Slovaquie – L’affaire Kuciak devenue entre-temps l’affaire Kočner n’en finit pas – depuis plus de trois ans – de défrayer la chronique dans la petite république du nord des Carpates. Dernier rebondissement en date, la Cour suprême de Slovaquie a décidé d’annuler les acquittements de l’homme d’affaires Marian Kočner et de sa collaboratrice Alena Zsuzsová – qui lui servait d’interprète et d’intermédiaire –, car le tribunal les ayant acquittés en septembre 2020 aurait commis « plusieurs erreurs ».
Plusieurs pistes envisagées
Les corps du journaliste d’investigations Ján Kuciak et de sa fiancée, Martina Kušnírová, avaient été retrouvés – abattus de plusieurs balles – le 21 février 2018 à leur domicile de Veľká Mača (Nagymácséd), une petite commune magyarophone à 65 kilomètres à l’est de Bratislava. Ján Kuciak, qui travaillait pour le portail d’information Aktuality.sk, enquêtait sur plusieurs affaires de fraudes fiscales mettant en cause notamment :
- des entrepreneurs italiens liés à une branche slovaque très ancienne de la Ndrangheta, la mafia calabraise, et éventuellement avec des représentants du Smer-SD, le parti de l’ancien premier ministre Robert Fico,
- un complexe immobilier dans lequel résidaient l’ancien premier ministre Robert Fico et l’homme d’affaires Marian Kočner – Kuciak avait porté plainte contre Kočner pour menaces de mort,
- un oligarque, Miroslav Bödör, proche du Smer-SD et de l’ancien ministre de l’intérieur, Robert Kaliňák.
Condamnation des tueurs, acquittements des présumés commanditaires
Les enquêteurs se lancent d’abord sur la piste de la mafia calabraise – implantée en Slovaquie depuis plusieurs centaines d’années ! – avant de se tourner rapidement vers l’oligarque slovaque Marian Kočner. En septembre dernier, les deux auteurs du meurtre – Miroslav Marček, un ancien militaire, et Tomáš Szabó, un ancien policier – sont condamnés respectivement à 23 et 25 ans de réclusion criminelle, tandis que les commanditaires présumés du crime – Marian Kočner et Alena Zsuzsová – sont acquittés au bénéfice du doute.
« Il n’a pas été prouvé que cet acte avait été commis par Marian Kočner et Alena Zsuzsová »,
explique alors la juge, Ružena Sabová.
Des éléments de preuve non examinés ?
Marian Kočner, qui purge par ailleurs une peine de prison de 19 ans dans une affaire de faux sans rapport – a priori – avec le meurtre de Ján Kuciak et Martina Kušnírová, a toujours nié être impliqué de près ou de loin à cette affaire criminelle :
« Je ne suis pas un saint, mais je ne suis pas non plus un meurtrier […] Je ne suis certainement pas un imbécile qui ne réaliserait pas à quoi conduirait le meurtre d’un journaliste »,
avait-il déclaré devant le tribunal lors de son procès. Selon Peter Paluda, juge de ladite Cour suprême, le tribunal ayant acquitté Kočner et Zsuzsová n’aurait pas examiné l’ensemble des preuves disponibles : « Les éléments de preuve ont été évalués […] de manière isolée sans tenir compte des relations avec d’autres éléments de preuve, ce qui a conduit à une conclusion juridique erronée entraînant un acquittement ». L’annulation des acquittements des deux présumés commanditaires de l’affaire Kuciak – dont la culpabilité éventuelle n’a pas non plus été établie, ne l’oublions pas ! – va immanquablement mener à un second procès dans les prochains mois.
« Nous ne nous reposerons pas tant que justice n’aura pas été rendue »
La mère de Martina Kušnírová, s’est déclaré satisfaite de ce qu’il y ait un nouveau procès :
« C’est un premier cri dans les ténèbres pour la justice, non seulement pour nos deux enfants, mais pour les générations futures. Et aussi pour vous journalistes, pour que vous n’ayez pas peur d’écrire… »
Un point de vue que partage le directeur adjoint de l’Institut international de la presse (IPI), Scott Griffen : « Le Tribunal Pénal Spécialisé a désormais une mission claire : il doit examiner de manière exhaustive tous les éléments de preuve et toutes les circonstances de cette affaire.
Les lacunes de la décision identifiées par la Cour suprême doivent être corrigées et la logique de la décision initiale examinée […] L’IPI est solidaire des familles de Ján et Martina, et de tous ceux dont la vie a été affectée par ce crime innommable. Nous et nos partenaires ne nous reposerons pas tant que justice n’aura pas été rendue ».