Skip to content Skip to sidebar Skip to footer

Le Conseil médical du gouvernement polonais démissionne face au « laxisme » contre la pandémie

Temps de lecture : 6 minutes

Pologne – Vendredi, une partie de la droite polonaise, y compris au PiS, applaudissait la démission de 13 des 17 membres du Conseil médical chargé depuis novembre 2020 de conseiller le Premier ministre Mateusz Morawiecki pour la lutte contre la pandémie de Covid-19. Le camp gouvernemental reste en effet divisé sur la bonne politique à suivre, entre ceux qui, à l’instar du ministre de la Santé, voudraient une forme de ségrégation vaccinale pour « emmerder les non-vaccinés » comme le fait le Président français, et ceux qui estiment que la liberté de se faire vacciner ou non doit être respectée et qu’il serait contraire à la Constitution et aux principes de la démocratie et de l’État de droit d’instaurer une forme quelconque de discrimination contre des gens qui, après tout, ne sont pas en infraction avec la loi.

La seule discrimination mise en place à ce jour en Pologne tient au fait que les limites de nombres de personnes dans les lieux publics, dans le cadre de la lutte contre la pandémie, ne concernent que les personnes non vaccinées. En tout cas en théorie, car aucune loi n’a été votée qui permettraient aux gestionnaires de ces lieux publics d’exiger la présentation d’une preuve de vaccination et d’identité, et dans la pratique ces limites sont mal respectées.

Le Conseil médical du Premier ministre était composé exclusivement de médecins, mais était critiqué pour sa mauvaise représentativité en termes de spécialités. Il s’agissait en effet principalement de médecins hospitaliers qui n’avaient du Covid que l’expérience des patients arrivant dans un état grave, d’où sans doute la recommandation, très critiquée par un certain nombre de médecins de ville, généralistes ou spécialistes, de recourir massivement à partir du printemps 2020 aux consultations à distance et de ne préconiser aux personnes avec un Covid symptomatique non hospitalisées que du paracétamol, à l’exclusion de tout médicament antiviral et de tout antibiotique même en cas de soupçon de surinfection bactérienne. L’autre reproche qui était fait à ce conseil, c’était son focus sur le tout-vaccin, à l’exclusion des traitements, et les interventions souvent agressives, voire haineuses de certains de ses membres, et en particulier de son président, le professeur Andrzej Horban, qui est même allé une fois jusqu’à dire que, quand il voyait une personne non vaccinée, il avait son « couteau qui s’ouvrait dans la poche », ce qui est une expression polonaise pour dire qu’il avait envie de la tuer. Plusieurs membres de ce Conseil médical étaient par ailleurs accusés d’avoir des liens avec l’industrie pharmaceutique et d’être de ce fait en situation de conflit d’intérêts.

Le 10 janvier, ce même Conseil médical causait la polémique avec un communiqué appelant le gouvernement à licencier toute personne exerçant une charge publique qui remettrait en cause l’efficacité de la vaccination contre le Covid.

Les éminents professeurs de médecine réagissaient alors à la polémique soulevée par la rectrice de Cracovie, qui supervise les écoles de la voïvodie de Petite-Pologne. Cette dernière avait déclaré à la radio qu’elle était contre une éventuelle obligation de vaccin pour les enseignants à la fois parce qu’une personne adulte et libre doit pouvoir prendre seule la décision de se faire vacciner ou non et parce que l’on ne connaît pas encore les effets potentiels à long terme de ces vaccins qu’elle a qualifiés d’expérimentaux. C’était le 7 janvier et cela lui a valu une réaction brutale du ministre de la Santé Adam Niedzielski qui a affirmé condamner « tous les signes d’absence de raison » et qui a appelé à la démission de la rectrice Barbara Nowak.

Le ministre de l’Éducation a emboîté le pas à son collègue en condamnant, en des termes certes moins méprisants, les propos de cette rectrice qu’il avait soutenue dans le passé pour ses interventions courageuses contre la venue de militants LGBT dans les écoles de son académie et contre la propagation de l’idéologie du genre en milieu scolaire, mais le gouvernement a finalement décidé de la laisser en place après plusieurs lettres de soutien en sa faveur et aussi après qu’elle fut en partie revenue sur ses propos en déclarant publiquement que, en tant qu’historienne, elle n’aurait pas dû donner son avis sur des questions médicales. Le ministre de l’Éducation Przemysław Czarnek s’est par ailleurs dit lui aussi hostile à l’obligation vaccinale pour les enseignants, mais uniquement parce que, déjà en manque d’enseignants, l’Éducation nationale ne peut pas se permettre de voir partir ceux qui refuseraient catégoriquement de se faire administrer le vaccin contre le Covid-19.

Un Conseil médical comparé à un Conseil des gardiens de la révolution

Dans son « opinion » du 10 janvier, le Conseil médical du Premier ministre estimait que « le déni par des personnes exerçant une fonction publique de la valeur de la vaccination contre le Covid-19 est inacceptable et devrait entraîner la perte de leur poste ». Cela lui a valu une pluie de critiques, dont celle du président de l’Institut Ordo Iuris, une organisation d’avocats et de juristes conservateurs, qui a écrit dans un tweet : « Je me permets de rappeler que la liberté d’expression est une valeur démocratique car elle permet de contester – ou de confirmer – différentes thèses dans un débat libre en confrontant différents arguments. La vérité se défendra mieux de cette façon que par la censure. Le Conseil médical n’est pas un Conseil des gardiens de la révolution ».

Le Conseil médical du Premier ministre s’était prononcé en faveur de la vaccination obligatoire pour les professions de santé. Il avait donné cette recommandation en juillet dernier, et le gouvernement de Mateusz Morawiecki avait fini par l’écouter, cette obligation devant entrer en vigueur en mars.

Ce retard par rapport aux recommandations semble avoir déplu aux membres démissionnaires de ce Conseil, de même que l’absence de mise en œuvre de ses recommandations en faveur de l’introduction d’un passe sanitaire et d’autres mesures restrictives des libertés. Pour le professeur Simon, qui compte parmi les membres démissionnaires, « Les recommandations étaient bloquées par la ‘Droite unie’ [la coalition conduite par le PiS, ndlr] ultra-conservatrice, c’est-à-dire l’arrière-ban du Premier ministre et du ministre de la Santé, ce qui a entraîné une catastrophe de 500 à 700 décès par jour. »

Les critiques de ce Conseil médical et des politiques du gouvernement, aussi bien au sein du PiS que dans les rangs du groupe d’opposition de droite Konfederacja, réunissant nationalistes et libertariens, font toutefois valoir que ce sont les recommandations de ce Conseil qui ont été suivies – en particulier la médecine à distance et l’annulation des visites et interventions médicales non liées au Covid, ainsi que le refus de soigner les patients chez eux autrement qu’avec du paracétamol – qui ont été à l’origine de la majeure partie des décès, aussi bien classés Covid que non-Covid, la surmortalité observée en 2020 et 2021 dépassant largement les seuls décès attribués au Covid-19. L’opposition libérale et de gauche, en revanche, s’est rangée du côté des arguments du Conseil médical et reproche au gouvernement de ne pas avoir suivi toutes ses recommandations en faveur des confinements, du passe sanitaire et d’autres restrictions.

Le 17 janvier, le ministre de la Santé Adam Niedzielski annonçait la formation prochaine d’un nouveau conseil qui comprendrait également des représentants de professions non médicales, comme des sociologues et des économistes, afin de prendre en compte les différents aspects de la lutte contre la pandémie. Le ministre répétait toutefois que le projet de loi prévoyant de permettre aux employeurs de connaître le statut vaccinal de leurs salariés restait pour lui un outil essentiel de la lutte contre la pandémie, même s’il semble toujours incapable d’expliquer en quoi cela pourrait être utile – à part pour « emmerder les non-vaccinés » – alors qu’il est avéré que les vaccins actuels contre le Covid n’arrêtent pas la propagation du virus et en particulier la propagation du variant Omicron, comme le démontrent d’ailleurs les chiffres records de nouveaux cas dans les pays à fort taux de vaccination et ayant mis en place une ségrégation sanitaire depuis plusieurs mois, comme la France et l’Italie.

À la tête de la fronde interne au PiS contre les restrictions sanitaires, la députée Anna Siarkowska a été reçue la semaine dernière par le Premier ministre et par le président du PiS Jarosław Kaczyński, ce qui lui a permis d’exposer les arguments contre ce projet de loi. Elle estime avoir été écoutée attentivement mais ne pense pas avoir fait changer d’avis les deux responsables politiques.

Siarkowska met toutefois en garde contre la crise politique que provoquerait l’adoption d’une loi de ce type autorisant une forme de ségrégation sanitaire. Selon une information divulguée le 18 janvier par la radio RMF FM, le ministre de la Santé Adam Niedzielski aurait de son côté mis sa démission dans la balance si ce projet de loi, dont on parle en Pologne depuis l’été dernier, n’était pas adopté rapidement. Ce projet avait été approuvé par la Commission de la santé de la Diète, mais a ensuite été retiré de l’ordre du jour de la séance plénière du 13 janvier.

Pour l’économiste Sławomir Mentzen, un des leaders de Konfederacja, si Niedzielski fait dépendre son avenir au sein du gouvernement de l’adoption de la loi permettant aux employeurs de connaître le statut vaccinal de leurs salariés, c’est « l’occasion idéale de se débarrasser de deux malheurs à la fois ».

Ségrégation sanitaire en perspective dans les entreprises

Cependant, le 18 janvier le gouvernement polonais a choisi de réaffirmer son soutien au projet de loi permettant aux employeurs de connaître le statut vaccinal de leurs salariés, au prétexte que cela permettrait d’assurer des conditions de travail sûres sur le plan de la pandémie. Un employeur pourra aussi, si ce projet est adopté en l’état, exiger qu’un employé se fasse tester régulièrement s’il n’est pas vacciné ou bien encore de lui demander de travailler à distance ou l’affecter à d’autres tâches. En outre, selon ce projet de loi, une entreprise qui n’emploiera que des salariés vaccinés ne sera pas soumise aux éventuelles restrictions.

Si le gouvernement Morawiecki peut compter sur le soutien d’une large partie de l’opposition libérale et de gauche pour de telles discriminations à l’égard des personnes non-vaccinées, cela risque de mettre à rude épreuve sa fragile majorité parlementaire.