Matteo Salvini soutient le gouvernement Draghi et semble s’aligner sur l’establishment de l’UE, du moins pour le moment. Est-ce là un virage durable pour Salvini et la Ligue, ou une décision stratégique censée préparer l’avenir ?
Un haut responsable du parti pense que Salvini et la Ligue veulent « laver leur nom ». Mais le laver de quoi ?
Il se passe en Italie des choses très étranges. Quelque chose sent le pourri, et il est possible d’imaginer d’où cela vient.
Tous les grands partis politiques italiens, sauf un, se sont alignés sur le nouveau gouvernement d’unité dirigé par ce divin eurocrate (Super Mario) qui semble marcher sur l’eau.
Malheureusement, les dirigeants de la Ligue (plus que Salvini lui-même, je pense) ont manifestement été fortement influencés par Forza Italia, un parti membre du PPE, dans les rangs duquel on trouve des charlatans politiques comme Berlusconi et Tajani, et se sont résolus à donner des gages à l’establishment de l’UE.
La première réaction de Salvini avait été de garder ses distances avec Draghi et de plutôt pousser à la tenue d’élections anticipées. En effet, compte tenu les bouleversements de l’année dernière, pourquoi ne pas laisser le peuple décider ?
Selon certaines sources, certains membres du premier cercle de Salvini, et notamment le modéré Giancarlo Giorgetti, un ami de Draghi, y ont vu une occasion en or pour appuyer sur « reset ».
« La Ligue veut rejoindre Draghi pour laver son nom en Europe, pour se défaire de sa réputation de parti eurosceptique. » – a confié à Reuters un haut responsable de la Ligue.
Laver son nom ? Laver le nom du parti qui a remporté par un raz-de-marée les dernières élections européennes en Italie, et se trouve actuellement en tête des intentions de vote (même si les Frères d’Italie de Giorgia Meloni gagnent actuellement du terrain sur ladite Ligue) ?
C’est vraiment comme ça que ça fonctionne ? Faut-il vraiment vendre son âme pour se mettre au garde-à-vous devant la pensée sectaire de l’UE ? Cela ressemble à la stratégie du caniche adoptée par Seehofer et la CSU en Allemagne.
Les dirigeants de la Ligue – étant désormais euro-compatibles – ont même fait l’objet des éloges du site d’extrême gauche Huffington Post…
C’est une chose de vouloir rester dans le jeu, mais c’en est une tout autre de pousser la comédie jusqu’à avoir l’air d’accepter un plan d’immigration à l’échelle de l’UE, élaboré par l’Allemagne et – au sein de l’UE – par la suédoise Ylva Johannson… Un plan qui entraînera des réaffectations à n’en plus finir, et engage l’UE sur la voie de l’immigration de masse.
Écoutez ce nouveau Salvini euro-compatible : « En ce qui concerne l’immigration, nous proposerons l’adoption d’une législation européenne… Il est bon pour nous qu’en Italie l’immigration soit traitée de la même manière qu’en France et en Allemagne, en vertu des mêmes règles. »
Oui, c’est bien Salvini, ce même grand patriote italien qui autrefois dénonçait Bruxelles, appelait à la fermeture des ports et à une politique « d’atterrissages zéro ». C’est lui qui semble désormais adhérer à la solidarité européenne en matière d’immigration, comme prix à payer pour entrer dans le jeu. Léchant goulument le cul de l’UE.
Lui qui autrefois qualifiait ses contradicteurs de « godillots » semble désormais s’aligner lui aussi sur l’establishment.
Pourtant, qu’ont fait pour l’Italie les technocrates de l’UE, le PPE de Merkel et l’euro de Draghi au cours des vingt dernières années ? Son économie en ruines, l’Italie est désormais un État vassal de l’UE, dépendant de Bruxelles.
Il n’y a rien de mal à procéder à de menus ajustements, personne ne peut se soustraire au changement – mais renier son passé à ce point, ça dépasse toutes les bornes.
De ce fait, Meloni (Frères d’Italie) et le groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE) à Bruxelles sont désormais la seule force d’opposition importante en Italie. Meloni qualifie cette opposition d’ « opposition patriote ». Qu’on puisse faire partie de l’opposition tout en gardant sa liberté de critiquer le parti au pouvoir sur certaines questions (et de le soutenir sur d’autres) pour se démarquer ? Oui, mais la Ligue n’est pas parvenue en tête des intentions de voix sur un programme pro-UE, et risque non seulement de diviser sa base, mais aussi de mettre en péril la victoire de la droite aux prochaines élections.
Dans toute démocratie saine, l’opposition joue un rôle vital en exerçant un contrôle sur le gouvernement. C’est à cela que sert l’opposition, et voilà pourquoi il est fort regrettable que la Ligue ait choisi d’apporter son lot de « godillots » à ce gouvernement d’unité penchant à gauche, qui a même conservé le même ministre de l’Intérieur, un extrémiste de l’immigrationnisme. (Salvini a même fait brusquement modifier le discours tenu par sa page Facebook à ce sujet.)
Mais essayons de prendre du recul : mon sentiment est que Matteo Salvini est un homme sincère (il se peut que je me trompe, mais il semble différent d’un Andrej Babiš ou d’un Sebastian Kurz), qui subit cependant de toute évidence des pressions venant d’autres membres de la Ligue, désireux de se ranger aux côtés de ces partis de l’establishment, qui ont causé d’immenses dommages à l’Europe sur de nombreux fronts. Comment entendent-ils revitaliser l’Italie aux côtés des forces mêmes qui ont œuvré à la décimer ?
J’ai été choqué par certaines déclarations de dirigeants de la Ligue… tout simplement choqué par la facilité avec laquelle ils renient leur passé pour se « moderniser ».
Cependant, il se peut qu’un autre facteur entre ici en ligne de compte. Le procès de Matteo Salvini, pour des faits datant de la période au cours de laquelle il défendait les frontières en tant que ministre de l’Intérieur (l’opposition l’ayant honteusement accusé d’avoir pris en otage des clandestins, sous prétexte qu’il leur refusait le droit d’entrer en territoire italien), a été reporté au 20 mars. S’il était condamné – ce qui créerait un précédent dangereux pour d’autres dirigeants européens anti-immigration –, il ne pourrait exercer ses fonctions, et risquerait d’avoir à purger une peine de prison.
Personnellement, je ne pense pas que le revirement de Salvini soit dicté par son intérêt personnel, et je crois vraiment qu’il reste fidèle à sa position initiale de refus d’accès au territoire à tous les clandestins – qui avait bénéficié à tous dans l’UE (et qui lui avait valu d’être abandonné par d’autres dirigeants européens prétendument opposés à l’immigration). Mais la question est ici de savoir si sa possible condamnation a quelque-chose à voir avec les pressions qu’ont exercées sur lui des dirigeants de la Ligue en vue de l’amener à entrer dans le gouvernement Draghi. Certains membres de la Ligue seraient-ils en train, par ce brusque changement de tactique, d’essayer de couvrir leurs propres carrières en cas de condamnation de Salvini ?
Autre crainte : la nouvelle coalition risque d’essayer d’isoler le parti de Meloni, dans l’espoir d’en bloquer l’ascension, ou de saboter tout projet de gouvernement alliant Meloni et Salvini. Quant à Berlusconi et à son parti pro-européen Forza Italia, ils ne méritent aucune confiance.
On serait tenté de se demander ce qui peut bien se passer en coulisses, et combien de temps encore Salvini restera à la tête de la Ligue. Il y a quelque chose de très étrange dans tout ce scénario, et il ne fait aucun doute que les hommes du PPE en Italie (Forza Italia), le gouvernement allemand et certains hauts responsables de la Ligue sont de mèche et conspirent.
Le V4 Report, depuis ses débuts fin 2015, a toujours vu dans le PPE – dominé par l’Allemagne – un obstacle sur la voie des nationaux-conservateurs : un parti conçu par les marionnettes de Merkel pour maintenir la division au sein des forces légitimes de la droite et pour les empêcher d’émerger comme une force majeure au sein de l’UE.
Nous avons été en désaccord avec Viktor Orbán lorsque le Fidesz a décidé de rester au sein du PPE. La raison pour laquelle le V4 Report souhaite que le Fidesz quitte le PPE est exactement celle qui fait craindre au PPE (et notamment à l’Allemagne, à l’Italie, à l’Espagne et à la France) de perdre le Fidesz : Orbán est le seul leader qui dispose du courage et du charisme nécessaires pour unir les troupes des nationaux-conservateurs et en faire une force émergente au sein de l’UE, capable de rivaliser avec la grande coalition du PPE, des Socialistes, des Verts et des fédéralistes européens de Renew Europe.
De plus, les gouvernements des quatre membres susmentionnés du PPE (Allemagne, Italie, Espagne, France) craignent de voir l’exemple d’Orbán donner de l’élan à leurs oppositions de droite, ce qui pourrait sérieusement affaiblir leurs positions sur leurs scènes politiques nationales.
L’auteur de ces lignes n’a jamais fait confiance au PPE et a toujours plaidé pour qu’Orbán rejoigne le PiS (Pologne), VOX (Espagne) et Meloni (Italie) au sein du CRE, un groupe plus conservateur. Depuis une telle plateforme, Orbán pourrait travailler avec Salvini pour construire à droite une force solide permettant de contrer l’establishment de l’UE.
Salvini ne devrait pas tomber dans ce piège. La prochaine cible des forces qui tentent de l’y pousser sera le parti de Meloni (désormais seul en réelle opposition, et en nette progression dans les sondages), qu’elles chercheront à mettre hors-jeu, dans l’intention de faire dérailler la menace d’un futur gouvernement de coalition Salvini-Meloni.
Salvini doit rentrer au bercail. Le rôle qu’il joue en ce moment ne lui va pas.
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Traduit de l’anglais par le Visegrád Post