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Allemagne/Pologne : Varsovie ravive la question des minorités

Temps de lecture : 4 minutes

Allemagne/Pologne –  C’est une question peu connue hors de Pologne en général. La Pologne revendique la reconnaissance par l’Allemagne de la minorité polonaise, une revendication essentiellement appuyée au niveau politique par le PiS et les nationaux-conservateurs de Konfederacja. Tandis que Berlin fait la sourde oreille sur cette question, le gouvernement polonais vient de prendre les choses en main.

Plus qu’une heure d’allemand par semaine pour les enfants de la minorité allemande 

C’est ainsi que le ministre polonais de l’Éducation, Przemysław Czarnek (PiS), vient de décider – unilatéralement –, ce vendredi 4 février, de réduire de trois à une heure par semaine l’enseignement de l’allemand destiné aux enfants de la minorité allemande de Pologne – essentiellement en Haute-Silésie (voïvodies d’Opole et de Silésie) mais aussi dans le sud de l’ancienne Prusse orientale (voïvodie de Varmie-Mazurie). Avec les budgets ainsi économisés, M. Czarnek entend promouvoir l’enseignement de la langue polonaise pour les enfants de la diaspora polonaise en Allemagne – que Berlin refuse de fait de reconnaître comme minorité nationale, ce que la droite polonaise considère comme une discrimination.

L’Allemagne ne reconnaît pas la diaspora polonaise comme une minorité 

Le député Janusz Kowalski (Solidarna Polska) , qui est très engagé sur cette question, s’est félicité de cette décision sur Twitter :

« Nous restaurons la symétrie entre la Pologne et l’Allemagne ! Nous réduisons le nombre de leçons pour la minorité allemande de 3 à 1 heure par semaine, et allouons 30 millions de PLN à l’enseignement de la langue maternelle polonaise en Allemagne, qui ne dépense pas un seul euro à cette fin. Plus de discrimination contre les Polonais en Allemagne ! »

Protestation de la minorité allemande 

Les représentants de la minorité allemande ont fermement condamné cette mesure et lancé une pétition de protestation avec le soutien de l’opposition (PO), tandis que le commissaire polonais aux Droits de l’Homme, Marcin Wiącek, a estimé que cette décision des autorités polonaises pourrait violer la Convention-cadre du Conseil de l’Europe et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ainsi que la constitution polonaise dont l’article 35 garantit « aux minorités nationales ou ethniques la liberté de conserver et de développer leur propre langue » :

« Je ne peux pas accepter que la réduction des dépenses se fasse au détriment de communautés ou de groupes qui sont souvent marginalisés dans diverses sphères de la vie sociale ou culturelle,

et que les institutions de l’État sont particulièrement obligées de soutenir », a-t-il écrit au Premier ministre Mateusz Morawiecki.

Une discrimination sans équivoque selon le SPD allemand

De son côté, l’ambassade d’Allemagne en Pologne a rappelé que 5000 enfants d’origine polonaise recevaient actuellement des cours de polonais en Rhénanie du Nord-Westphalie, tandis que le Parti social-démocrate allemand (SPD) – le parti du chancelier Olaf Scholz – a qualifié cette décision des autorités polonaises de

« discrimination sans équivoque » destinée à « marquer des points en politique intérieure au moyen d’une rhétorique anti-allemande ». 

Le président de la Société socioculturelle des Allemands d’Opole, Rafał Bartek, affirmait que

« la discrimination de la minorité allemande en Pologne est devenue un fait ».

Dans un communiqué de son organisation, on peut lire notamment que « malgré de nombreuses actions entreprises par les dirigeants de la minorité allemande, ainsi que par les parents et les enseignants, malgré de nombreuses protestations, réunions et discussions,

le gouvernement polonais a décidé d’introduire une solution qui discrimine ouvertement une minorité nationale, la minorité allemande ». 

La minorité allemande de Pologne est forte de 148 000 personnes (selon le recensement de 2011), 43 000 citoyens polonais s’étant déclarés de nationalité (ethnie) allemande uniquement et 103 000 ayant également déclaré une autre nationalité, dont la polonaise. Parallèlement, les organisations représentant la minorité allemande revendiquent 182 000 membres (chiffres de 2008), tandis que l’ambassade d’Allemagne estime la minorité allemande entre 300 et 350 000 personnes. Ces personnes sont les descendants de la population autochtone des anciennes provinces prussiennes de Silésie, Brandebourg oriental, Poméranie et sud de la Prusse orientale attribuées à la Pologne à la fin de la Seconde Guerre mondiale – la grande majorité des habitants de ces provinces (environ 9 millions d’habitants selon le recensement de 1939) ayant été expulsés dans l’immédiat après-guerre, notamment pour permettre l’installation de Polonais eux-mêmes expulsés des provinces orientales de la Pologne d’avant-guerre qui, elles, devenaient soviétiques (Lituanie, Biélorussie et Ukraine). Les Silésiens « de souche » – vivant aujourd’hui essentiellement en Allemagne – étaient les descendants de tribus germaniques installées dans la région avant le Ve siècle, de Slaves germanisés à partir du XVIe siècle, lorsque la province devint autrichienne (1526), et de colons allemands qui s’y installèrent à partir de cette époque. La Silésie devint une province prussienne en 1742. Les Prussiens orientaux étaient les descendants des anciens Prussiens – des Baltes germanisés sous la domination de l’Ordre teutonique (1230-1561) – et de colons allemands installés depuis le Moyen âge.

La diaspora (ou minorité) polonaise en Allemagne est forte d’environ deux millions de personnes, dont 783 000 ont exclusivement la citoyenneté polonaise (2016). Ils vivent essentiellement dans la Ruhr (700 000), en Rhénanie, à Berlin (180 000) et à Hambourg (110 000). Avant la Première Guerre mondiale, une forte population autochtone polonaise représentait la majorité de la population des provinces orientales prussiennes de Prusse occidentale (52% de Polonais en 1819), devenue prussienne lors du partage – imposé par la force – de la Pologne en 1773, et de Posnanie (77% de Polonais en 1819), devenue prussienne en 1815. Lorsque des Polonais originaires de ces deux provinces sont venus s’installer en Rhénanie prussienne au XIXe siècle, ils étaient déjà, de fait, citoyens prussiens (puis allemands après 1871) et étaient reconnus comme minorité nationale polonaise en Prusse. Plus tard, ces deux provinces sont logiquement redevenues polonaises en 1919, lorsque la Pologne a retrouvé son indépendance. Néanmoins, la minorité polonaise continua d’être reconnue, car elle était encore en partie autochtone en Prusse orientale, Poméranie et Silésie – autant de territoires devenus polonais en 1945. Cette reconnaissance fut supprimée le 7 septembre 1939 sur décision d’Adolf Hitler. Depuis 1945, dans la mesure où l’ensemble des territoires, où les Polonais étaient autochtones, sont devenus polonais, les autorités allemandes considèrent les personnes d’origine polonaise comme des immigrés « ordinaires ».