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Le maréchal Józef Piłsudski et la guerre polono-bolchevique vus par la presse hongroise

Temps de lecture : 4 minutes

Pologne – Le Marechal Józef Piłsudski fait incontestablement partie des plus grandes figures de l’histoire polonaise du XXe siècle. Ce leader militaire charismatique fut l’homme fort de l’État polonais durant l’entre-deux guerres. Bien que l’héritage de son œuvre demeure controversé à cause de sa dérive autoritaire de 1926, le natif de Vilnius reste considéré comme l’un des pères de l’indépendance polonaise recouvrée en 1918, et surtout sauvée deux ans plus tard face à la menace bolchevique.

Le porte-drapeau de la liberté polonaise

Le personnage de Józef Piłsudski a rapidement été mythologisé. La légende l’entourant était déjà bien répandue avant même le début de la Première Guerre mondiale. Ce « mâle alpha » de la scène politico-militaire polonaise jouissait par ailleurs d’une réputation de génie stratégique parmi les autres dirigeants centre-européens. Les opinions positives à son sujet pouvaient tout particulièrement être observées en Hongrie.

Dès l’entame de la Grande Guerre, une série d’articles parait dans la presse hongroise au sujet de Józef Piłsudski. En décembre 1914, le journal libéral-bourgeois Pesti Napló évoquait son « héroïque légion polonaise » combattant l’Empire russe au côté des forces austro-hongroises.

En septembre 1916, le journal conservateur Budapesti Hírlap a publié un entretien avec Artur Śliwiński, le vice-président du conseil municipal de Varsovie et proche collaborateur de Piłsudski. Au cours de cette discussion, Śliwiński expliquait que les Polonais attendent du « fondateur des légions » et du « héros national » Piłsudski qu’il prenne en charge l’organisation de l’armée polonaise face à la Russie.

Le pire cauchemar des Bolcheviques

Une fois la Grande Guerre terminée, ce fut au tour du conflit opposant la Pologne à la Russie soviétique entre 1919 et 1921 d’attirer l’attention de la presse hongroise. Le Budapesti Hírlap conservateur, le Pesti Hírlap libéral ainsi que Népszava social-démocrate informaient régulièrement les Hongrois de l’évolution de la situation sur le front.

Le 25 avril 1919, ces trois journaux publièrent des articles au sujet de l’entrée victorieuse de l’armée polonaise dans la ville de Kiev occupée par les Bolcheviques. Le 19 mai, le Budapesti Hírlap informait ses lecteurs de « l’accueil enthousiaste et chaleureux » du Maréchal Piłsudski par la population polonaise à son retour à Varsovie. Quelques jours plus tard, c’était au tour de Pesti Hírlap de citer des passages clés d’un récent entretien de Piłsudski accordé au Daily Mail. Dans ce dernier, le chef de l’armée polonaise y évoquait le fait que « l’Armée Rouge est mal organisée et que [ses] soldats se battent très mal ».

Certains journaux hongrois possédaient même leurs propres correspondants à Varsovie. Curieusement, les journaux magyars n’informaient pas leurs lecteurs des importantes livraisons de munitions réalisées par le gouvernement de Budapest à destination de la Pologne.

Un anticommunisme largement partagé

Au début du mois d’août 1920, l’avancée de l’Armée Rouge en direction de Varsovie devient de plus en plus menaçante. Il est intéressant de remarquer qu’au sein de la presse hongroise, la perspective d’un triomphe de la Russie bolchevique au bord de la Vistule allait de pair avec de sérieuses inquiétudes. Des journaux de toutes orientations politiques appréhendaient une telle tournure des événements et ses conséquences pour l’Europe centrale.

À titre d’exemple, le journal conservateur Nemzeti Újság parlait du « combat des Polonais contre l’inondation rouge ». À la mi-août, au moment des batailles décisives aux alentours de Varsovie, le Pesti Hírlap parlait de lutte « à la vie à la mort » de l’armée polonaise ainsi que du « combat héroïque de la nation polonaise » face au « danger russe ».  De son côté, le 8 Órai Újság ira encore plus loin en évoquant « la menace russe […] qui tel un nuage noir, recouvre la soleil de la civilisation ».

Le triomphe du Maréchal Piłsudski

Contre toute attente, les forces polonaises (notamment grâce à la précieuse aide en munitions en provenance de Hongrie) repoussèrent les troupes de Toukhatchevski. La Bataille de Varsovie du 15 août 1920 fut rapidement suivie d’une contre-attaque polonaise. C’est à partir de ce moment que les journaux hongrois ont commencé à insister sur les mérites du Maréchal Piłsudksi et de son rôle clé dans cette victoire. L’un des journaux conservateurs magyars vantait ses mérites comme celui qui avait stoppé « la vague destructrice bolchevique ».

Le 19 août, le 8 Órai Ujság écrivait que « les Russes s’enfuient devant Piłsudski ». Au lendemain de la victoire polonaise, le Budapesti Hírlap expliquait à ses lecteurs que « l’offensive en direction du Nord avance triomphalement sous le commandement personnel du Maréchal Piłsudski […] et que la menace rouge représente une menace de moins en moins importante pour l’Europe ».

Le 26 août, le correspondant à Varsovie du Pesti Hírlap, Jenő Benda, décrivit les événements comme suit : « Les habitants des territoires libérés accueillent l’armée polonaise avec les larmes aux yeux ».

Une victoire pour la Pologne mais pas seulement

« Les Polonais ont rompu le front rouge ». « L’Armée rouge russe s’enfuit » . « Les Polonais chassent les Russes de partout ». Ce ne sont que quelques exemples des titres que les Hongrois pouvaient lire dans les journaux de la fin de l’été 1920. À cette époque, le Budapesti Hírlap écrivait : « Les Polonais, en risquant leur vie et en faisant couler leur propre sang, ont cette fois-ci eux-mêmes défendu leur pays, ce qui à une immense valeur morale. L’État obtenu en cadeau [au lendemain de la Grande Guerre] et la liberté étaient construits sur du sable ».

Peu de temps après la victoire polonaise, le Nemzeti Újság revenait sur la période précédant le conflit: « Pendant de nombreuses semaines, la nation hongroise observait les événements sur le front polono-russe en retenant son souffle […] Les exemples d’une telle solidarité entre deux nations sont rares […]  ». L’auteur anonyme de ces mots insiste également sur le fait que la nation hongroise était de tout cœur avec la Pologne pas tant par peur du bolchevisme (bien qu’elle en ait fait l’expérience dès 1919 sous Béla Kun) mais plutôt par un authentique sentiment d’amitié envers la nation polonaise.

En effet, l’amitié polono-hongroise à cela de particulier qu’elle a souvent dépassé le pragmatisme et la rationalité la plus terre à terre qui caractérise généralement les relations entre deux nations. Il faut ici souligner que l’aide massive apportée par la Hongrie à la Pologne en 1920 fut organisée dans un contexte dramatique. De fait, la Hongrie venait de se faire amputer de la majorité de son territoire et de sa population en faveur de ses voisins par le biais du Traité de Trianon. Pourtant, les autorités magyares décidèrent malgré tout d’envoyer des munitions par milliers à l’armée polonaise sans lesquelles la Bataille du Niémen n’aurait pu être remportée.

Enfin, il est important de souligner que la victoire de la Pologne sur les forces de l’Armée rouge ne se limitait pas à une guerre entre deux nations voisines. Le triomphe du Maréchal Piłsudski et de ses hommes aura permis de retarder de deux décennies la soumission de toute la partie centre-orientale de l’Europe aux Soviétiques.