La polémique a éclaté en Pologne après le 9 février, quand l’Institut de la Mémoire nationale (IPN) a nommé au poste de directeur par intérim de sa succursale de Wrocław un certain Tomasz Greniuch, historien mais aussi ancien militant de l’organisation nationaliste ONR.
L’ONR, ou « camp national-radical », est une organisation nationaliste considérée par beaucoup comme une organisation d’extrême droite fascisante. Les médias libéraux et de gauche se sont immédiatement emparés de l’affaire, dépeignant quasiment comme un néo-nazi le nouveau directeur du bureau régional d’un institut dont le rôle est d’enquêter sur les crimes nazis et communistes, d’en conserver la documentation, de poursuivre ceux qui ont commis des crimes pour le compte de ces deux totalitarismes en Pologne et d’éduquer le public. C’est à l’IPN que se trouvent les dossiers de l’ancienne police politique – le « Service de sécurité » (SB) – sur les dissidents et aussi sur les collaborateurs secrets de l’époque communiste. Des dossiers qui peuvent parfois s’avérer compromettants, notamment pour les anciens collaborateurs qui exercent aujourd’hui des fonctions publiques et qui ont menti sur leur déclaration concernant leur passé.
L’ambassade d’Israël a immédiatement réagi à la nomination décidée par le président de l’IPN en exprimant son étonnement et en invitant le docteur en histoire Tomasz Greniuch à visiter le musée d’Auschwitz « dont la mission est de rappeler au monde entier les dangers de l’idéologie nazie ».
Fondée en 1993, l’ONR s’inscrit ouvertement dans la tradition de l’organisation du même nom d’avant-guerre qui se caractérisait par son antisémitisme, sa sympathie pour le fascisme italien et, au moins chez une partie de ses membres, sa fascination pour Hitler, ce qui n’a toutefois pas empêché nombre de ses anciens membres pendant la Deuxième guerre mondiale de lutter activement contre l’occupant allemand et même, pour certains, de risquer leur vie pour sauver des compatriotes juifs. L’ONR contemporain ne se revendique toutefois officiellement ni du fascisme ni de l’antisémitisme d’avant-guerre, mais définit ses membres comme des nationalistes chrétiens « attachés aux valeurs comme Dieu, l’honneur, la patrie, la famille, la tradition et l’amitié » (dixit le site Web de l’ONR), et il se revendique du leader national-démocrate d’avant-guerre Roman Dmowski et des figures du nationalisme polonais tués par les nazis. L’ONR est une des organisations nationalistes co-organisatrices de la Marche de l’Indépendance qui se déroule tous les 11 novembre à Varsovie.
On a toutefois reproché à certains groupes locaux affiliés à l’ONR d’avoir parfois organisé des défilés de jeunes à l’allure de skinheads, avec treillis militaires, chemises brunes et brassards décorés du logo de l’ONR.
Quant à l’historien Tomasz Greniuch, on lui reproche d’avoir défendu dans le passé le salut avec le bras droit tendu comme étant un salut romain avant d’être un salut fasciste ou nazi et surtout d’être apparu sur une photo prise en 2007 en train de faire ce salut à Cracovie en présence de ses amis de l’ONR qui ressemblaient plus à des SA des années 1930 qu’aux Romains de l’Antiquité.
Il a donc fallu que Greniuch se défende par un communiqué dans lequel il affirme n’avoir jamais été un nazi et s’excuse d’avoir exécuté ce salut qu’il qualifie d’erreur de jeunesse. Dans son communiqué, il affirme que sa famille a eu à souffrir des deux totalitarismes – nazi et communiste – qu’il n’avait jamais eu l’intention de glorifier en se comportant de la sorte. Dans le même communiqué, l’IPN donne les détails des membres de la famille de Tomasz Greniuch qui ont effectivement péri ou ont été persécutés des mains des nazis et des communistes.
Ce communiqué n’aura toutefois pas suffit. Quand la polémique a éclaté, le président Andrzej Duda a critiqué sa nomination alors qu’il l’avait décoré de la Croix de bronze du mérite en 2018 pour son travail en faveur de la popularisation des connaissances sur les « soldats maudits », ces partisans polonais qui ont continué la résistance après 1945 en retournant leurs armes contre l’occupant soviétique après s’être battus contre l’occupant allemand. Mais d’après le vice-ministre de la Culture Jarosław Sellin, qui a lui aussi qualifié cette nomination d’erreur du président de l’IPN, le président Duda n’était pas au courant du passé de l’historien quand il lui a remis cette décoration. Maciej Wąsik, secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur, a été encore plus direct. Commentant sur Twitter une photo de 2007 où l’on voit le jeune Tomasz Greniuch avec le bras droit tendu, il a déclaré : « Je n’ai pas de mots assez forts. Les idiots qui font le Heil Hitler n’ont rien à faire dans notre espace public. Je compte sur une réaction rapide de la direction de l’IPN ».
Le 22 février, le président de l’IPN Jarosław Szarek annonçait la démission de Tomasz Greniuch du poste de directeur du bureau de Wrocław, mais maintenant c’est la tête de Jarosław Szarek lui-même qui est demandée tandis que des voix s’élèvent pour que Greniuch cesse de travailler comme historien à l’IPN. Les libéraux de la Plateforme civique (PO) reprennent désormais à leur compte la vieille revendication de la gauche post-communiste en exigeant la dissolution de l’IPN. Ryszard Terlecki, chef du groupe PiS à la Diète et vice-maréchal (vice-président) de la chambre basse du parlement polonais, a affirmé avoir été dès le début hostile à la nomination de Tomasz Greniuch à ce poste de directeur au sein de l’IPN mais il a ajouté, après la démission de l’intéressé : « Je pense maintenant que les fonctionnaires, les personnalités publiques qui étaient par exemple au PZPR [l’ancien parti communiste polonais, NDLR] devraient démissionner tout comme ce monsieur qui était à l’ONR l’a fait. Le système communiste était au moins aussi criminel que l’hitlérisme, et peut-être même plus. »