Hongrie – Après de longs mois de matraquage médiatico-sanitaire, de « mesures restrictives », de port du masque obligatoire en intérieur et en extérieur, les Hongrois vivent depuis le début du mois de juillet dans une relative normalité — une réalité parallèle pourrait-on dire, lorsqu’on sait que la plupart des pays européens sont au même moment sous la cloche de « mesures sanitaires » hautement problématiques d’un point de vue des libertés.
Les dirigeants hongrois ont parfaitement conscience de la situation d’anomalie dans laquelle se trouve leur pays et savent pertinemment que leur avenir politique dépend principalement de la manière dont ils parviendront à lever cette exception (estivale) hongroise au cours des prochaines semaines.
Cet été aura été marqué par le retour en force de la thématique du lobby LGBT, comme si le gouvernement hongrois entendait revenir à ses classiques et imprimer un tempo politique que l’opposition a toujours peiné à suivre, car cette dernière ne dispose pas de large soutien dans la population sur cette question.
De l’aveu même de personnalités proches du gouvernement, le Covid est synonyme de perte de contrôle du tempo politique, les partis et les médias d’opposition étant sans cesse à la manœuvre pour pousser aux restrictions et prendre en défaut tous ceux qui s’écarteraient de la narration sanitaire.
Ne s’étant jamais réellement dressé contre cette « pression sanitaire », c’est sans surprise que le gouvernement hongrois effectuera sa rentrée de septembre sous le signe de la « quatrième vague », sachant très bien le prix politique que cela est susceptible de représenter, tout en gardant à l’esprit que cette campagne risque d’être jonchée d’attaques politiques aux procédés plus classiques.
Le Covid sans l’aimer
Au beau milieu des trois jours de festivités de la fondation de la Hongrie, qui ont rassemblé environ 700 000 personnes le soir du feu d’artifices sans la moindre « mesure sanitaire », le ministre Gergely Gulyás et le Premier ministre Viktor Orbán se sont exprimés sur la question « sanitaire », affirmant que l’arrivée d’une « quatrième vague » en Hongrie est presque une certitude, et que seule une nouvelle « campagne de vaccination » massive à la rentrée — concernant aussi les 12-15 ans — permettrait d’atténuer les effets.
Si l’on en croit ces annonces officielles, ce n’est pas de bon cœur que le gouvernement irait jusqu’à rendre de nouveau obligatoire le port du masque et à décréter un blocage plus ou moins intense de l’économie. Qu’elles soient sincères ou non, ces positions feront sans aucun doute l’objet d’un travail de sape actif de la part des partis et médias d’oppositions.
Ce qui en revanche est quasiment sûr, c’est que le gouvernement prévoit le retour de la discrimination entre vaccinés et non-vaccinés — pour en faire le principal moteur d’une nouvelle « campagne de vaccination » —, et cette fois-ci peut-être en y englobant des mineurs.
Rappelons que près de deux millions et demi d’adultes hongrois ne sont pas encore vaccinés — de récentes publications sur la distribution géographique des certificats d’immunité permettant d’affirmer que, parmi ces adultes non-vaccinés, au moins un demi-million de personnes sont membres de la communauté tzigane qui peuple les villages les plus pauvres de Hongrie, c’est-à-dire d’une frange de la population habituellement moins mobilisable électoralement et qu’une nouvelle mouture du « Covid numérique et juridique » (passe sanitaire) ne risque pas d’impacter, étant donné le mode de vie de cette population.
Il n’en reste pas moins que même suite à la (très probable) mise en place du « Covid numérique et juridique », il restera toujours dans la population hongroise un noyau dur de plusieurs centaines de milliers de personnes pouvant former le principal danger politique pour la coalition Fidesz-KDNP au pouvoir.
Or le système électoral hongrois et l’union de l’opposition derrière un seul candidat font que la majorité actuelle ne peut se payer le luxe de perdre autant d’électeurs. En clair : si l’opposition parvient à mener son jeu d’alliances à bout et si le réservoir des électeurs de la majorité perd de son volume, le chemin de crête vers la victoire en avril 2022 risque d’être étroit pour le gouvernement.
À ce stade, une hypothèse a priori rassurante pour le gouvernement doit cependant être mentionnée : le nombre de vaccinés (5 693 214) correspond presque au nombre de suffrages exprimés aux élections de 2018 (5 796 000).
Étant donné les éléments dont nous disposons en matière de distribution géographique de la vaccination, il semblerait qu’il y ait, du moins jusqu’en août 2021, une forte corrélation entre le refus de la vaccination et le refus de prendre part à un scrutin électoral,
du moins à celui de 2018, le gouvernement n’aurait ainsi pas nécessairement besoin des voix de ces récalcitrants, qui ne risquent pas de porter sur l’opposition.
En revanche, si le gouvernement va plus loin que le « Covid numérique et juridique » — que des sources proches du gouvernement prévoient pour la mi-septembre —, le bataillon des électeurs Fidesz-KDNP (2 824 206 voix en 2018) risque de s’amenuiser.
Il faut ici évoquer l’éventualité du retour de mesures potentiellement catastrophiques pour l’économie et la monnaie hongroises, et un passage en force de la vaccination des enfants avant l’échéance électorale de 2022. Sur ces deux points, la coalition gouvernementale s’expose à de réels dangers politiques.
Certes, ce danger pour le gouvernement peut être relativisé dans la mesure où de telles mesures pourraient aussi frapper la base électorale du Jobbik (1 092 669 voix en 2018), et plus marginalement celle des partis de gauche libérale. En effet, pour prendre le pouvoir en 2022, l’opposition ne peut faire l’impasse sur l’intégration totale du Jobbik à son dispositif électoral — ce parti « retourné » dont le président, Péter Jakab, touche avec beaucoup de talent les couches provinciales et prolétaires de la population hongroise, donc des franges relativement réticentes à la vaccination, et encore plus à celle de leurs enfants, chose à laquelle le Jobbik ne peut a priori pas s’opposer dans le cadre de l’opposition unie.
« Ce n’est que le début »
Force est de constater que l’angle adopté (alliant les thématiques de la corruption et de l’État de droit) depuis plusieurs années par l’opposition pour attaquer le gouvernement ne fonctionne pas.
Concernant la corruption (et plus largement tout ce qui mêle argent et politique) : son utilisation dans le cadre de campagnes médiatico-politiques participe d’un registre bien trop abstrait pour l’écrasante majorité de la population. Ces campagnes mettent en mouvement des visages et des montants avec lesquels les électeurs n’ont aucun contact, ces derniers ayant simplement le sentiment d’être en face d’une sphère à laquelle ils n’appartiennent pas. Le brassage de milliards de forints est quelque chose d’abstrait pour eux, alors que le sentiment selon lequel ce n’est pas seulement la majorité qui appartient à cette sphère, mais aussi nombre de cadres de l’opposition, est très concret.
Pour ce qui est de la thématique de l’État de droit, le constat d’échec est encore plus cuisant. En effet, rien de plus abstrait que cette notion pour les électeurs hongrois. Inefficace depuis plusieurs années, l’accusation de violation de l’État de droit prend, à l’époque du passe sanitaire — à propos duquel le Momentum, champion de la défense de l’État de droit et allié de la République en marche au Parlement européen, n’a rien à redire —, une tournure comique. C’est ce que l’avocat et ancien chef de file du LMP, András Schiffer, que l’on ne peut soupçonner de ne pas être covido-compatible et encore moins d’être complotiste, vient de rappeler dans un article en date du 18 août.
L’opposition et ses relais médiatiques ont d’ailleurs parfaitement compris qu’il fallait être plus concret pour éreinter la tranquille assise politique dont la majorité gouvernementale jouit depuis plus de dix ans.
Ce déclic s’est très nettement produit avec les affaires Borkai et Szájer, à l’occasion desquelles certains acteurs de l’opposition ont laissé entendre que ces affaires n’étaient qu’à leur début.
Que l’on ne s’y méprenne pas : les Hongrois, même ceux que l’ont qualifie un peu abusivement d’ « électeurs conservateurs », ne sont pas connus pour construire leur choix politique sur des affaires mettant en scène des adultes volages et consentants. Nous l’avons déjà rappelé à de nombreuses reprises dans ces colonnes : contrairement aux fantasmes occidentaux sur l’Europe centrale, la Hongrie est un pays dont l’écrasante majorité de la population est très libérale sur les « questions de mœurs ».
Mais, surtout au vu de ce que peut provoquer une saison automne/hiver allant plus loin qu’un simple « Covid numérique et juridique »,
une accumulation d’affaires risque de pousser le gouvernement à la faute.
Cette décennie de coalition Fidesz-KDNP nous a appris que le Premier ministre et ses quelques hommes à la manœuvre sont très performants lorsqu’ils sont en mouvement, et quand ils ont la main pour imposer ce mouvement au petit théâtre politique hongrois. Sur la défensive, leur performance s’est à plusieurs reprises révélée assez médiocres. C’est pourquoi les mois à venir, qui seront sans doute les plus concentrés en attaques — à plusieurs niveaux — contre le gouvernement depuis 2010, risquent d’être terriblement rudes pour le majorité Fidesz-KDNP.
N’ayant jamais eu la main sur le Covid, le gouvernement risque encore plus de se trouver dans de beaux draps et de perdre totalement le contrôle du tempo politique si les Szájer venaient à se multiplier.
En ce sens, les bouchées doubles mises sur la question LGBT (loi controversée votée au début de l’été et référendum à venir) pourraient déboucher sur un terrain très glissant pour le gouvernement.
En effet, les railleries et les rires sous cape se font de plus en plus prononcés dans les rangs de l’opposition, et il est fort probable que les mois à venir seront rythmés par la révélation de l’homosexualité de certains membres ou proches du Fidesz et du KDNP — Péter Márki-Zay, candidat à la primaire de l’opposition unie, étant même allé jusqu’à évoquer un membre de la famille de la tête du gouvernement, Viktor Orbán.
Peut-être le gouvernement a-t-il d’ailleurs prévu ces révélations, et compte s’en sortir en expliquant que sa politique n’est pas anti-homosexuelle mais anti-LGBT, une distinction à laquelle adhère la majorité des électeurs du Fidesz-KDNP. Mais il est peu probable que la conséquence de ce genre d’attaques puisse déboucher sur une clarification de la position du gouvernement sur la question de l’homosexualité et du lobby LGBT. Une multiplication de ces attaques — surtout si elles visent des régions proches de la tête du gouvernement — entrainerait bien plutôt
un cirque médiatique national et international dans lequel la coalition gouvernementale risque de perdre les pédales, d’engranger les fautes et de se frotter à la sortie.
Rien n’est jamais sûr en politique, mais l’accumulation et la potentielle simultanéité des éléments susmentionnés pourraient mettre le gouvernement hongrois devant des épreuves d’une intensité jusque-là ignorée.