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La Pologne diversifie sa politique étrangère en se rapprochant de la Turquie et de la Chine

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – Avec l’arrivée de Joe Biden à la présidence des États-Unis, Varsovie se trouve prise entre le marteau et l’enclume. D’un côté, Bruxelles, Berlin et Paris, libérées du poids britannique, multiplient les ingérences et les pressions politiques et idéologiques sous couvert de « valeurs européennes » et d’état de droit, en réalité dans le but de faire évoluer l’UE vers un modèle quasi-fédéral. De l’autre, Washington, où la nouvelle administration partage les mêmes valeurs « européennes », progressistes et multiculturalistes qu’un Emmanuel Macron ou qu’une Ursula Von der Leyen et privilégie justement le rapprochement avec Bruxelles, Berlin et Paris au détriment des capitales les plus atlantistes du continent, c’est-à-dire Londres et Varsovie.

Vis-à-vis de Londres, le changement d’attitude de l’administration Biden par rapport à la précédente est devenu particulièrement criant quand, au début du mois de juin, la diplomatie américaine a exercé des pressions sur Londres, en faveur de l’UE, dans la dispute qui oppose Britanniques et Européens au sujet du protocole nord-irlandais. Ce protocole impose, suite au Brexit, des contrôles douaniers entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord pour éviter les contrôles terrestres entre les deux Irlande. Son application trop stricte, telle que souhaitée par l’UE, est cause de troubles dans les milieux unionistes nord-irlandais. Les États-Unis de Joe Biden ont même menacé le Royaume-Uni de conséquences sur la possibilité de conclure un accord commercial si Londres ne faisait pas preuve d’un peu plus de souplesse face à l’UE dans ce domaine. C’était inédit.

Vis-à-vis de Varsovie, le changement d’attitude par rapport à l’administration Trump, déjà visible par le fait que le nouveau président américain s’abstenait de tout contact direct avec son homologue polonais, est devenu patent avec la décision de Joe Biden de renoncer aux sanctions contre les entreprises participant à la construction du gazoduc Nord Stream 2. Un renoncement que Biden a justifié par la nécessité de préserver les relations avec Berlin, et dont les autorités polonaises ont eu connaissance par l’intermédiaire des médias.

« Les alliés américains n’ont pas trouvé le temps de consulter la région la plus exposée du monde », s’est désolé le ministre des Affaires étrangères polonais Zbigniew Rau

dans un entretien pour le quotidien Rzeczpospolita. « En janvier, je me suis entretenu pour la première fois avec le secrétaire d’État Antony Blinken. Il m’a assuré que « rien ne sera décidé à votre sujet sans vous ». Nous avons convenu qu’il était urgent de reprendre le dialogue stratégique polono-américain. En février et en mars, lorsque des rumeurs de discussions confidentielles entre les États-Unis et l’Allemagne sur le Nord Stream 2 ont fait surface, on nous a assuré que de telles discussions n’avaient pas lieu. Nous avons pris ces déclarations pour argent comptant, même si elles contredisaient ce que l’on savait d’autres sources. Et maintenant je lis les communiqués des agences de presse selon lesquels des discussions ont lieu cette semaine à Washington entre de proches collaborateurs de la chancelière Merkel et des conseillers du président Biden au sujet de l’achèvement du Nord Stream 2.

Cette formule de dialogue entre les États-Unis, la Russie et l’Allemagne ne peut remplacer les discussions entre les États-Unis et les alliés du flanc oriental de l’OTAN, qui seront particulièrement affectés par ces décisions. »

Contrairement à Joe Biden, Donald Trump favorisait, dans ses contacts avec l’Union européenne, les relations avec les pays de l’Initiative des Trois mers, y compris pour les ventes de ce gaz de schiste dont le nouveau président américain ne veut plus développer l’exploitation pour cause d’écologie. Non pas que ce nouveau président revienne sur la présence militaire américaine en Pologne ou sur les contrats d’armement signés à l’époque de son prédécesseur, mais les relations sont nettement moins chaleureuses aujourd’hui.

Prenant acte du changement de situation, et ne pouvant compter sur un réchauffement de ses relations avec Moscou sur le modèle hongrois,

Varsovie intensifie ses relations avec Ankara et avec Pékin, prenant en cela exemple justement sur la Hongrie de Viktor Orbán.

La visite du président polonais Andrzej Duda en Turquie en mai avait été l’occasion pour Varsovie de confirmer l’acquisition de 24 drones de combat de fabrication turque pour son armée, sans appel d’offres, faisant de la Pologne le deuxième pays européen de l’OTAN, après la France, qui sera équipé de ce type de drones. C’est aussi le premier pays de l’OTAN et le premier pays de l’UE qui se porte acquéreur des drones de combat turcs. Le contrat pour l’achat de drones Bayraktar TB2 couvre également la logistique et la formation. Les livraisons seront échelonnées entre 2022 et 2024. Par la même occasion, des accords bilatéraux ont été signés dans le domaine de la défense, du tourisme et du sport. Trois semaines après le président Duda, c’est le ministre des Affaires étrangères polonais qui vient de se rendre en Turquie, où il participait les 18-19 juin au Forum de la diplomatie d’Antalya. Et alors que le nouveau président américain semble plus préoccupé par le fait que la Chine revendique de plus en plus le statut de superpuissance concurrente des États-Unis au niveau mondial que par la puissance militaire russe en Europe orientale,

le Polonais Zbigniew Rau a souligné à Antalya qu’il fallait veiller à éviter de provoquer des tensions avec Pékin.

Le ministre polonais était d’ailleurs en visite en Chine en mai dernier, à l’invitation de son homologue chinois Wang Yi. Si, dans ses relations avec la Turquie, Varsovie cherche à favoriser un rapprochement de ce pays avec le B9 (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie et Tchéquie), dans ses relations avec la Chine les Polonais privilégient le format 16+1 : Chine + Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Tchéquie, toutes membres de l’UE, ainsi que l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Monténégro et la Serbie). La Lituanie a toutefois renoncé récemment à ce format de coopération, estimant qu’il valait mieux coopérer avec la Chine dans le cadre de l’UE tout entière.

Un éditorial publié le 23 juin dans le journal polonais Rzeczpospolita semble assez bien résumer les motivations polonaises derrière ce changement de politique étrangère :
«  Depuis la chute du communisme, la politique étrangère polonaise évoluait sur l’axe Washington-Berlin. La première de ces capitales nous a donné un billet d’entrée pour l’alliance atlantique, la seconde pour l’UE. Mais le boycott par l’administration de Joe Biden des autorités polonaises accusées de violer les règles de la démocratie et le fait qu’Angela Merkel ait fait passer le Nord Stream 2 malgré la politique de plus en plus agressive de la Russie

ont fait comprendre à la Pologne qu’elle avait besoin d’une plus grande marge de manœuvre dans ses relations avec l’Amérique et l’Allemagne, en montrant qu’elle a une alternative. »