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L’Union de Lublin ou la naissance de la République des Deux Nations

Temps de lecture : 4 minutes

La Pologne et la Lituanie ont entretenu des relations rapprochées tout au long de leur histoire. Ce fut particulièrement le cas au Moyen Âge. Le voisinage de ces deux États fut marqué par de nombreux conflits. Cependant, malgré leurs divergences, Polonais et Lituaniens sont parvenus à s’entendre en créant une union puissante : la République des Deux Nations.

Afin de mieux comprendre l’origine de ce destin commun, penchons-nous sur le contexte historique. La dynastie qui unifia le Royaume de Pologne au Grand-Duché de Lituanie fut celle des Jagellons. Ses représentants régnaient à la fin du XVe et au début du XVIe siècle en Pologne, en Lituanie, en Hongrie et en Bohême.

Les Jagellons contrôlaient alors un territoire de plus de 2 millions de kilomètres carrés, ce qui en faisait l’une des dynasties les plus puissantes d’Europe.

La collaboration rapprochée entre la Pologne et la Lituanie commença à la fin du XIVe siècle. Jusqu’alors, Polonais et Lituaniens s’affrontaient régulièrement. D’une part, la Pologne était (déjà) à l’époque un bastion du catholicisme tandis que les Lituaniens étaient connus pour leurs traditions païennes. D’autre part, la mésentente entre les deux peuples était accentuée par leur aspiration à contrôler les régions frontalières de Podlachie, de Mazovie et de Ruthénie rouge.

Le 14 août 1385, Lituaniens et Polonais parvinrent à un accord et signèrent l’Union de Krewo. Cet évènement marqua une première étape qui se révèlera cruciale pour les décennies à venir. Le Grand Duc de Lituanie Ladislas II Jagellon fut alors baptisé et couronné roi de Pologne. L’union de la Pologne et de la Lituanie renforça les deux nations menacées par leurs voisins : les Chevaliers Teutoniques. La plupart des historiens de la région s’accordent sur le fait que c’est justement la menace de cet ennemi commun qui poussa les deux nations à former cette alliance stratégique. En 1410, le roi Ladislas écrasa les troupes de l’Ordre teutonique à l’occasion d’une des plus grandes batailles médiévales connue sous le nom de bataille de Grunwald (Tannenberg en allemand). À la suite de ce triomphe des troupes polono-lituaniennes, l’Union d’Horodło fut signée le 2 août 1413, confirmant le resserrement des liens polono-lituaniens.

Ce n’est qu’un siècle et demi plus tard que la Pologne et la Lituanie s’unirent pour ne former plus qu’une seule et même entité à l’occasion de la signature de l’Union de Lublin, le 1 juillet 1569. Cet évènement formalisa l’unification des deux États. À partir de ce moment, le Royaume de Pologne (la Couronne) et le Grand-Duché de Lituanie ne firent officiellement plus qu’un. Concrètement, cela signifiait la mise en place d’un parlement commun à Varsovie. Dès lors, le roi allait être élu par la noblesse polonaise et lituanienne et porterait simultanément le titre de Grand Duc de Lituanie et de Roi de Pologne.

La République des Deux Nations possédait des institutions communes parmi lesquelles le parlement bicaméral (dans lequel siégeaient les sénateurs et députés polonais et lituaniens), des armoiries communes, une monnaie unique, ainsi qu’une même politique étrangère et de défense. Cependant, les deux États désormais unifiés conservèrent des structures administratives distinctes. Cette distinction concernait le trésor, l’armée et le système juridique.

Le territoire du Grand-Duché de Lituanie englobait la quasi-totalité de la Biélorussie actuelle et plus de deux-tiers de l’Ukraine d’aujourd’hui étaient alors partie intégrante du Royaume de Pologne.

En ce milieu de XVe siècle, les Chevaliers teutoniques ne représentaient plus une menace si importante. C’était alors le Duché de Moscou du tsar Ivan le Terrible qui montait en puissance en Europe orientale. Les troupes lituaniennes n’étaient pas en mesure de repousser l’avancée moscovite sans le soutien militaire polonais. Or malgré cela, une partie considérable de la noblesse lituanienne refusait l’union formelle avec la Pologne jusqu’au dernier moment, craignant une dilution de son identité nationale. Le roi polonais Sigismond Auguste dut insister longuement auprès de ses partenaires pour que l’union entre les deux États soit ratifiée.

En unissant leurs forces, les deux nations parvinrent à considérablement élargir leur territoire, si bien que les troupes polono-lituaniennes occupèrent Moscou entre août 1610 et novembre 1612. Notons que depuis 2004, la date du 4 novembre est synonyme de fête nationale (« Fête de l’Unité Nationale ») en Russie. On y commémore la reconquête par les troupes moscovites de leur capitale aux dépens de la République des Deux Nations.

Le XVIIe siècle s’avéra être le plus sanglant de l’histoire du l’union polono-lituanienne. La République des Deux Nations dû mener de nombreuses guerres contre la Suède au nord, la Russie à l’est et la Turquie au sud. Les guerres civiles dévastatrices ne purent également être évitées. En conséquence, ce pays qui était l’un des plus riches et des plus puissants d’Europe, subit des pertes territoriales importantes et fut en grande partie détruit. Cette situation de crise initia le processus qui mènera à la disparition pure et simple de la Pologne-Lituanie de la carte d’Europe au profit de ses puissants voisins russe (qui prit le contrôle de 82% du territoire), autrichien (11%) et allemand (7%) à partir de 1772.

Aujourd’hui, la vision qu’on les Polonais et les Lituaniens de cette union entre leur pays n’est pas la même.

Dans les grandes lignes, les Polonais considèrent l’Union de Lublin et le développement de la République des Deux Nations comme l’apogée de l’histoire polonaise, le « siècle d’or » avant la perte d’indépendance au XVIIIe siècle.

Du côté lituanien, les choses sont plus complexes. L’union polono-lituanienne y est souvent vue par le prisme d’une perte de souveraineté au profit de la Pologne. Ce à quoi les historiens polonais rétorquent généralement par le fait qu’une partie importante de la noblesse lituanienne de l’époque ne demandait qu’une chose, à savoir l’union avec la Pologne dans le but de jouir des mêmes libertés que leur voisin connu pour ses traditions de liberté et de parlementarisme (élection du roi, tolérance religieuse, « liberum veto »,…)

Le débat autour de l’appréciation de la République des Deux Nations demeure animé. Une chose est sûre, l’Union de Lublin fut un évènement majeur dans le contexte des rivalités géopolitiques en Europe centrale et orientale à partir du XVe siècle.