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L’Initiative des Trois Mers, nouveau forum de coopération de douze pays d’Europe centrale, contrepoids de l’axe Berlin-Bruxelles-Paris ?

Temps de lecture : 4 minutes

Par Olivier Bault.

Publié originellement en français sur Réinformation TV.

Pologne, Rzeszów – Le 3 juillet à Rzeszów, en Pologne, se tenait le premier Forum des Régions de l’Initiative des Trois Mers (ITM). Cette initiative lancée en 2015 par le président polonais Andrzej Duda et la présidente croate Kolinda Grabar-Kitaorović regroupe douze pays d’Europe centrale situés entre la mer Baltique, la mer Adriatique et la mer Noire : les trois États baltes, les quatre du Groupe de Visegrád (V4), ainsi que l’Autriche, la Slovénie, la Croatie, la Roumanie et la Bulgarie. La rencontre de mardi avait pour but de passer d’une simple coopération intergouvernementale à une coopération transfrontière entre les régions concernées par les projets communs de l’Initiative des Trois Mers. Une autre dimension a également été annoncée mardi par le président de la Diète polonaise, avec le projet d’une assemblée parlementaire des Trois mers qui pourraient aller au-delà des 12 pays de l’ITM en attirant aussi des pays non-membres de l’UE, à commencer par l’Ukraine et la Moldavie.

Le président polonais cite le Français Robert Schuman pour justifier l’Initiative des Trois Mers

Dans sa forme actuelle, l’ITM est avant tout un cadre de coopération économique avec des projets concrets. Car, ainsi que l’a dit en citant le Français Robert Schuman le président polonais Andrzej Duda, venu au Forum saluer les participants de Pologne, de Slovaquie, de Hongrie, de Roumanie, de Bulgarie et de Croatie : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » Duda a en outre souligné que l’Initiative des Trois Mers avait aussi une dimension politique et sociale particulièrement importante à un moment où l’Union européenne s’éloigne de ses fondamentaux. Considérée par les pays participants comme complémentaire et non concurrente de l’UE, cette plateforme de coopération régionale peut potentiellement, avec ses 120 millions d’habitants, rééquilibrer la relation Ouest-Est dans l’Europe des 28, et bientôt des 27. D’autant que, comme l’ont aussi rappelé les participants, ces douze pays d’Europe centrale partagent, du fait de leur histoire récente, un même attachement à la souveraineté nationale, aux libertés et aux valeurs chrétiennes.

Discussions sur les gazoducs régionaux lors du sommet du forum des régions de l’Initiative des Trois Mers, le 3 juillet à Rzeszów en Pologne. Photo : Olivier Bault

Mettre fin à trois décennies passées avec les yeux tournés presque exclusivement vers l’Ouest

S’ils représentent 22 % de la population de l’UE, ils ne produisent que 10 % de sa richesse, le rattrapage économique après la chute du communisme (l’Autriche mise à part) étant loin d’être terminé. Et le but premier de l’Initiative des Trois Mers, c’est de développer les infrastructures énergétiques et de transport dans l’axe Nord-Sud ainsi que de développer le commerce dans ce même axe, après trois décennies de développement principalement dans la direction Est-Ouest. Dans le domaine énergétique, les terminaux gaziers polonais et lituanien sur la mer Baltique seront à termes reliés au terminal gazier croate sur l’Adriatique.

Cet aspect intéresse particulièrement les Etats-Unis, avec lesquels la Pologne vient de signer deux très gros contrats pour la fourniture de gaz après 2022, c’est-à-dire à l’expiration du contrat qui la lie au russe Gazprom. Tous les pays de l’Initiative des Trois Mers ne souhaitent pas comme la Pologne cesser d’acheter du gaz russe, mais tous soutiennent la diversification qu’entraînera la construction de ces nouveaux gazoducs, d’autant qu’il existe aussi des gisements de gaz importants en Méditerranée et que le gazoduc Baltic Pipe en projet permettra encore d’alimenter la région en gaz norvégien. Pour le président de la compagnie gazière polonaise PGNiG qui était présent mardi au Forum des régions de l’Initiative des Trois Mers, le développement des connexions entre la Baltique et l’Adriatique fait directement concurrence à l’alliance entre les compagnies allemandes et russes concernées par le gazoduc Nord Stream.

Un autre projet en cours de réalisation dans le cadre de l’ITM, c’est la Via Carpatia, c’est-à-dire une liaison par autoroutes et voies expresses qui ira de Klaipėda en Lituanie à Thessalonique en Grèce, en longeant le flanc oriental de l’Union européenne. Il existe aussi des projets, plus lointains, pour créer des axes de transport ferroviaires et fluviaux, car aujourd’hui, en Europe centrale, ce sont toutes les infrastructures de transport qui sont beaucoup moins développées dans le sens Nord-Sud que dans le sens Est-Ouest. Il pourrait encore être question à l’avenir – la question a été soulevée lors du Forum des régions de l’ITM mardi – de développer les échanges directs pour l’information médiatique, afin d’éviter que les sociétés d’Europe centrale ne soient informées de ce qui se passe chez leurs voisins en passant par le filtre idéologique des agences de presse et des médias mainstream d’Europe occidentale, comme c’est malheureusement souvent le cas aujourd’hui.

L’Initiative des Trois Mers, un Groupe de Visegrád à la puissance trois ?

Après la chute du mur de Berlin, les pays satellites de l’URSS en Europe ont longtemps eu les yeux rivés vers l’Ouest, négligeant les relations entre eux. Aujourd’hui, avec la crise identitaire et sociétale que connaît l’Europe occidentale, mais aussi avec la prise de conscience d’une relation économique où les anciens pays communistes se sont retrouvés en situation de pays dominés, il existe une tentation grandissante de se retrouver entre pays d’Europe centrale et de parler, quand c’est possible, d’une seule voix à Bruxelles. Ce que fait déjà avec succès le Groupe de Visegrád à quatre (Pologne, Tchéquie, Slovaquie et Hongrie), l’Initiative des Trois Mers pourrait de plus en plus permettre de le faire à douze.