Pologne – Le 27 janvier, la Commission européenne informait être passée à la deuxième étape de la procédure d’infraction visant la Pologne à propos de la Chambre disciplinaire créée par les réformes du PiS au sein de la Cour suprême.
Cette deuxième étape de la procédure consistait pour la Commission à envoyer un avis motivé complémentaire après la lettre de mise en demeure adressée le 3 décembre dernier à la Pologne. Selon la Commission, la réponse de la Pologne à cette lettre « ne répond pas aux préoccupations de la Commission » et il fallait donc passer à l’étape suivante.
Toujours selon la Commission en effet, la Pologne « viole le droit communautaire en permettant à la chambre disciplinaire de la Cour suprême, dont l’indépendance et l’impartialité ne sont pas garanties, de prendre des décisions ayant un impact direct sur les juges et sur la manière dont ils exercent leur fonction ».
L’objet du conflit
La Cour suprême polonaise est en fait une cour de cassation. Sa Chambre disciplinaire a été créée par la loi du 8 décembre 2017 dans le but de contribuer à mettre fin à l’impunité dont bénéficiaient les juges depuis la chute du communisme, du fait d’un esprit de corporatisme très puissant dans les professions juridiques.
Saisie en octobre 2019 par la Commission européenne, qui estime que cette Chambre disciplinaire ne présente pas les garanties nécessaires d’indépendance et d’impartialité, la Cour de Justice de l’UE a émis en avril 2020 une ordonnance provisoire dans laquelle il est dit que « la Pologne doit suspendre immédiatement l’application des dispositions nationales relatives aux compétences de la chambre disciplinaire de la Cour suprême au regard des affaires disciplinaires concernant les juges ».
La Pologne conteste cependant la compétence des institutions européennes dans ce domaine et, alors que l’affaire est en attente d’être examinée sur le fond par la CJUE, la Cour suprême polonaise a saisi le Tribunal constitutionnel polonais qui doit encore se prononcer sur la question de la légalité, à la lumière de la constitution polonaise et des traités européens ratifiés par la Pologne, de l’ordonnance provisoire de la CJUE.
Pourquoi la Commission enfonce le clou
Depuis l’ordonnance provisoire émise par la CJUE en avril 2020, et en attendant le jugement de la CJUE et du Tribunal constitutionnel polonais, la Cour suprême polonaise affirme avoir suspendu provisoirement l’examen des affaires disciplinaires visant des juges. Elle continue en revanche de statuer sur les demandes de levée de l’immunité de juges présentées par le parquet. Mais la Commission européenne estime que la levée de l’immunité de juges à la demande du parquet contrôlé par le ministère de la justice peut aussi constituer un instrument de pression politique à l’encontre des juges.
Si la Commission européenne estime cela, c’est parce qu’elle considère que la Chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise ne serait pas elle-même indépendante du pouvoir politique. Pourquoi ? Parce que la nomination par le président de la République des juges membres de la Chambre disciplinaire sur proposition du Conseil national de la magistrature (KRS) ne garantirait pas l’indépendance de ces juges. En effet, après la réforme du KRS votée en 2017 par le parlement polonais, les 15 juges membres du KRS (sur 25 membres en tout) ne sont plus choisis par leurs pairs mais par la Diète (la chambre basse du parlement polonais). Précisons entre parenthèses que c’est aussi le cas par exemple en Espagne, ce qui n’avait jamais inquiété la Commission européenne.
Mais dans le cas de la Pologne, la Commission estime qu’un tel mode de nomination – qui ne la regarde pas si l’on s’en tient à une lecture stricte des traités européens – fait que le pouvoir politique peut exercer des pressions sur les juges au moyen de cette Chambre disciplinaire et que par conséquent la Pologne n’a plus une justice suffisamment indépendante pour garantir une application correcte du droit communautaire. Et donc si, cela regarde bien la Commission bien qu’une telle ingérence dans l’organisation du système judiciaire d’un pays membre ne soit pas directement prévue dans les traités. C’est en tout cas le raisonnement que fait la Commission pour s’occuper de la justice polonaise alors qu’elle ferait sans doute mieux de concentrer son attention, par exemple, sur l’achat des vaccins contre le Covid puisque c’est une mission que lui avaient confié les 27 (ce qu’ils ont de bonnes raisons de regretter aujourd’hui).
Le reproche de dépendance du pouvoir politique ne tient pas la route
Par ailleurs, les juges de la Cour suprême polonaise, y compris ceux de la Chambre disciplinaire, sont nommés pour un mandat qui dure jusqu’à leur départ à la retraite. Seule la Chambre disciplinaire de la Cour suprême peut révoquer un juge de la Cour suprême au terme d’un procès en deux instances. Comment le fait d’avoir été nommé par le président de la République sur proposition d’un Conseil de la magistrature avec une majorité de membres choisis par le Parlement pourrait-il donc rendre un juge sensible aux pressions du pouvoir exécutif s’il ne peut pas être révoqué ?
—
Voir à ce sujet notre entretien de janvier 2020 avec le juge Tomasz Przesławski,
président de la Chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise.
—
Et pourtant, la croate Dubravka Šuica, vice-présidente de la Commission européenne chargée de la Démocratie et de la Démographie, a affirmé, pour motiver cet enclenchement de la deuxième étape de la procédure de la Commission contre la Pologne : « Pour les juges, la simple perspective de procédures conduites à leur encontre par un organe dont l’indépendance n’est pas garantie a un effet paralysant et peut affecter leur propre indépendance ».
S’agit-il donc pour la Commission d’accorder aux juges polonais une impunité totale ? Dans quel but ?
Que va-t-il se passer maintenant ?
La Pologne a un mois pour répondre à l’avis motivé complémentaire de la Commission européenne, après quoi celle-ci pourra saisir à nouveau la Cour de Justice de l’UE.
Varsovie y est habituée depuis que la coalition conservatrice Droite unie conduite par le parti Droit et Justice (PiS) a remporté les élections en 2015 avant de voir sa majorité absolue reconduite à la Diète en 2019 et son candidat Andrzej Duda réélu à la présidence de la République en juillet dernier. Seulement aujourd’hui, les fonctionnaires de la Commission européenne disposent d’un instrument supplémentaire pour contraindre les États membres à se plier à leurs desiderata : le mécanisme qui fait dépendre le versement des fonds européens du respect, selon l’estimation de la Commission elle-même, de l’état de droit. Les assurances données par les 27 au Conseil européen de décembre quant à l’utilisation de ce mécanisme seront-elles respectées ? Cette nouvelle procédure lancée par la Commission sera une bonne occasion de nous en convaincre.