pas de vivre une belle vie. »
À mon avis, telle serait précisément l’essence d’une attitude responsable face au coronavirus : comprendre le principe d’une prise de risque raisonnable, et – jusqu’à un certain degré de danger (que le coronavirus est loin d’atteindre) – accepter que chacun décide en son âme et conscience du pourcentage de danger qu’il est disposé à affronter, et du taux à partir duquel il préfère adopter une solution de sécurité (ou simplement du danger qu’il considère devoir craindre le plus : mourir de telle ou telle maladie, ou confier sa vie au système de santé hongrois) ; cela, et non s’enfermer dans la démence, et encore moins, en pleine crise hystérique, exiger des autres qu’ils adoptent eux aussi cette attitude extrémiste (dite « responsable » ou « normale ») dans la minimalisation du risque.
Rendre la vaccination obligatoire : à quel point ?
Quand il est question de vaccination contre des maladies contagieuses, bien entendu, on voit revenir l’argument selon lequel on ne peut pas se contenter de prendre en compte les risques qui nous affectent personnellement, étant donné qu’on peut aussi transmettre la maladie à d’autres, pour qui elle peut être considérablement plus dangereuse. La seule réponse que je puisse apporter à cet argument, c’est le pourcentage extrêmement faible (déjà mentionné plus haut) des contagions provoquées par des patients asymptomatiques (en cas de symptômes, il est bien évident que tout le monde reste chez soi) ; et aussi que, dans ce cas, il serait largement suffisant de convaincre de se faire vacciner ceux qui appartiennent aux catégories à risque.
L’argument suivant dans cette liste, c’est l’immunité collective que la vaccination est censée produire, et l’idée qu’à défaut d’atteindre une telle immunité, le système de santé ne résistera pas aux vagues successives – disons : annuelles – de l’épidémie. Ces temps-ci, quand on évoque l’immunité collective, c’est exclusivement dans le contexte de discussions portant sur les vaccinations, en évitant soigneusement de mentionner l’immunité qui découle d’une infection (or le seul élément permettant plus ou moins de justifier ce biais, c’est que nos connaissances en la matière sont encore incertaines, et que divers facteurs sont susceptibles d’influencer la force et la durée de la réponse immunitaire que produit un patient exposé au virus).
Les Suédois, on le sait, ont, au début de la crise, refusé l’idée des confinements, et misé sur une immunité collective obtenue par voie naturelle, c’est-à-dire du fait des infections ; ce que leur exemple, en tout état de cause, nous montre, c’est que, dans ce pays dont la population est grossièrement égale à celle de la Hongrie, si le nombre des infections est vaguement supérieur, celui des victimes du virus est à peu près le même. Je laisserai à la sensibilité de chacun le soin de décider si on peut vraiment considérer comme apocalyptique ce nombre de victimes compris entre 8 000 et 9 000 : en tout état de cause, s’il est apocalyptique, alors il ne l’est pas moins chez nous que chez eux ; et s’il ne l’est pas, il faudra bien reconnaître que les Suédois ne sont, finalement, pas aussi débiles qu’on avait pris l’habitude de le dire au printemps dernier.
Quant à l’argument faisant référence à la nécessité de ménager le système de santé, tout ce que je peux lui répondre, c’est que : à ce compte-là, on pourrait aussi interdire le tabac, dans la mesure où le cancer du poumon, dont l’apparition est plusieurs dizaines de fois plus probable chez les fumeurs que chez les non-fumeurs, ne contribue pas non plus vraiment à soulager le système de santé.
Mais, tout comme, dans un pays libre, tout un chacun a le droit de fumer, de boire des alcools forts ou de pratiquer des sports extrêmes, de même, tout un chacun doit avoir le droit de refuser un vaccin censé le protéger d’une maladie entraînant une faible mortalité. Quant aux gouvernements, leur devoir consiste bien plutôt à organiser et à entretenir un système de santé capable de nous soigner, qu’à transformer en « devoir moral » pour l’individu l’acceptation d’une vaccination censée le protéger d’une maladie qui, dans l’immense majorité des cas, n’a pas de conséquences graves.
Le meilleur des mondes : un passeport vaccinal
Les gouvernements (y compris le gouvernement hongrois) ont beau dire et répéter qu’ils ne comptent pas rendre obligatoire la vaccination contre le coronavirus, il est d’ores et déjà évident qu’ils comptent très fortement encourager les gens à l’accepter, en laissant, de plus, les entreprises s’acquitter de leurs basses œuvres de contrainte. Il ne sera pas littéralement obligatoire de se faire vacciner, mais plein de choses – comme : voyager en avion, ou assister à des événements, etc. – ne seront possibles que sur présentation d’un « passeport vaccinal ». Non seulement pour ceux que le coronavirus risque fort de tuer, mais aussi pour tous les autres. S’agissant de ma personne : on compte m’obliger – que je le veuille ou non – à me soustraire à ce risque de plus ou moins 0,004%.
Et cela, c’est déjà, effectivement, le niveau d’ingérence disproportionnée du pouvoir dans notre autonomie personnelle à partir duquel, dans une démocratie libérale normale, nous devrions aussitôt aller manifester – et saisir nos cours constitutionnelles – tout du moins, dans les pays où une telle démarche peut avoir un sens.
En ce qui me concerne, il est certain que je compte intenter un procès à tout prestataire de service qui tentera de me refuser l’accès à ses services en prétextant de l’absence d’un « passeport vaccinal » ; je ne suis, en effet, pas disposée à tolérer la moindre petite piqure de seringue contribuant à l’édification de l’utopie orwellienne à laquelle ce genre de « passeports vaccinaux » ouvre la voie ; sans même parler de l’énorme risque qu’ils font peser sur la confidentialité des informations personnelles, ou du fait qu’un tel système ne pourra que parfaire l’exclusion de couches d’ores et déjà précarisées de la population.
On pourrait, bien entendu, se lancer dans un long débat philosophique sur la question de savoir à partir de quel taux de mortalité il faudrait considérer une obligation vaccinale comme proportionnée. Car il existe d’ores et déjà, par exemple, une série de pays africains qu’on ne peut visiter que moyennant une vaccination préalable contre la fièvre jaune : une maladie dont le taux de mortalité moyen oscille entre 3% et 7,5% (soit, en moyenne, entre 10 et 20 fois plus que celui du coronavirus, pour les infectés d’un âge ne dépassant pas 65 ans ; pour la tranche d’âge des 65-85 ans, le taux serait à peu près identique).
Ou alors, prenons le cas des vaccins dont l’administration aux nourrissons et aux enfants est obligatoire : il est bien sûr parfaitement raisonnable de rendre obligatoire la vaccination contre la diphthérie, dont le taux de mortalité chez les enfants de moins de cinq ans est de 20% (et de 5 à 10% en population générale), ou en général contre les maladies susceptibles de laisser, dans un nombre significatif de cas, des séquelles durables (méningite, paralysies infantiles contagieuses, etc.). Mais dans ce domaine aussi, hélas, la paranoïa contraignante a déjà fait ses premiers pas : depuis 2018, pour des raisons incompréhensibles, il est devenu obligatoire de vacciner les enfants en bas âge contre la varicelle – une maladie sans danger, à symptômes légers.
À partir de 2021, l’expression « consommateur responsable » va prendre un nouveau sens
Quoi qu’il en soit, le coronavirus a permis le déchaînement complet de la paranoïa sanitaire, et j’ai bien peur qu’en 2021, nous ne découvrions stupéfaits l’étendue croissante des possibles devenant impossibles à défaut de vaccin. Le ministre espagnol de la Santé, par exemple, a d’ores et déjà annoncé qu’il compte établir une liste de ceux qui refusent le vaccin, et même la partager avec les autorités des autres pays-membres de l’UE. Tout cela, dans l’univers parallèle où vit le ministre espagnol de la Santé, ne viole pas les lois sur la confidentialité des données personnelles, et ne constitue même pas une obligation vaccinale. Ben voyons.
Heureusement, quelques voix lucides se font encore entendre : Horst Seehofer, ministre de l’Intérieur du gouvernement fédéral allemand, s’est déjà prononcé contre l’institution de quelque privilège que ce soit en faveur des citoyens vaccinés – qui serait l’équivalent d’une obligation vaccinale. Les entreprises, aussi, sont capables de solutions censées : toujours en Allemagne, la compagnie Lufthansa, par exemple, a annoncé qu’elle n’imposerait qu’un test, et seulement sur ses vols long-courriers intercontinentaux, mais qu’elle ne réclamerait aucune vaccination à ses passagers.
Car un citoyen réellement « responsable » aura, tout de même, intérêt à se poser la question : confronté à la menace du passeport vaccinal, la réponse adéquate est-elle de « leur faire confiance » en se laissant piquer, ou de se rebiffer et d’imposer – au besoin, par voie judiciaire – le respect de ses libertés (y compris de son droit à prendre des risques). Accessoirement, on peut toujours espérer aussi que la main invisible réglera certains de nos problèmes, et qu’il y aura toujours des entreprises (comme la Lufthansa) pour reconnaître, dans les derniers humains normaux, une part de marché.
La seule chose qui soit sûre, c’est que, pour ma part, je n’ai pas l’intention d’enrichir d’un traître sou des prestataires de services qui, en plus de mon paiement, exigeraient de moi la présentation d’un passeport vaccinal. Même s’ils sont moins chers que la concurrence. Pour 2021, je ne peux que recommander à tout un chacun de prendre de telles habitudes de consommation responsable.
Article originellement publié le 30 décembre 2020, en hongrois, sur Azonnali. Traduit par le Visegrád Post.