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Retour au duel Tusk-Kaczyński? Pas sûr que les Polonais en aient envie…

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – La virulente opposition entre Donald Tusk et les frères Kaczyński, qui durait depuis 2005, était passée au second plan avec le départ de Donald Tusk pour Bruxelles en 2014. Fait inhabituel, Tusk avait abandonné son poste de premier ministre de la République de Pologne pour celui de président du Conseil européen, c’est-à-dire pour une fonction qui ne donne aucun réel pouvoir mais qui est bien mieux rémunérée pour beaucoup moins de responsabilités. D’un salaire de  18 000 zlotys par mois, soit seulement 51 500 €/an au cours de l’époque du zloty, il était en effet passé à une rémunération annuelle totalisant quelque 355 000 €. Mais Donald Tusk n’est aujourd’hui plus que le Président du Parti populaire européen (PPE) à la tête duquel il a pu poursuivre son évolution vers la gauche progressiste et européiste en se spécialisant dans les attaques contre Viktor Orbán et le Fidesz hongrois.

C’est donc en homme de gauche, partisan de toujours plus d’intégration européenne et de sanctions contre son propre pays que cet ancien libéral-conservateur est rentré au pays pour prendre la tête d’une Plateforme civique (Platforma Obywatelska, PO) devenue elle aussi un parti de centre-gauche. Le samedi 3 juillet, il a été nommé président par interim de la Plateforme civique à la place du très terne Borys Budka qui avait présidé à une importante chute de son parti dans les sondages.

La nomination de Tusk a été la conséquence de la démission convenue de Budka de la présidence du parti et aussi de la démission des vice-présidents du parti, dont Ewa Kopacz, celle qui avait succédé à Tusk au poste de premier ministre en 2014-15, après son départ à Bruxelles. Tusk s’est dit prêt à se présenter à une élection interne en bonne et due forme si tel était le souhait de la PO, mais l’on ne sait pas encore si ce sera le cas. Et il s’est immédiatement lancé dans une tournée de Pologne pour mener campagne sur le terrain contre le PiS.

Ses premières propositions en vue de prendre la tête d’une opposition unie contre le PiS se sont toutefois d’emblée heurtées au scepticisme des autres partis d’opposition échaudés par leur participation à la « Coalition européenne » qui les avaient menées à la cuisante défaite des européennes de 2019.

Au moment-même où Donald Tusk reprenait la tête de la PO, coupant court aux ambitions du maire de Varsovie et ancien candidat de la PO à la présidentielle Rafał Trzaskowski, le PiS tenait lui aussi congrès. Son leader Jarosław Kaczyński se faisait réélire triomphalement à la tête du parti et l’on élisait de nouveaux vice-présidents du parti, parmi lesquels le dauphin de Kaczyński, c’est-à-dire le premier ministre Mateusz Morawiecki.

L’un des points au programme de ce congrès du PiS qui a été le plus largement commenté par la presse, c’est l’engagement pris de lutter contre le népotisme au sein du parti Droit et Justice. Un népotisme que Kaczyński a qualifié de faute qu’il importe de corriger rapidement pour ne pas perdre les prochaines élections législatives dans deux ans. On notera aussi que le congrès du PiS se tenait au lendemain de la signature de la déclaration sur l’avenir de l’Europe par Jarosław Kaczyński et 14 autres leaders politiques d’autres pays de l’UE hostiles à la vision européenne de Donald Tusk et de ses amis du PPE et de la gauche.

D’un côté, Donald Tusk a certes pris soin d’assurer qu’il était désormais partisan des principales mesures sociales du PiS. Il a notamment dit que le relèvement de l’âge de la retraite, ensuite abaissé par le PiS, avait été une erreur de sa part, et il a assuré que les allocations familiales introduites par le PiS seraient maintenues. D’un autre côté, il a toutefois immédiatement cherché à renouer avec la politique de mise en opposition du camp du bien, qui serait représenté par les libéraux et la gauche, et le camp du mal incarné par le PiS. Il l’a dit clairement : il est revenu en Pologne pour « combattre le mal ». « Ils ne sont forts que par notre faiblesse. C’est vraiment un groupe de personnes assez grotesques, un peu comme une parodie de dictature », a lancé Tusk à ses partisans au Conseil national de la PO. Et il a encore dit : « Je suis de retour. Aujourd’hui, le mal règne en Pologne. Nous allons sur le terrain pour combattre ce mal. »

Cette stratégie de la division n’est pas nouvelle de la part de Donald Tusk et de son parti, et elle date même de 2005, quand  Tusk a très mal digéré sa défaite à l’élection présidentielle contre Lech Kaczyński, le frère jumeau de Jarosław, qui a trouvé la mort dans la catastrophe de Smolensk en 2010. Ainsi, pendant la campagne pour les législatives anticipées de 2007, provoquées par le fait que la PO refusait désormais toute idée de coalition avec le PiS (alors que c’était le scénario prévu avant les élections législatives de 2005), la Plateforme civique avait mené campagne avec une série d’affiches déclamant différentes caractéristiques attribuées aux gouvernements du PiS (« agression », « haine », « bassesse », « incompétence », etc.) et accompagnées du slogan : « Le PiS gouverne et les Polonais ont honte. »

Comme aujourd’hui, le PiS cherchait alors à convaincre les Polonais que la Plateforme civique avait repris à son compte les réseaux de corruption du parti post-communiste SLD et qu’il fallait y voir les raisons de son agressivité vis-à-vis du PiS, présenté en champion de la lutte contre la corruption (d’où la nécessité de lutter contre le népotisme en son sein aujourd’hui). C’est ainsi qu’un des principaux spots de la campagne du PiS mettait en scène un groupe de mafieux dirigé par un oligarque mettant ses espoirs dans ces élections et affirmant qu’« il faut en finir avec [le ministre de la Justice et procureur général] Ziobro et [le premier ministre] Kaczyński » pour que tout redevienne comme avant. »

Aujourd’hui, Kaczyński est vice-premier ministre et chef du PiS, Ziobro est ministre de la Justice comme à l’époque et Tusk est à nouveau chef de la PO. À eux deux, les deux partis frères ennemis puisant leurs origines dans l’ancien syndicat Solidarité ne totalisent cependant plus que 45-50 % des intentions de vote au maximum, alors qu’ils avaient totalisé près de 75 % des voix aux élections de 2007.

Un commentaire lu dans le média de gauche Krytyka Polityczna reflète assez bien les réactions de nombreux responsables politiques des autres partis : « Tusk est de retour et parie sur une polarisation totale. Comme s’il n’existait que la PO et le PiS ».