Pour la Cour constitutionnelle hongroise, les autorités nationales doivent compenser l’inaction de l’UE en matière d’immigration
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Contrairement aux jugements récents rendus par les cours constitutionnelles en Pologne et en Roumanie, le jugement du 10 décembre 2021 de la Cour constitutionnelle hongroise concernant l’arrêt du 17 décembre 2020 de la Cour de Justice de l’UE ne réaffirme pas directement la primauté de la constitution ou du droit hongrois sur le droit européen ou sur la jurisprudence de la CJUE. En effet, ainsi qu’il est dit dans l’exposé du jugement, l’interprétation de la Loi fondamentale hongroise demandée par le gouvernement de Viktor Orbán à propos des politiques d’immigration « ne s’étend pas à l’examen de la primauté du droit de l’UE ».
Rien à voir, donc, avec le jugement du Tribunal constitutionnel polonais qui a mis en fureur les élites bruxelloises en octobre dernier. Le jugement polonais portait cependant, comme les jugements similaires de la Cour constitutionnelle de Roumanie de juin et décembre derniers, sur une compétence exclusive des États membres : l’organisation et le fonctionnement de la justice.
Ces deux cours constitutionnelles se sont donc opposées frontalement au putsch judiciaire tenté par la CJUE avec le soutien de la Commission européenne et du Parlement européen dans le but d’élargir les compétences de l’UE et transformer la nature de cette organisation supranationale sans passer par un nouveau traité.
Le jugement hongrois porte en revanche sur une compétence partagée : les politiques en matière d’immigration. Mais dans ce domaine aussi, il apporte une réponse à l’activisme judiciaire des juges militants de Luxembourg en énonçant quelques principes généraux qui permettent aujourd’hui au gouvernement hongrois de dire qu’il n’appliquera pas les arrêts de la CJUE s’opposant à une lutte efficace contre l’immigration illégale.
La Cour constitutionnelle hongroise a en effet affirmé dans son jugement du 10 décembre dernier que « lorsque l’exercice de la compétence partagée par les institutions de l’Union européenne est incomplet, la Hongrie est en droit, conformément à la présomption de souveraineté retenue, d’exercer la compétence non exclusive de l’Union en question jusqu’à ce que les institutions de l’Union européenne prennent les mesures nécessaires à l’exercice effectif de la compétence partagée ». Il est aussi dit dans cette décision des juges constitutionnels hongrois que « lorsque le défaut d’exercice commun des compétences entraîne des conséquences susceptibles de porter atteinte au droit des personnes vivant sur le territoire de la Hongrie à leur propre identité, l’État hongrois est tenu, dans le cadre de son devoir de protection des institutions, d’assurer la protection de ce droit » et que « la protection du droit inaliénable de déterminer l’unité territoriale, la population, la forme de gouvernement et l’organisation de l’État de Hongrie fait partie de l’identité constitutionnelle ».
Ainsi, si l’UE s’abstient d’agir contre l’immigration illégale, y compris à cause de la jurisprudence de la CJUE, les autorités hongroises ont le devoir de pallier aux carences européennes par le biais des politiques nationales. Et ce d’autant plus que la Cour constitutionnelle hongroise, dans son jugement du 10 décembre, estime que le droit des personnes à leur identité nationale fait partie des droits fondamentaux. Plus précisément, elle affirme que « l’environnement social traditionnel d’une personne fait partie de son identité et que l’État a le devoir de s’assurer que les changements survenant dans cet environnement social ne constituent pas une violation des éléments constitutifs de son identité ». En outre, pour la Cour constitutionnelle hongroise, « l’exercice de pouvoirs conjoints par le biais des institutions de l’Union européenne ne peut conduire à un niveau de protection des droits fondamentaux inférieur à celui requis par la Loi fondamentale »,
ce qui est malgré tout une manière de réaffirmer la primauté de la constitution hongroise de 2011 sur le droit européen quand le droit européen ne permet pas de défendre les citoyens contre l’immigration de masse.
Dans son arrêt du 17 décembre 2020 à l’origine de la saisine de la Cour constitutionnelle hongroise par le gouvernement de Viktor Orbán, la CJUE avait, à la demande de la Commission européenne, condamné la Hongrie pour avoir violé plusieurs directives européennes : la directive « retour » censée interdire les refoulements « à chaud » à la frontière, la politique « accueil » qui limite fortement la possibilité de retenir les demandeurs d’asile dans des centres fermés et la directive « procédures » qui réglemente l’examen des demandes d’asile. Cet arrêt faisait suite à un autre arrêt de la CJUE de mai 2020 qui avait contraint la Hongrie à fermer ses « zones de transit » de Röszke et de Tompa à la frontière avec la Serbie. Dans ces centres fermés, les demandeurs d’asile étaient maintenus jusqu’à la décision les concernant. En attendant cette décision, ils n’avaient le droit de quitter le centre pour migrants que pour retourner en Serbie, ce qui évitait aux Hongrois des situations comme celles observées depuis des années à Calais, en France, ou à Vintimille, en Italie, pour ne citer que ces deux exemples.
Faute de pouvoir maintenir les demandeurs d’asile dans des centres fermés, les autorités hongroises ont supprimé en 2020 la possibilité de demander l’asile depuis la Hongrie, un demandeur d’asile devant désormais s’adresser à un consulat hongrois en territoire étranger pour déposer une telle demande. Cette évolution n’a donc fait que renforcer la pratique des refoulements à chaud à la frontière.
Or, dans sa décision du 17 décembre 2020, la CJUE affirme un principe européen du non-refoulement et rejette l’argument de la Hongrie selon lequel la crise migratoire aurait justifié de déroger à certaines règles des directives « procédures » et « accueil », en vue de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité intérieure, et ce malgré l’afflux massif de migrants depuis 2015 et même la présence avérée de terroristes islamiques parmi ces immigrants illégaux.
Il est intéressant à cet égard de constater qu’en prétendant interdire les refoulements à la frontière, la CJUE, qui rend ainsi illusoire la protection des frontières extérieures de l’Union européenne, va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Outre le fait que la CEDH avait, elle, validé le principe des zones de transit hongroises dans un jugement de novembre 2019, elle avait aussi reconnu, dans un jugement de février 2020 concernant l’Espagne, que les refoulements à chaud des immigrants cherchant à forcer, depuis le Maroc, le passage de la frontière à Ceuta et Melilla n’était pas contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle espagnole a elle aussi validé en novembre 2020 cette pratique mise en œuvre depuis des années par les gouvernements successifs pour défendre des clôtures frontalières de Ceuta et Melilla mises en place bien avant la clôture hongroise érigée à partir de 2015 à la frontière avec la Serbie.
Le 21 décembre dernier, le premier ministre hongrois Viktor Orbán déclarait donc que, à la suite du jugement du 10 décembre de la Cour constitutionnelle hongroise, son gouvernement ne changerait pas la manière dont il protège sa partie de la frontière extérieure de l’espace Schengen et ne satisferait pas aux exigences de la Cour de Justice de l’Union européenne dans ce domaine.
Les 27 ne peuvent que s’en réjouir tandis que la Hongrie s’expose, elle, à de fortes amendes que la Commission européenne ne manquera pas de demander à la CJUE.