Pologne/Union européenne – D’aucuns avaient pensé que le signe de bonne volonté que la Diète polonaise avait envoyé à Bruxelles le 26 mai dernier, en adoptant la proposition de loi du président Duda supprimant la chambre disciplinaire de la Cour suprême, ouvrirait enfin la voie vers le versement des fonds du plan de relance polonais, à savoir la bagatelle de 35 milliards d’euros. Eh bien non… subitement, cela ne suffit plus à satisfaire les instances bruxelloises.
La Pologne doit capituler avant de recevoir un seul centime
Ainsi, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a déclaré, ce mardi 7 juin devant le Parlement européen à Strasbourg, que bien que le plan de relance fût désormais approuvé,
la Commission « ne paiera pas un seul centime tant que la Pologne n’aura pas adopté des règles garantissant l’indépendance du pouvoir judiciaire.
[…] L’approbation du plan polonais est claire. [… mais celle-ci] est liée au respect des obligations visant à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire ». Ce faisant, Mme von der Leyen a également rappelé que des procédures d’infraction sont encore en cours contre Varsovie et que de nouvelles pourraient être ouvertes dans un avenir plus ou moins proche. Autant de raisons – bonnes ou mauvaises – pour continuer à tenir la dragée haute aux Polonais.
De fait, la présidente de la Commission s’exprimait essentiellement pour rassurer des députés qui la soupçonnaient de vouloir abandonner la traditionnelle politique du bâton vis-à-vis du gouvernement conservateur polonais :
« Je vous assure qu’aucun argent ne sera versé tant que les réformes ne seront pas mises en œuvre.
[…] La semaine dernière, après une « évaluation approfondie », la Commission européenne, après un an de négociations avec des représentants du gouvernement polonais, a donné son « feu vert » au Plan national de relance pour la Pologne, qui consiste à mobiliser de l’argent du Fonds de reconstruction de l’Union européenne. Le Conseil doit maintenant en décider. Ce plan soutiendra les Polonais sur la voie d’un avenir plus durable, numérique et résilient. C’est une voie sur laquelle nous nous sommes tous mis d’accord. Mais le Plan fera plus, et c’est ce dont nous discutons ici aujourd’hui. Parce que, comme dans tous les plans de relance, les investissements sont liés aux réformes.
L’approbation de ce plan implique, en particulier, des engagements clairs de la part des Polonais dans le domaine de la justice indépendante.
[…] Les engagements visent à remplir les trois éléments que je vous ai présentés lors de la session plénière d’octobre dernier. Et j’en ai reparlé lorsque j’étais à Varsovie la semaine dernière. […]
Premièrement, l’actuelle chambre disciplinaire doit être supprimée et remplacée par un tribunal indépendant et impartial établi conformément à la loi. Deuxièmement, le système disciplinaire doit être réformé. Troisièmement, tous les juges concernés par les décisions de la Chambre disciplinaire devraient avoir le droit de faire entendre leurs affaires par la nouvelle Chambre ».
Motion de censure initiée par le groupe Renew Europe…
Ce durcissement d’Ursula von der Leyen fait suite à une motion de censure de la Commission, initiée par le député libéral belge Guy Verhofstadt et ses collègues Sophie in ‘t Veld (Pays-Bas) et Luis Garicano (Espagne) du groupe Renew Europe, qui a été adressée par courrier électronique à l’ensemble des eurodéputés. Une démarche que Sophie in ‘t Veld a largement expliqué ce lundi 5 juin : « L’Union européenne est avant tout une communauté de valeurs et une communauté de droit.
Si les gouvernements nationaux refusent d’accepter les règles et normes communes, et s’ils ne reconnaissent pas l’autorité de l’arbitre indépendant, l’UE cessera de fonctionner. Il incombe à la Commission européenne de veiller à ce que tous les membres respectent les règles. La décision prise la semaine dernière par la Commission d’approuver le plan national polonais pour le Fonds pour la relance et la résilience n’est pas conforme à cette tâche.
Les « jalons » sont en deçà de ce qui a été exigé par la Cour de justice de l’Union européenne, et ils ne traitent pas du refus de reconnaître la primauté du droit de l’UE et l’autorité de la CJUE par les autorités polonaises. La décision ignore également complétement toutes les résolutions du Parlement européen, les arrêts de la CJUE et la procédure de l’article 7 lancée par la Commission elle-même. […]
Il incombe au Parlement européen de demander des comptes à la Commission. [… C’est pourquoi] avec mes collègues Verhofstadt et Garicano, j’ai lancé l’appel à signatures pour une motion de censure contre la Commission von der Leyen ».
… soutenue par le PPE et les socialistes
Même son de cloche également du côté du PPE, dont le député roumain Siegfried Mureșan a déclaré :
« Notre groupe ne tolérera pas le transfert d’un seul euro du Fonds de relance et de résilience (FRR) tant que les autorités polonaises ne se conformeront pas aux arrêts de la CJUE.
Jusqu’à ce que les autorités polonaises apportent les modifications appropriées. […] C’est très important pour nous tous, car l’argent du FRR est de l’argent des citoyens européens pour les citoyens européens. Nous espérons que le gouvernement polonais ne sera pas un obstacle dans notre volonté d’aider les Polonais ». Position identique du groupe socialiste, dont la présidente Iratxe García Pérez a expliqué :
« L’État de droit est une question fondamentale pour nous. C’est un débat difficile et c’est une conséquence du régime autoritaire en Pologne,
mais nous sommes heureux que le gouvernement polonais veuille abolir la chambre disciplinaire et le système de sanction des juges ».
Quant à l’eurodéputée verte et ancienne ministre de la Culture et de la Démocratie de Suède (de 2014 à 2019) Alice Bah Kuhnke, vice-présidente du groupe Verts/ALE, elle a jugé que l’accord entre la Commission et le gouvernement polonais était « une tache sur l’honneur de l’Union européenne » car « nous fermons les yeux devant les plans du gouvernement polonais, nous sommes témoins de la naissance d’une mini-Russie! »
« Mesdames et Messieurs, vous ne connaissez rien de la Pologne »
De son côté, le député polonais Ryszard Legutko (PiS), co-président du groupe des Conservateurs et réformistes européens, a tenu à réfuter ces arguments : « Le débat actuel est non seulement absurde, mais je dirais même qu’il est méprisable. […] Mesdames et Messieurs, vous ne connaissez rien de la Pologne. […]
J’ai également entendu dire que la Pologne avait un gouvernement autoritaire. […] La Pologne a mille fois plus de liberté qu’un pays comme l’Espagne, qui est gouverné par un gouvernement extrêmement répressif.
[…] Je suis frappé par le langage mensonger utilisé ici.
Quand vous parlez de démocratie, vous ne parlez pas du tout de démocratie, mais de la tyrannie d’un groupe. Quand vous parlez de valeurs, il s’agit d’intimidation et de chantage.
Lorsque vous parlez de l’État de droit, il s’agit de prendre un bâton supplémentaire pour vos adversaires. Lorsque la Pologne a rejoint l’Union européenne en 2004, même les plus grands opposants à l’UE dans mon pays et au-delà ne pouvaient imaginer une telle dégénérescence ».
Enfin, l’eurodéputé polonais Jacek Saryusz-Wolski a réitéré sa proposition selon laquelle la Pologne devrait répondre par le même langage, à savoir en bloquant toutes les décisions européennes contre lesquelles elle peut mettre son veto… jusqu’à obtenir satisfaction. Une stratégie qui avait réussi en son temps à Margaret Thatcher.