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Jarosław Kaczyński : Si l’Ukraine gagne, Moscou va changer

Temps de lecture : 13 minutes

Article paru dans Gazeta Polska le 30 mars 2022.

Entretien avec le vice-Premier ministre polonais et chef du Parti Droit et Justice (PiS) parue dans le journal conservateur et proche de la ligne gouvernementale du PiS le 30 mars 2022. Interrogé par le rédacteur en chef Tomasz Sakiewicz et la vice-rédactrice en chef Katarzyna Górska, l’ancien Premier ministre polonais s’est penché sur la guerre russo-ukrainienne, les sanctions envers la Russie, les relations avec Berlin et l’UE ainsi que le douzième anniversaire de la catastrophe de Smoleńsk.

Quels peuvent être les scénarios – aussi bien militaires que politiques – du développement de la situation en Ukraine ?

C’est une question particulièrement difficile. Je vois les choses de cette manière : un mois s’est écoulé et les Ukrainiens se débrouillent particulièrement bien. Les Russes n’occupent pas plus de 12 ou 13% du territoire de notre voisin oriental. Malgré leurs forces considérables, les Russes avancent très péniblement.

Ils n’ont en leur possession qu’une grande ville ukrainienne, mais Kiev gardant malgré tout une importante capacité de contre-attaque, effectue ce genre d’attaque et je ne serais pas surpris si les Ukrainiens parvenaient à repousser les forces de Poutine d’une partie des territoires occupés. Les Ukrainiens se défendent de façon remarquable. Ils organisent des embuscades et attaquent les troupes russes à des endroits improbables et se retirent de manière organisée.

Il faut souligner que les forces ukrainiennes qui combattent au Sud et a l’Est du pays sont constituées d’unités sélectionnées – expérimentées au tir et au combat.

Cette guerre dure depuis 2014, c’est pourquoi tant d’Ukrainiens ont acquis de l’expérience au combat, parfois sur le front, et cela représente un avantage considérable.

Les unités défendant Kiev s’en sortent bien aussi. Elles font preuve de beaucoup d’efficacité et d’habileté au combat. C’est la raison pour laquelle les Russes ne sont jusqu’à maintenant pas parvenus à encercler la capitale et aux dernières nouvelles, ils sont loin du compte pour atteindre cet objectif.

Il faut souligner le talent des Ukrainiens pour repérer et détruire les groupes de diversion russes. Moscou se voit obligée de les relocaliser dans différentes régions de notre voisin oriental. Or, comme on peut le voir, les gens de Kiev et d’ailleurs ont leur manière bien à eux de les accueillir. La Fédération de Russie souffre d’importantes pertes, parmi lesquelles des militaires haut placés.

Tout cela montre bien qu’il n’existe pas de réponse facile à cette situation. Les Russes se préparent à une nouvelle offensive, faisant venir des troupes de différentes parties du monde, mais personne n’est en mesure de savoir si ces nouvelles troupes sont en mesure de changer la situation sur le front et faire pencher la balance en faveur de Moscou.

Afin que la description soit fiable, il convient d’ajouter qu’il est à l’heure actuelle difficile de se faire une idée de l’état de l’armée ukrainienne. Cette dernière subit également des pertes. Or, elle donne le sentiment de garder un certain potentiel de défense.

C’est pourquoi il convient de se pencher sur l’un des derniers communiqués du Pentagone, dans lequel il est question d’une longue guerre. Je partage cet avis. Tout semble annoncer que cette guerre durera longtemps.

Ce communiqué évoque par ailleurs le fait que ce sera une guerre particulièrement cruelle. Une guerre longue et très cruelle.

Les Russes, voyant leur impuissance – en particulier en ce qui concerne la prise de contrôle des villes – se dirigent vers l’escalade et la cruauté. L’escalade des crimes. On voit bien qu’ils ne parviennent pas à s’emparer des centres urbains. L’armée, dont c’est la mission, ne parvient pas à la réaliser. Pour mener ses offensives à bien, la Russie devrait utiliser le Specnaz.

Permettez-moi d’utiliser un exemple d’un autre temps et d’un autre contexte. Au cours de la bataille de Borodino, Napoléon a peu utilisé sa Garde. Il ne l’a pas fait et l’affrontement est ainsi resté sans issue. Les Russes ont certes reculé,  mais n’ont pas été battus. La Garde – une armée d’élite – l’aurait probablement emporté malgré les pertes.

Or, la discipline de l’armée de Napoléon s’appuyait en grande partie sur le respect voué à la Garde. Le Specnaz est un groupe d’élite de l’armée russe.  Leur efficacité à l’occasion d’une attaque sur une ville ukrainienne serait assurément élevée, mais les pertes, elles aussi, seraient énormes.

C’est la raison pour laquelle je pense que Moscou ne s’est pas décidée à les utiliser. Pour les Russes, le Specnaz représente une armée d’élite. Des pertes dans leurs rangs – malgré quelques succès çà et là – auraient un effet désastreux sur le moral les troupes russes déjà peu motivées d’attaquer l’Ukraine.

C’est pourquoi le Kremlin a adopté une nouvelle tactique – par la destruction. Il bombardera et tirera sur des bâtiments civils pour semer la mort et la terreur. Le but des Russes est de briser, par la cruauté, la volonté des Ukrainiens de se battre. C’est une tactique criminelle qui vise à effrayer, tuer ou chasser les gens.

Mais cela dure longtemps.

Oui, c’est vrai. C’est de là que vient la conclusion du Pentagone – ainsi que la mienne – selon laquelle nous n’assisterons pas rapidement à la fin de ce génocide. En particulier tant que ce dernier n’est pas confronté à une réponse adéquate de la part du reste du monde. C’est la triste et dure vérité. Il est indispensable de ne fut-ce que de renforcer les sanctions.

Il faut frapper là où cela fera réellement mal à Moscou. Il s’agit particulièrement de deux choses : le pétrole et les ports. La Russie realise des bénéfices nettement plus importants de la vente de pétrole que de celle du gaz.

S’il peut y avoir des problèmes avec le gaz, parce qu’il y a effectivement des pays pour qui cette question s’avère très difficile, personne n’aura de problème avec le pétrole. Il y a une énorme flotte de pétroliers, de nombreux ports de kérosène. Ce sujet peut être traité immédiatement.

Nous pouvons également fermer les ports aux navires russes. Ce serait un coup très dur. Mais l’Occident doit être prêt à frapper sérieusement la Russie. De telles sanctions fonctionneraient rapidement. Pas du jour au lendemain, mais rapidement. Cependant, il y a toujours le veto allemand autour de cette question.

Il y avait aussi l’idée de taxer le pétrole russe par le biais d’une taxe spéciale. Celui qui le désire peut continuer à acheter de pétrole russe, mais il payera une taxe très élevée pour cela. Cette solution est-elle toujours prise en compte ?

La aussi, il faut faire l’unanimité sur la question. Par ailleurs, cela ne résoudra pas le problème. Je peux imaginer des Etats qui, malgré une telle regle, continueraient à acheter des matières premières à la Fédération de Russie, reconnaissant qu’il est avantageux de surpayer pendant un certain temps pour maintenir de bonnes relations commerciales. Si le monde veut répondre de manière adéquate à la barbarie russe – mais refuse malgré tout d’utiliser son armée – alors il faut passer à des sanctions nucléaires, c’est-à-dire celles que nous venons de mentionner. À savoir le pétrole et les ports. Cela peut amener le Kremlin à reconnaître que semer la mort et la destruction et l’occupation du territoire d’un État indépendant ne sont pas une activité rentable. Aujourd’hui, il n’y a certainement pas une telle conviction. Et c’est pourquoi ils continuent d’assassiner, de détruire et de terroriser. Ils kidnappent même des gens.

Pourquoi l’Allemagne s’entête-t-elle dans sa politique pro-russe ?

Pour une question d’intérêts et de dépendances. L’Allemagne se considère toujours comme le partenaire de Moscou. Ses ressources énergétiques sont considérées comme la base de l’expansion de l’économie allemande. Aujourd’hui, Berlin représente le frein vis-à-vis des sanctions les plus douloureuses par la réalisation de sa politique bismarckienne basée sur une alliance stratégique avec la Russie pour dominer l’Europe.

Il convient également de souligner le rôle important de la RDA et de la Stasi [dans la politique allemande]. N’oublions pas que la Stasi comptait 100 000 officiers. À titre de comparaison, son équivalent en République populaire de Pologne en totalisait un quart, et pourtant la Pologne était deux fois plus peuplée que l’Allemagne de l’Est.

La Stasi se pliait en quatre pour infiltrer l’Allemagne de l’Ouest. C’est pour cette raison que de nombreux hommes politiques ont gardé secrets leurs dossiers de la Stasi. Helmut Kohl était par ailleurs parmi eux. Même les familles des hommes politiques allemands décédés parviennent à empêcher la publication du contenu des archives de la Stasi à leur sujet. Je ne suggère pas que [les dirigeants allemands] étaient des agents de la Stasi, mais il faut supposer que celle-ci disposait d’informations compromettantes à leur sujet.

Le veto allemand sur les sanctions les plus sévères contre la Russie est-il dû à des problèmes économiques ou politiques ?

Les deux. Mais l’aspect économique est moins important que l’aspect politique. Le second domine largement. Les Allemands peuvent continuer à jouer le rôle de grande puissance “supra-européenne” uniquement en dominant réellement sur le vieux continent. Or [les Allemands] seuls sont trop faibles pour dominer. Je parlais de cela au Sejm [chambre basse du parlement, ndlr.] à l’époque du débat au sujet du Traité de Nice.

À l’époque, j’ai utilisé un terme faisant référence au fait que l’Allemagne considère l’UE comme des échasses – grâce à sa position dominante au sein de la communauté, elle essaie d’avoir l’air plus grande qu’elle ne l’est. L’alliance avec la Russie leur sert exactement à la même chose. En Pologne, l’opinion dominante demeure que l’Allemagne est une superpuissance mondiale, et ce malgré certains faits contredisant cette idée.

Il s’agit d’un Etat fort et influent, c’est vrai, mais ils ne sont plus une veraiteble puissance au sens militaire. Ils ont un export immense et une économie qui y est liée. Ils sont forts dans ce domaine, mais cela ne change rien au fait qu’ils ont besoin de ces échasses, en l’occurrence d’un accord avec la Russie. Mais aujourd’hui, leur structure est en train de s’effondrer.

Quelles en seront les conséquences ?

L’Allemagne s’efforce de reconstruire sa structure de domination, mais l’on peut envisager qu’elle n’y parvienne pas. Quand une alliance de longue date est brisée, un choc a lieu qui laisse place à la rivalisation autour du nouvel ordre. Nous autres sommes prêts et sommes vraiment en possession de bonnes cartes.

Nous faisons face à la nécessité urgente de renforcer notre armée. Nous voyons aujourd’hui de nos propres yeux l’importance de la force militaire. Les avantages d’une armée amoindrie se sont avérées des balivernes. C’était d’ailleurs le cas dès le début pour nous, même si une grande partie de la classe politique polonaise chantait le contraire à tout-va pour convaincre l’opinion publique.

Maintenant, plus personne ne devrait avoir ne fut-ce que l’ombre d’un doute quant-au fait que l’Etat nécessite une armée forte, nombreuse et excellemment équipée pour assurer sa sécurité. Un point, c’est tout.

L’Ukraine tient remarquablement tête à l’agresseur. La Pologne et les Polonais remplissent leur rôle d’alliés de l’Ukraine et de toute notre région. Nous avons aujourd’hui très bonne presse et une vraie sympathie aux yeux de sociétés dans différentes parties du monde. C’est notre atout.

Nous occupons la deuxième place au classement mondial de l’OCDE sur la croissance du PIB au cours des trois dernières décennies, derrière la Chine. On peut donc sans complexes chercher à devenir un des acteurs les plus importants d’Europe.

Vous avez évoqué la force militaire. Dans la situation actuelle, ne devrions-nous pas réfléchir à son obtention ?

En tant que citoyen, je peux dire que j’aimerais que la Pologne possède l’arme nucléaire. En qu’homme politique responsable, je dois qualifier cette idée d’irréelle.

Même dans le cadre du programme de partage américain ?

Lorsque nous étions encore dans l’opposition, nous discutions déjà de cela avec le Président du Comite de Défense de Sénat des Etats-Unis. Et nous n’avons pas entendu “non”. Or les circonstances actuelles – vous me permettrez de ne pas les décrire en détail – me poussent à penser qu’il n’y aurait pas beaucoup d’intérêt pour cette question. Par ailleurs, la taille d’un tel arsenal offert dans le cadre de la campagne dite de partage n’est pas non plus adaptée aux besoins, à savoir plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’ogives ou de bombes.

Comment la décomposition de la domination allemande en Europe influencera-t-elle l’opposition en Pologne?  On voit bien que cette situation de lui sert pas. Sans ce grand mécène, elle est incapable de formuler la moindre conception cohérente d’action.

Laissons de côté cette décomposition. Nous verrons bien ce qui se passera. Je pense que l’opposition n’est pas parvenue plus tôt à créer un plan concret de fonctionnement. Toute sa politique s’appuyait sur le blocage des fonds européens – Tusk devait les recevoir, pas nous. C’est d’ailleurs leur plan jusqu’aujourd’hui. Et les problèmes de l’Allemagne n’ont qu’une faible influence là-dessus. La question est donc : parviendrons-nous à torpiller cette idée ?

Quelle est la réponse à cette question ?

La balle est en jeu.

La guerre peut-elle s’étendre au-delà de l’Ukraine ?

Une telle éventualité existe toujours, bien que je ne la considère pas comme probable à l’heure actuelle. Bien sûr, on ne peut pas complètement exclure une telle possibilité. Je le dis sincèrement. Est-ce qu’une éventuelle extension du conflit aura un caractère limité, ou nous mènera-t-elle à une réalité de 3e guerre mondiale, dont nous parlons depuis de longues années – une guerre avec utilisation d’armes nucléaires à grande échelle.  Personne ne peut aujourd’hui garantir que cela n’aura pas lieu.

Mais personne ne considère que ce risque soit si élevé. La situation est dynamique et tout conflit armé est imprévisible. Nous devons tous en avoir conscience. Si la Russie avait été aussi efficace qu’elle le prévoyait en Ukraine, alors la perspective d’attaque d’autres pays serait certainement plus réelle.

Dans la doctrine de guerre russe, il existe un concept appelé “escalade pour la désescalade”. Nous pouvons nous imaginer que dans le cadre de ce concept, Moscou se décide à user d’une bombe atomique de petite puissance, afin de forcer le monde à accepter sa domination sur l’Ukraine. Est-ce un scénario réel ?

Nous devons le prendre en compte et le traiter avec sérieux. Or pour le moment, il n’y a pas de signaux indiquant sa réalisation. Selon moi, la Russie – du moins pour l’instant – a peur de la réaction de l’Occident à un tel geste.

L’utilisation d’armes chimiques ou biologiques est-elle plus plausible ?

Si les Russes se décident à faire preuve d’un tel acte de barbarie, ils prendront un énorme risque. On ne peut cependant pas exclure ce genre d’événements. Je tiens à rappeler que l’Ukraine possédait 3000 ogives nucléaires lorsqu’elle acceptait les termes de sa démilitarisation sous le Président Kutchma en échange de soi-disant garanties de sécurité. Si elle possédait encore tout cet arsenal, personne au Kremlin ne penserait même à l’effleurer du doigt.

Monsieur le Premier ministre, lors de son intervention devant l’Assemblée Nationale polonaise, le Président Zelensky a clairement suggéré – c’était évident pour tout le monde – que le 10 avril 2010, la Fédération de Russie a commis un attentat visant la délégation polonaise emmenée par le Président de la République. Vous attendiez vous à de telles paroles ?

La Russie est un pays criminel. Je pense qu’aujourd’hui plus personne n’a de doute à ce sujet. Si quelqu’un avait des doutes, alors cette personne voit maintenant le véritable visage de cet État. La suggestion du Président Zelensky était effectivement très claire et compréhensible. Il y a ensuite aussi eu ce tweet de Rogozin, disant qu’il pouvait discuter avec moi à Smolensk. Difficile de considérer cela différemment que comme un aveu.

Quelle est la suite, alors, concernant l’affaire Smolensk ?

Le 12e anniversaire de la mort de la délégation polonaise approche à grands pas, emmenée par mon frère défunt. J’invite chaleureusement tous les membres du club Gazeta Polska à venir à Varsovie pour les cérémonies qui, cette année, seront organisées comme avant la pandémie. Ces deux dernières années, elles furent limitées à cause de la covid.  Cette année cela vaut la peine d’être le plus nombreux possible.

Peut-on nous attendre à une déclaration de votre part au sujet de la mort de la délégation polonaise ?

Le soir du 10 avril, je me pencherais certainement sur ce sujet. Pour répondre à votre question – oui, nous préparons des actions concrètes. Nous ne voulons pour le moment pas révéler de quoi il s’agit. Une fois encore j’invite chaleureusement le club Gazeta Polska – les gens qui dès les premiers instants se sont battus pour la vérité et la mémoire – soyons ensemble à Varsovie le 10 avril 2022.

La guerre en Ukraine et la barbarie des Russes a-t-elle créé les conditions propices à montrer au monde la vérité concernant les circonstances de la mort du Président de la République et de toute la délégation ?

Je pense que cela peut être le cas. Le monde a vu ce dont la Russie est capable. Il voit sa cruauté, ses crimes. Pendant de longues années, beaucoup de gens rejetaient une telle image de Moscou. Nous verrons donc quel sera la réaction concernant notre décision au sujet de Smolensk.

Le rapport du sous-comité dirigé par Antoni Macierewicz apporte des réponses à des questions clés. L’opinion publique mondiale doit prendre connaissance de ces conclusions.

Difficile de nier que le régime de Poutine serait capable de réaliser ce genre de d’attaque sur le chef d’Etat d’un pays tiers, étant donne que le Etats-Unis affirment que les Russes ont préparé une liste de personnalités politiques ukrainiennes devant être assassinées. En tête de cette liste, on retrouve le nom du chef de l’Etat.

Je me rends bien compte du fait que cela est difficile à accepter pour énormément de gens. Je ne parle ici pas uniquement des personnalités politiques, mais bien de simples citoyens qui pendant toutes ces années ont obstinément affirmé que c’était impossible. La Russie est horrible, mais pas à ce point. Chacun de nous à certainement été confronté à ce genre d’opinion. Peut-être qu’une partie considérable de ces personnes – malgré les preuves, les résultats de recherches indépendantes, les avis d’experts – rejetterons toujours une telle possibilité. Néanmoins, nous sommes en possession d’un rapport clair et professionnel et nous continuerons à avancer sur la question.

Pourquoi l’OTAN donne-t-elle le temps à la Russie de semer la mort et la destruction en Ukraine ? Pourquoi le sommet de Bruxelles ne s’est-il pas soldé sur des décisions plus concrètes ?

Cela demande du temps. J’aimerais qu’il en soit autrement, mais en me rendant à Kiev et en y annonçant la proposition d’une mission humanitaire de maintien de la paix, possédant néanmoins une bonne capacité de réaction militaire, je me doutais bien qu’elle ne provoquerait guère l’enthousiasme de tous. Je pense que les Américains ont besoin de temps pour analyser cette situation plus en profondeur. Le sommet de l’OTAN de Madrid sera clé. Nous avons deux mois et demi d’efforts diplomatiques à fournir pour venir en aide à l’Ukraine de manière adéquate.

Il existe une nette différence de ressources entre l’Ukraine et la Russie. Le soutien militaire que Kiev reçoit est-il suffisant pour mener une guerre dans les mois à venir ? Combien de temps cette guerre peut-elle durer ? Des semaines ou des mois ?

À mon avis, des mois. C’est ce qui semble se profiler. Nous ne savons pas ce qui va se passer, mais le scenario selon lequel le conflit durera plusieurs mois semble plus probable que celui prédisant quelques semaines. Bien sûr, le monde a transmis un soutien considérable à l’Ukraine. Vraiment immense. Mais ce soutien ne doit pas s’arrêter. Pour que Kiev puisse se défendre, voire repousser l’armée russe, il est indispensable se compléter les possibilités militaires des Ukrainiens et de les renforcer.

Y aura-t-il une telle détermination de la part de l’Occident ? Nous évitons spécialement de parler d’OTAN étant donné que des pays non membres du pacte viennent eux aussi en aide à l’Ukraine.

Elle est présente aujourd’hui, même s’il existe des pays fort inquiets vis-à-vis des sanctions. Et ce pas pour la Russie, mais pour eux mêmes.

Monsieur le Premier ministre, quel pourcentage de ses forces terrestres la Russie déploie-t-elle en Ukraine ?

Tout semble indiquer qu’il s’agit environ des trois-quarts. Les forces terrestres de la Fédération de Russie dépassent les 320.000 dont une grande partie est composée de soutiens venus d’autres pays. Le nombre de soldats terrestres que Moscou peut mobiliser en vue d’une attaque directe avoisine les 210.000. Environ 170.000 sont présents en Ukraine. C’est pourquoi les Russes font venir des renforts d’où ils peuvent étant donné que leurs propres réserves n’existent pour ainsi dire plus.

Quel peut être le potentiel des Syriens qui apparemment font leur apparition de l’autre côté de la frontière ?

Certainement pas décisif, ni d’ailleurs clé. Je ne vois pas très bien quelle ville ukrainienne ils sont censés conquérir. Kiev est aujourd’hui une forteresse. Sa superficie, son type de bâtiments dans le centre-ville et sa préparation au combat, permettent de sérieusement douter de l’importance des gens que l’on fait venir du Moyen-Orient. Il faudrait des forces considérablement nombreuses et exemplairement entraînées au combat dans ce genre de villes pour ne fut-ce qu’envisager un assaut. Le combat urbain est particulièrement difficile.

Aujourd’hui, la situation est telle que l’on peut voir ce qui se passe dans une rue voisine à l’aide d’un drone et détruire les chars qui se déplacent dans les artères avoisinantes. Une attaque sur la capitale ukrainienne serait accompagné d’immenses pertes côté russe, et se solderait malgré tout par un échec.

Mais quel est alors l’objectif des Russes ? Que veulent-ils obtenir étant donné que la prise de Kiev semble hors de leur portée ? 

Ils veulent forcer les Ukrainiens à faire des concessions.

Comme celles qu’ils proposent en ce moment ? La société ukrainienne – même si les autorités venaient à accepter de telles conditions – ne les reconnaitrait pas.

Les autorités de l’Ukraine ne les accepteront jamais non plus. Les exigences de Moscou feraient de l’Ukraine une nouvelle sorte de nouvelle république soviétique. L’Ukraine soviétique possédait, elle aussi, sa propre diplomatie. Elle avait même sa propre représentation à l’ONU. Or c’est un retour à cette forme d’indépendance que Moscou propose aujourd’hui à Kiev. On peut s’attendre à des propositions plus acceptables pour Kiev au fur et à mesure du temps qui passe, mais elles signifieront toujours une perte d’indépendance.

Cela vaut également la peine de se pencher sur la situation des Russes. Si l’armée ukrainienne ne perdra pas en efficacité, il pourra s’avérer que c’est le Kremlin qui sera n’aura plus d’autre choix que de déclarer la paix sous la forme d’un certain compromis éloigné de ce que les Russes attendaient. Cela pourrait alors lancer un processus de changements à Moscou, bien qu’il n’y ait aucune garantie qu’ils soient profitables. Les tapis rouges en Occident et le retour d’une forme de “gorbatchovomanie” ne sont pas à exclure non plus. Mais Gorbatchov a tout de même changé la situation dans le monde d’une manière tout à fait différente de ce qu’il avait prévu. Cela permet d’envisager des scenarios positifs.

Traduit du polonais par le Visegrád Post