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Le dossier des restitutions à nouveau au centre des tensions entre la Pologne et Israël

Temps de lecture : 5 minutes

Pologne – La question de la restitution des biens immobiliers ayant appartenu à des familles juives est revenue sur le devant de la scène à la faveur d’une nouvelle loi polonaise adoptée le 24 juin et d’une nouvelle réaction émotionnelle, sans grand rapport avec la réalité, du ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid.

La loi adoptée par la Diète le 24 juin, qui se trouve aujourd’hui au Sénat, rendra impossible la remise en cause des décisions prises en violation du droit en vigueur il y a plus de 30 ans. L’introduction d’un délai pour la remise en cause des décisions prises par les autorités communistes après la guerre avait été rendue nécessaire par un jugement du Tribunal constitutionnel polonais datant de 2015 (et donc d’avant l’arrivée au pouvoir du PiS). Il s’agit de garantir aux actuels propriétaires des biens immobiliers un minimum de sécurité juridique, et les descendants des anciens propriétaires privés de leurs biens en vertu des nationalisations opérées par le régime communiste après 1945 pourront toujours demander des compensations financières en saisissant la justice civile. La limite des 30 ans pour la remise en cause des décisions administratives prises en violation du droit de l’époque s’applique bien entendu à tous, et donc aussi aux Polonais non-juifs.

Cependant, le dossier des restitutions des biens confisqués par le pouvoir communiste aux familles juives ou à leurs héritiers est particulièrement sensible, puisqu’il s’inscrit dans le contexte des restitutions/compensations qui n’ont jamais pu être encadrées par une loi depuis la chute du communisme en 1989-90, alors que la Pologne, du fait de son importante population juive avant la guerre (3,3 millions de citoyens sur un total de 35 millions, dont 3 millions environ ont trouvé la mort dans le génocide mis en œuvre par l’Allemagne nazie en Pologne occupée), est le pays le plus concerné par ce problème.

La réaction du ministre israélien des Affaires étrangères au vote de cette nouvelle loi a été de dire que « Ce n’est pas la première fois que la Pologne cherche à nier ce qui s’est passé pendant la Shoah. Cette loi est immorale et va conduire à une grave détérioration des relations entre nos pays. Aucune loi ne peut changer l’histoire. C’est une honte qui n’effacera pas les horreurs et la mémoire de la Shoah. »

Pourtant, le vote de cette loi est sans rapport avec une éventuelle négation de la Shoah, mais Yaïr Lapid est un spécialiste des affirmations à l’emporte-pièce.

En 2019, il avait affirmé que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Polonais avaient « coopéré à la création et à la conduite des camps d’extermination », ce qui est faux et avait fait vigoureusement réagir les autorités du musée d’Auschwitz-Birkenau, qui lui avaient fait remarquer qu’une telle affirmation mensongère était aussi blessante que la négation de la Shoah.

À l’époque des tensions autour de la loi mémorielle polonaise, le même Yaïr Lapid avait prétendu que sa grand-mère avait été assassinée en Pologne par des Allemands et des Polonais, alors qu’elle avait en fait été déportée et tuée au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau où, pendant toute la durée de la guerre, les seuls Polonais présents étaient parmi les prisonniers.

Avec cette nouvelle dispute autour de la question des restitutions,

la tension est encore montée après la réponse du premier ministre polonais Mateusz Morawiecki à la nouvelle provocation de l’actuel ministre israélien des Affaires étrangères.

Morawiecki a en effet déclaré que, aussi longtemps qu’il serait premier ministre, « la Pologne ne paiera rien pour les crimes allemands. Pas un seul zloty, pas un seul euro ni un seul dollar ». La réponse de Yaïr Lapid : « L’argent polonais ne nous intéresse pas et cette simple allusion est antisémite ».

Et il est vrai que, en l’occurrence, la loi introduisant un plafond de 30 ans sur les décisions administratives pouvant être remises en cause concerne les revendications privées et non pas les demandes de compensation financière formulées par certaines organisations juives américaines pour les biens sans héritiers à la faveur d’une loi américaine adoptée en 2018. Après le ministre des Affaires étrangères israélien puis le premier ministre polonais,

c’était au tour des nationalistes polonais de faire monter la sauce en déversant un tas de gravats devant l’ambassade d’Israël à Varsovie pour symboliser la restitution des biens juifs.

Car un autre problème posé par la délicate question des restitutions, c’est que les biens immobiliers ayant appartenu à des familles juives exterminées par l’occupant allemand étaient bien souvent en ruine après la guerre et ont été reconstruits par la Pologne communiste.

En outre, la remise en cause des anciennes décisions prises par le régime communiste, souvent en violation de ses propres lois, a conduit à de nombreux abus, avec un grave phénomène de corruption à la clé comme on a pu le voir avec les très nombreuses affaires liées à ces restitutions à Varsovie.

Voir à ce sujet :

Convoqué au ministère des Affaires étrangères comme l’a aussi été la chargée d’affaires israélienne à Varsovie, l’ambassadeur de Pologne en Israël Marek Magierowski a expliqué dans une série de tweets publiés à l’intention des Israéliens les motivations derrière cette nouvelle loi :

« Imaginez une maison à Varsovie. Brûlée et abandonnée en 1945. Avant l’occupation allemande, six familles vivaient à cet endroit. L’une d’entre elles était juive. Certains habitants ont péri, d’autres ont été déportés dans des camps de concentration, d’autres encore ont fui les persécutions. Peu après la guerre, la maison a été nationalisée par les communistes. Deux nouvelles familles ont emménagé. Puis trois autres. Certaines d’entre elles avaient perdu leur propre propriété dans l’est de la Pologne, qui faisait désormais partie de l’Union soviétique. Et elles n’ont jamais reçu de compensation. Naissances, mariages, funérailles. Des vies précaires sous la dictature communiste. Génération après génération. Puis vient la liberté. En 1990, les autorités locales proposent un marché aux habitants encore là : vous pouvez acheter vos appartements à un prix raisonnable. La plupart acceptent avec empressement. Un nouveau système d’égouts est installé. Le toit est réparé, les fenêtres remplacées, le mobilier modernisé. Puis vient une surprise. En 2005, un cabinet d’avocats représentant les propriétaires d’avant-guerre fait soudainement son apparition. Ils exigent que les locaux soient libérés et rendus aux propriétaires légitimes. Beaucoup de demandes similaires, principalement à Varsovie. Certaines d’entre elles sont claires et transparentes. Mais beaucoup d’autres sont pour le moins douteuses. Certains certificats de propriété sont manquants, certains documents sont falsifiés. Un terrain fertile pour des escroqueries immobilières flagrantes. La ‘reprivatisation sauvage’ conduit au chaos le plus total. Des entités de type mafieux contrôlent une grande partie du marché immobilier. La criminalité organisée en col blanc prospère. Après 45 ans de régime communiste et plus de 30 ans de transition démocratique, des personnes qui n’avaient jamais eu rien à voir avec la guerre et la Shoah sont aujourd’hui menacées d’expulsion des biens immobiliers qu’elles ont légalement acquis et dans lesquels elles ont investi. Elles vivent dans la peur et l’insécurité. Des centaines d’affaires en cours et des centaines de familles qui ne savent pas si l’appartement ou la maison qu’elles habitent leur appartient réellement. En 2015, le Tribunal constitutionnel polonais a rendu une décision qui a essentiellement mis fin à ces pratiques prédatrices. Elle est désormais mise en œuvre dans le code de procédure administrative polonais. Un délai de prescription de 30 ans, non discriminatoire, a été imposé. C’est le plus long possible dans le système juridique polonais. Les procédures administratives prendront fin. Néanmoins, toutes les parties intéressées auront toujours le droit d’intenter une action au civil et d’obtenir une indemnisation, dans le cadre d’une procédure équitable devant un tribunal. »

Lors du vote à la Diète, il n’y a pas eu de polémique : le PiS a voté pour, de même que la majeure partie de l’opposition, mise à part la Coalition civique (KO) qui s’est abstenue. Au Sénat, qui est dominé par l’opposition, des modifications pourraient cependant être apportées,

par exemple en préservant la possibilité de continuer d’attaquer les anciennes décisions administratives pour les procédures déjà engagées au moment du vote de la loi, ce qui pourrait être un moyen d’apaiser les tensions avec Israël et aussi avec les organisations juives et avec les États-Unis, qui ont également critiqué cette loi.